Dans leur nouvelle série de Chroniques anachroniques, Christelle Laizé et Philippe Guisard vous proposent de parcourir les contrées du monde gréco-romain par les textes qui les décrivent. Et décrire le monde connu à son époque, c’était justement l’objectif que s’était fixé Pomponius Mela, géographe romain du Ier siècle ap. J.-C., dans son traité De chorographia en trois livres, chorographie signifiant littéralement « description d’une région ». La Vie des Classiques vous propose de lire les premières pages de cette œuvre peu connue : après un préambule présentant les objectifs qu’il se fixe, l’auteur en vient à une description de l’Univers et des parties de la Terre.
1. Orbis situm dicere aggredior, impeditum opus et facundiae minime capax – constat enim fere gentium locorumque nominibus et eorum perplexo satis ordine, quem persequi longa est magis quam benigna materia – uerum aspici tamen cognoscique dignissimum, et quod, si non ope ingenii orantis, at ipsa sui contemplatione pretium operae attendentium absoluat. 2. Dicam autem alias plura et exactius, nunc ut quaeque erunt clarissima et strictim. Ac primo quidem quae sit forma totius, quae maximae partes, quo singulae modo sint atque habitentur expediam, deinde rursus oras omnium et litora ut intra extraque sunt, atque ut ea subit ac circumluit pelagus, additis quae in natura regionum incolarumque memoranda sunt. Id quo facilius sciri possit atque accipi, paulo altius summa repetetur.
3. Omne igitur hoc, quidquid est cui mundi caelique nomen indidimus, unum id est et uno ambitu se cunctaque amplectitur. Partibus differt ; unde sol oritur oriens nuncupatur aut ortus, quo demergitur occidens uel occasus, qua decurrit meridies, ab aduersa parte septentrio. 4. Huius medio terra sublimis cingitur undique mari, eodemque in duo latera quae hemisphaeria nominant ab oriente diuisa ad occasum zonis quinque distinguitur. Mediam aestus infestat, frigus ultimas ; reliquae habitabiles paria agunt anni tempora, uerum non pariter. Antichthones alteram, nos alteram incolimus. Illius situs ob ardorem intercedentis plagae incognitus, huius dicendus est. 5. Haec ergo ab ortu porrecta ad occasum, et quia sic iacet aliquanto quam ubi latissima est longior, ambitur omnis oceano, quattuorque ex eo maria recipit ; unum a septentrione, a meridie duo, quartum ab occasu. Suis locis illa referentur. 6. Hoc primum angustum nec amplius decem milibus passuum patens terras aperit atque intrat. Tum longe lateque diffusum abigit uaste cedentia litora, iisdemque ex diuerso prope coeuntibus adeo in artum agitur, ut minus mille passibus pateat. Inde se rursus sed modice admodum laxat, rursusque etiam quam fuit artius exit in spatium. Quo cum est acceptum, ingens iterum et magno et paludi ceterum exiguo ore coniungitur. Id omne qua uenit quaque dispergitur uno uocabulo Nostrum mare dicitur. 7. Angustias introitumque uenientis nos fretum, Graeci porthmon appellant. Qua diffunditur alia aliis locis cognomina acceptat. ubi primum se artat, Hellespontus uocatur, Propontis ubi expandit, ubi iterum pressit Thracius Bosphorus, ubi iterum effudit Pontus Euxinus, qua paludi committitur Cimmerius Bosphorus, palus ipsa Maeotis. 8. Hoc mari et duobus inclutis amnibus, Tanai atque Nilo, in tres partes uniuersa diuiditur. Tanais a septentrione ad meridiem uergens in mediam fere Maeotida defluit ; et ex diuerso Nilus in pelagus. quod terrarum iacet a freto ad ea flumina ab altero latere Africam uocamus, ab altero Europen [; ad Nilum Africam, ad Tanain Europen]. Vltra quicquid est, Asia est.
1. J’entreprends une description des régions de la Terre, travail malaisé et fort peu propice à l’éloquence – il consiste en effet, à peu de choses près, dans une énumération de noms de peuples et de lieux et dans leur disposition assez embrouillée, qui offre matière à un exposé long plutôt qu’abondant –, mais cependant bien digne d’attention et d’étude ; puisse-t-il, sinon grâce aux qualités de style de son auteur, du moins par la seule considération de son contenu, payer de leur peine les lecteurs attentifs. 2. J’en dirai davantage une autre fois et entrerai plus dans les détails ; présentement je m’en tiendrai à ce qui est bien connu, et brièvement. Et je commencerai précisément par exposer quelle forme a l’ensemble, quelles en sont les principales parties, l’apparence et le peuplement de chacune d’elles ; puis, reprenant ma description, j’en viendrai à toutes les terres et à tous les rivages tant intérieurs qu’extérieurs, à la façon dont la mer les pénètre et les baigne, en y ajoutant ce qui, dans la mesure de ces contrées et de leurs habitants, mérite d’être mentionné. Pour faciliter l’intelligence et la compréhension on remontera un peu plus haut dans les généralités.
3. Cet ensemble, quel qu’il soit, à quoi nous avons donné le nom de Monde et de Ciel, forme un tout unique et, dans un unique mouvement circulaire, embrasse et lui-même et toutes choses. C’est entre ses parties qu’il y a des différences : l’endroit où le soleil se lève est appelé l’orient ou le levant, celui où il s’engloutit l’occident ou le couchant, le point à partir duquel il décline le midi, la direction opposée le septentrion. 4. En son milieu se dresse la Terre, ceinte de tous côtés par la mer et qui, partagée par celle-ci de l’orient au couchant en deux côtés, qu’on appelle hémisphères, se divise en cinq zones. L’excès de la chaleur sévit dans la zone médiane, celui du froid dans les zones extrêmes ; les deux zones restantes, habitables, connaissent les mêmes saisons, mais non point en même temps. Les habitants de l’antichthon occupent l’une, nous l’autre. Pour celle-là nous ignorons, du fait de l’extrême chaleur de la zone intermédiaire, quelle apparence elle a ; c’est de la nôtre que nous donnerons une description. 5. S’étendant du levant au couchant et, par suite de sa position, dépassant sensiblement en longueur sa plus grande largeur, celle-ci est tout entière entourée par l’Océan d’où lui viennent quatre mers ; une au septentrion, au midi deux, une quatrième au couchant. Sur les trois premières on reviendra en leur lieu. 6. La dernière est d’abord étroite et n’a pas plus de dix milles de large là où elle s’ouvre un passage à travers les terres. Se répandant ensuite en longueur et en largeur, elle provoque un vaste retrait des rivages, lesquels à leur tour, par leurs bords opposés qui se touchent presque, la resserrent au point de lui laisser moins d’un mille de large. Puis de nouveau elle s’élargit, mais très faiblement, et derechef aboutit dans un espace encore plus resserré que le précédent. Celui-ci en recueille les eaux, après quoi elle retrouve son immensité et communique, mais par une étroite ouverture, avec un vaste marais. C’est tout cet ensemble, dans ses voies d’accès et dans les espaces où il s’étend, que nous désignons du nom unique de Notre Mer. 7. Le resserrement et l’entrée de la mer s’appelle chez nous fretum, chez les Grecs porthmos. Là où elle s’élargit on lui donne des noms qui varient selon les endroits. Là où elle se resserre pour la première fois on l’appelle Hellespont ; Propontide là où il y a évasement ; là où de nouveau il y a étranglement, Bosphore trace ; là où de nouveau il y a étalement, Pont-Euxin ; là où elle rejoint le marais, Bosphore cimmérien ; le marais lui-même s’appelle Méotide. 8. Cette mer et deux fleuves fameux, le Tanaïs et le Nil, divisent la Terre entière en trois parties. Le Tanaïs dont le cours se dirige du septentrion au midi, aboutit à peu près au milieu du Méotide et, à l’opposé, le Nil se jette dans la mer. L’entendue de terre qui va du détroit de Gadès à ces fleuves, nous l’appelons, pour l’un de ses côtés Afrique, pour l’autre Europe [: jusqu’au Nil c’est l’Afrique, jusqu’au Tanaïs l’Europe]. Tout ce qui se trouve au-delà c’est l’Asie.
Pomponius Mela, Chorographie, I, 1, 1-8
C.U.F., Les Belles Lettres, 1988
ed. et trad. Alain Silberman