Traversez le mois de décembre avec les miracles des Anciens et des Modernes !
Du 1er au 24 décembre, découvrez chaque jour un extrait miraculeux d’un auteur antique ou un texte original d’un philologue moderne.
Lors de la guerre de Troie, le prêtre troyen Laocoon conseille à ses concitoyens de détruire le cheval de bois que les Grecs ont laissé sur la grève avant de partir. Alors qu’il offre un sacrifice, deux serpents surgis de la mer viennent l’étouffer, lui et ses enfants. Les Troyens interprètent ce prodige comme un signe des dieux et décident, en une tragique erreur, d’introduire la machine fatale au cœur d’Ilion. L’attaque des serpents avait été l’objet d’un célèbre groupe en marbre, sculpté par le Rhodien Hagésandre et ses deux fils. Cette sculpture, que Michel-Ange appela « le miracle de l’art », a pu inspirer Virgile, comme la comparaison entre le texte virgilien et le groupe statuaire inspire à son tour, longtemps après, les réflexions de Lessing sur les moyens d’expression respectifs de l’art et de la poésie.
Hic aliud maius miseris multoque tremendum
obicitur magis atque improuida pectora turbat.
Laocoon, ductus Neptuno sorte sacerdos,
sollemnis taurum ingentem mactabat ad aras.
Ecce autem gemini a Tenedo tranquilla per alta
(horresco referens) immensis orbibus angues
incumbunt pelago pariterque ad litora tendunt ;
pectora quorum inter fluctus arrecta iubaeque
sanguineae superant undas, pars cetera pontum
pone legit sinuatque immensa uolumine terga.
Fit sonitus spumante salo ; iamque arua tenebant
ardentisque oculos suffecti sanguine et igni
sibila lambebant linguis uibrantibus ora.
Diffugimus uisu exsangues. Illi agmine certo
Laocoonta petunt ; et primum parua duorum
corpora natorum serpens amplexus uterque
implicat et miseros morsu depascitur artus ;
post ipsum auxilio subeuntem ac tela ferentem
corripiunt spirisque ligant ingentibus ; et iam
bis medium amplexi, bis collo squamea circum
terga dati superant capite et ceruicibus altis.
Ille simul manibus tendit diuellere nodos
perfusus sanie uittas atroque ueneno,
clamores simul horrendos ad sidera tollit :
qualis mugitus, fugit cum saucius aram
taurus et incertam excussit ceruice securim.
At gemini lapsu delubra ad summa dracones
effugiunt saeuaeque petunt Tritonidis arcem,
sub pedibusque deae clipeique sub orbe teguntur.
Ici quelque chose de pire et de bien plus angoissant s’offre aux regards des infortunés et bouleverse leur esprit déconcerté. Laocoon, que le tirage au sort avait donné comme prêtre à Neptune, immolait un énorme taureau sur l’autel prescrit par le rite. Or voici qu’au large, venant de Ténédos, à travers les flots tranquilles, deux dragons jumeaux font peser sur la mer leurs anneaux gigantesques – à le raconter, j’en frémis encore – et gagnent de front notre rivage. Leur poitrail se dresse au milieu des vagues, leur crête sanglante s’élève au-dessus des flots et le reste du corps s’appuie sur les eaux, où serpente leur croupe démesurée. La mer se met à écumer à grand bruit, ils avaient bientôt touché terre, leurs yeux ardents étaient injectés de sang et de feu, leur langue vibrante léchait leur gueule sifflante. À les voir, le sang se retire de nos veines et nous prenons la fuite. Eux, d’un élan assuré, vont droit à Laocoon. Et d’abord les deux dragons entourent le corps enfantin des deux fils de Laocoon, s’y enlacent et leurs dents se repaissent des membres de ces malheureux. Puis c’est le père, venu à leur secours, les armes à la main, qu’ils saisissent et ligotent dans leurs vastes spirales. Ils l’ont bientôt enlacé de deux tours par le milieu, entouré son cou de deux tours de leur croupe écailleuse, et ils le surmontent de leur tête et de leur haute encolure. Quant à lui, ses mains essaient de dénouer leurs noeuds, ses bandelettes sacrées sont couvertes de leur bave, de leur noir venin, tandis qu’il jette jusqu’aux cieux des cris épouvantables, des mugissements de taureau blessé qui s’enfuit de l’autel en secouant de son encolure la hache mal assurée. Cependant les dragons jumeaux s’échappent en rampant vers le temple de la ville haute, gagnent la citadelle de la terrible Minerve et se tapissent aux pieds de la déesse, sous l’orbe de son bouclier.
VIRGILE, Énéide, II, 199-227
Classiques en poche, Les Belles Lettres,
ed. Jacques Perret et trad. Paul Veyne
Laocoon et ses fils, également connu comme le Groupe du Laocoon. Marbre, copie d'un original hellénistique de 200 av. J.-C. environ.