Traversez le mois de décembre avec les miracles des Anciens et des Modernes !
Du 1er au 24 décembre, découvrez chaque jour un extrait miraculeux d’un auteur antique ou un texte original d’un philologue moderne.
Dans les derniers paragraphes de sa Vie d’Auguste, Suétone s’attache à raconter quelques présages de la grandeur d’Auguste :
Et quoniam ad haec uentum est, non ab re fuerit subtexere, quae ei prius quam nasceretur et ipso natali die ac deinceps euenerint, quibus futura magnitudo eius et perpetua felicitas sperari animaduertique posset.
« Puisque nous sommes sur ce sujet, il ne sera pas hors de propos d’énumérer maintenant les présages qui, soit avant sa naissance, soit le jour même où il naquit, soit par la suite, firent prévoir et révélèrent sa grandeur future et son bonheur constant. »
SUÉTONE, Vie d'Auguste, 94, 1
C.U.F., Les Belles Lettres
ed. et trad. Henri Ailloud
Fama fert… Il est sûrement le fils d’Apollon puisque sa mère a une marque sur le corps qui ressemble à un serpent, apparue alors qu’Atia était dans le temple de ce même dieu (94, 4). Et, preuve supplémentaire s’il en faut, n’a-t-elle pas donné naissance au petit Octave neuf mois plus tard ? Miracle d’Apollon !
Mais encore faut-il prévenir aussi les parents du caractère exceptionnel de leur enfant à naître… Pour cela, rien de mieux que de leur envoyer à chacun quelques rêves prémonitoires et assez étranges :
Eadem Atia, prius quam pareret, somniauit intestina sua ferri ad sidera explicarique per omnem terrarum et caeli ambitum. Somniauit et pater Octauius utero Atiae iubar solis exortum. […] Videre uisus est filium mortali specie ampliorem, cum fulmine et sceptro exuuiisque Iouis Optimi Maximi ac radiata corona, super laureatum currum, bis senis equis candore eximio trahentibus.
« Avant d’accoucher, Atia vit en rêve ses entrailles élevées jusqu’aux astres et s’étalant sur toute l’étendue de la terre et du ciel. De son côté, Octavius, le père d’Auguste, rêva que du sein de sa femme sortaient les rayons du soleil. […] [Il] crut voir son fils, doué d’une grandeur surhumaine, portant le foudre, le sceptre et les attributs de Jupiter Très-Bon et Très Grand, ainsi qu’une couronne de rayons, sur un char couvert de lauriers, que traînaient douze chevaux d’une éclatante blancheur. »
SUÉTONE, Vie d'Auguste, 94, 5 et 94, 8
Mais rien ne vaut le fait de confier au jeune Octave une capacité à dominer les animaux par sa seule présence :
Cum primum fari coepisset, in auito suburbano obstrepentis forte ranas silere iussit, atque ex eo negantur ibi ranae coaxare.
« Il commençait seulement à parler, quand un jour, dans la maison de banlieue appartenant à sa famille, importuné par les cris des grenouilles, il leur ordonna de se taire, et depuis lors, dit-on, les grenouilles ne coassent plus dans ce lieu. »
SUÉTONE, Vie d'Auguste, 94, 10
Surtout si cela produit un spectacle digne de marquer durablement les esprits. C’est donc au tour de l’aigle de Jupiter d’entrer en scène : Romains, si vous en doutiez encore, voici le futur maître de Rome…
Ad quartum lapidem Campanae uiae in nemore prandenti ex inprouiso aquila panem ei e manu rapuit et, cum altissime euolasset, rursus ex inprouiso leniter delapsa reddidit.
« Pendant qu’il déjeunait dans un bois, vers la quatrième borne de la voie campanienne, un aigle vint subitement lui arracher le morceau de pain qu’il tenait, puis, après s’être envolé bien haut, redescendit tout à coup, doucement, et le lui rendit. »
SUÉTONE, Vie d'Auguste, 94, 11
Et c’est cet épisode miraculeux d’Octave et de l’aigle majestueux qu’a retenu le dessinateur et scénariste de la bande dessinée Alix au tout début de l’album Le Tombeau étrusque (Casterman, 1968)
Alix t. 8. Le Tombeau étrusque de Jacques Martin © Casterman 1968, p. 5.
Si rien ne vient contredire réellement dans tout l’album cette vision hagiographique, Alix a quand même quelques doutes sur l’interprétation à donner au « manège de cet aigle » qui pourrait bien pousser le jeune Octave, déjà très sûr de lui, à se « pren[dre] pour un phénomène » (p. 7)
Et, des années plus tard, dans Les Aigles de sang, alors qu’Auguste est devenu un empereur vieillissant, qu’Alix lui-même est devenu un sénateur aux cheveux blancs et que la propagande impériale bat son plein, un prêtre fait une révélation fracassante dans la dernière planche de ce premier tome d’Alix Senator…
Alix Senator t. 1. Les Aigles de sang de Valérie Mangin et Thierry Démarez © Casterman 2012, p. 48.
Le miracle de Jupiter ne serait-il qu’une manipulation de César ou n’est-ce que le délire d’un vieux fou, ennemi de l’empereur ? Et s’il n’y avait finalement pas eu de miracle sur la voie campanienne ?
Julie Gallego