Anthologie – Bon voyage ! (Horace)

9 août 2022
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Image : Couverture d'Horace, Odes et Épodes
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Dans l'Antiquité, chacun est bien conscient qu’aller en mer est une aventure dont on ne peut prévoir l’issue : les bateaux n’étaient pas vraiment équipés en matériel de sauvetage mais ils ne manquaient pas d’arborer tous un œil prophylactique à la proue ou une paire de cornes, supposées éloigner les démons. Lorsque l’embarquement est proche, ceux qui partent demandent aux dieux la clémence des flots et une mer maniable ; ceux qui restent se lamentent et donnent leurs derniers conseils. Mais si ce moment si particulier est mis à profit par les auteurs anciens pour placer un morceau de bravoure littéraire où les sentiments exacerbés révèlent le caractère des personnages, il nous arrive aussi de rencontrer des « souhaits de mauvais voyages », plus fantaisies littéraires que véritables menaces de mort, comme dans ce passage des Épodes d'Horace que nous vous proposons aujourd'hui de découvrir.

Mala soluta nauis exit alite
      ferens olentem Meuium ;
ut horridis utrumque uerberes latus,
      Auster, memento fluctibus ;
niger rudentis Eurus inuerso mari
      fractosque remos differat,
insurgat Aquilo, quantus altis montibus
      frangit trementis ilices,
nec sidus atra nocte amicum adpareat,
      qua tristis Orion cadit,
quietiore nec feratur aequore
      quam Graia uictorum manus,
cum Pallas usto uertit iram ab Ilio
      in inpiam Aiacis ratem.
O quantus instat nauitis sudor tuis
      tibique pallor luteus
et illa non uirilis heiulatio,
      preces et auersum ad Iouem,
Ionius udo cum remugiens sinus
      Noto carinam ruperit.
Opima quodsi praeda curuo litore
      porrecta mergos iuuerit,
libidinosus immolabitur caper
      et agna Tempestatibus.

Il lève l’ancre et prend la mer sous de funestes auspices, le vaisseau qui porte le puant Mévius. Puisses-tu hérisser les flots pour en fouetter les deux flancs, Auster, songes-y bien ! Que le noir euros, retournant la mer, emporte et disperse les câbles et les rames brisées ; que l’aquilon se lève, aussi fort qu’au haut des monts lorsqu’il brise les yeuses tremblantes ; qu’aucun astre ami n’apparaisse dans la nuit sombre, du côté où se couche le sinistre Orion. Et qu’il n’ait point, pour le porter, une mer plus paisible que ne l’eut la troupe victorieuse des Grecs lorsque, d’Ilion consumée, Pallas tourna sa colère sur le vaisseau impie d’Ajax. Oh ! quelle sueur attend tes matelots, et toi, quelle jaune pâleur, avec ces lamentations indignes d’un homme, ces prières à Jupiter qui s’en détournera, lorsque la mer d’Ionie, mugissant en son enfoncement sous l’humide notos, aura disloqué ta carène. Si alors, proie grasse étendue sur la courbe du rivage, tu régales les plongeons, j’immolerai aux Tempêtes un bouc lascif et une agnelle.

Horace, Épodes, X
C.U.F., Les Belles Lettres
ed. et trad. François VILLENEUVE