[AVENT 2023] Jour 21 - L'esprit miraculeux d'Aristophane

21 décembre 2023
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Image : Calendrier de l'avent 2023 - Jour 21 - Vignette
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Traversez le mois de décembre avec les miracles des Anciens et des Modernes !
Du 1er au 24 décembre, découvrez chaque jour un extrait miraculeux d’un auteur antique ou un texte original d’un philologue moderne.

Voilà quelques décennies qu’Épidaure a retrouvé, le temps d’une saison, ses spectateurs d’antan au sein de son théâtre qui figure parmi les mieux conservés de sa génération : nombreux sont ceux qui accourent des quatre coins de Grèce (et même du globe !) pour participer au maintenant célèbre Φεστιβάλ Αθηνών-Επιδαύρου [Festival d'Athènes-Épidaure]. Au programme : une tragédie de Sophocle ou une comédie d’Aristophane dans une mise en scène mêlant fidélité au texte et modernité dramaturgique, pour une plongée dans le Ve siècle av. J.-C. le temps d’une soirée.

Assister dans ce lieu merveilleux à une représentation des Cavaliers d’Aristophane, que j'avais lue, traduite et commentée lors d'un cours de licence mémorable, fut certainement l’une de mes plus belles expériences. Un soir de juin 2021, pénétrer dans ce qui n’était alors dans mon esprit qu’un monument de papier, entendre la foule impatiente, trouver sa place, regarder la scène, scruter le décor. La nuit tombait sur Épidaure, et Aristophane revint à la vie : ἰατταταιὰξ τῶν κακῶν, ἰατταταῖ, « Iattataïax ! Que de misères ! Iattataïe ! ». Miracle de la scène, miracle de la comédie : arrivaient à mes oreilles des mots vieux de plusieurs millénaires, dont la transmission jusqu’à nous était (presque) le fruit du hasard, mais qui n’avaient rien perdu de leur efficacité – pour peu que l’adaptation fût bonne. Nous pouvions rire des deux serviteurs accablés par leur maître ; nous pouvions rire de la nouvelle destinée politique du charcutier du coin ; nous pouvions rire des joutes verbales épicées ; nous pouvions rire comme les Anciens, avec eux, aux éclats. Le rire laissait aussi place à la réflexion, à la satire, à la critique acerbe et sans concessions. Nous réfléchissions, signe que l’Antiquité a toujours quelque chose à nous dire.

La comédie serait donc miraculeusement intemporelle, sans cesse rééditée, retraduite, réécrite, réadaptée, réinterprétée depuis ses premiers pas sur la scène grecque. Force est de regretter que seules quelques pièces complètes soient parvenues jusqu'à nous, celles d'Aristophane d'abord, puis celles de Ménandre plus récemment – miracle de la papyrologie. Nous ne pouvons qu’avoir une larme à l’œil lorsque nous songeons aux dizaines, aux centaines de pièces anciennes, moyennes, nouvelles – tels sont les trois grands ‘moments’ de la comédie grecque antique – dont nous n’avons conservé que des titres, des noms d’auteurs, voire quelques vers dans le meilleur des cas. Ces fragments, nous les possédons grâce à des auteurs comme Athénée de Naucratis (IIIe s.) : il invite à son Banquet des sophistes nombre d’intellectuels qui passent tout un repas à s’envoyer des citations comiques à la figure, leur nombre augmentant proportionnellement au débit de mets et de boissons. Il est fort probable que nous n’aurons guère plus à lire à l’avenir pour la plupart de ces passages, souvent brefs. Néanmoins, ces morceaux de rire grec méritent toute notre attention et requièrent une grande part d’imagination et de réinvention, qualités dont a fait preuve le dramaturge marseillais Serge Valletti au moment de rassembler les pièces des trente-trois puzzles perdus d’Aristophane : On entend des flûtes au loin, dernière de son cycle « Toutaristophane », est née, la larme laissant la place au rire.

Car continuer encore et toujours de nous faire rire et de nous faire réfléchir, d'Épidaure à Marseille, voilà bien le miracle de la comédie grecque antique.

Dorian Flores

Image : © Πάτροκλος Σκαφίδας
Le chœur des cavaliers
© Πάτροκλος Σκαφίδας (Source)
Image : © Patroklos Skafidas
Le Marchand de boudin
© Πάτροκλος Σκαφίδας (Source)
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