À l'occasion de la sortie de l'intégrale des discours de Démosthène dans la collection Editio Minor aux Belles Lettres, La Vie des Classiques vous propose aujourd'hui de lire un passage des Vies Parallèles de Plutarque, et plus précisément de celle qu'il consacre au plus grand des orateurs grecs. Parmi les nombreuses anecdotes relatives aux débuts de Démosthène (IVe siècle av. J.-C.), celle-ci met l’accent sur la vocation du futur orateur et homme politique. Suivant certaines versions, au moment où il reçut cet éblouissement, il étudiait à l’école de Platon : en ce cas, la vocation oratoire aurait été une conversion, comportant un renoncement à la philosophie.
Τῆς δὲ πρὸς τοὺς λόγους ὁρμῆς ἀρχὴν αὐτῷ φασι τοιαύτην γενέσθαι. Καλλιστράτου τοῦ ῥήτορος ἀγωνίζεσθαι τὴν περὶ Ὠρωποῦ κρίσιν ἐν τῷ δικαστηρίῳ μέλλοντος, ἦν προσδοκία τῆς δίκης μεγάλη διά τε τὴν τοῦ ῥήτορος δύναμιν, ἀνθοῦντος τότε μάλιστα τῇ δόξῃ, καὶ διὰ τὴν πρᾶξιν οὖσαν περιβόητον. Ἀκούσας οὖν ὁ Δημοσθένης τῶν διδασκάλων καὶ τῶν παιδαγωγῶν συντιθεμένων τῇ δίκῃ παρατυχεῖν, ἔπεισε τὸν ἑαυτοῦ παιδαγωγὸν δεόμενος καὶ προθυμούμενος, ὅπως αὐτὸν ἀγάγοι πρὸς τὴν ἀκρόασιν. Ὁ δ’ ἔχων πρὸς τοὺς ἀνοίγοντας τὰ δικαστήρια δημοσίους συνήθειαν, εὐπόρησε χώρας ἐν ᾗ καθήμενος ὁ παῖς ἀδήλως ἀκροάσεται τῶν λεγόντων. Εὐημερήσαντος δὲ τοῦ Καλλιστράτου καὶ θαυμασθέντος ὑπερφυῶς, ἐκείνου μὲν ἐζήλωσε τὴν δόξαν, ὁρῶν προπεμπόμενον ὑπὸ πολλῶν καὶ μακαριζόμενον, τοῦ δὲ λόγου μᾶλλον ἐθαύμασε καὶ κατενόησε τὴν ἰσχὺν ὡς πάντα χειροῦσθαι καὶ τιθασεύειν πεφυκότος. Ὅθεν ἐάσας τὰ λοιπὰ μαθήματα καὶ τὰς παιδικὰς διατριβάς, αὐτὸς αὑτὸν ἤσκει καὶ διεπόνει ταῖς μελέταις, ὡς ἂν τῶν λεγόντων ἐσόμενος καὶ αὐτός.
Ἐχρήσατο δ’ Ἰσαίῳ πρὸς τὸν λόγον ὑφηγητῇ, καίπερ Ἰσοκράτους τότε σχολάζοντος, εἴθ’ ὥς τινες λέγουσι τὸν ὡρισμένον μισθὸν Ἰσοκράτει τελέσαι μὴ δυνάμενος τὰς δέκα μνᾶς διὰ τὴν ὀρφανίαν, εἴτε μᾶλλον τοῦ Ἰσαίου τὸν λόγον ὡς δραστήριον καὶ πανοῦργον εἰς τὴν χρείαν ἀποδεχόμενος. Ἕρμιππος δέ φησιν ἀδεσπότοις ὑπομνήμασιν ἐντυχεῖν, ἐν οἷς ἐγέγραπτο τὸν Δημοσθένη συνεσχολακέναι Πλάτωνι καὶ πλεῖστον εἰς τοὺς λόγους ὠφελῆσθαι, Κτησιβίου δὲ μέμνηται λέγοντος παρὰ Καλλίου τοῦ Συρακουσίου καί τινων ἄλλων τὰς Ἰσοκράτους τέχνας καὶ τὰς Ἀλκιδάμαντος κρύφα λαβόντα τὸν Δημοσθένη καταμαθεῖν.
Voici quelle fut, dit-on, l’occasion qui éveilla la vocation oratoire de Démosthène. L’orateur Callistratos devait plaider au tribunal dans le procès relatif à Oropos, et ces débats suscitaient une grande attente, en raison du talent de l’orateur, qui était alors à l’apogée de sa réputation, et en raison de l’affaire elle-même, dont on parlait beaucoup. Or, Démosthène, ayant entendu maîtres et pédagogues convenir entre eux d’assister à ce procès, persuada son propre pédagogue, à force de prières instantes, de le mener à l’audience. Celui-ci, ayant des accointances avec les appariteurs du tribunal, réussit à obtenir une place où l’enfant pourrait s’asseoir sans être remarqué et entendre les discours. Callistratos triompha et fut prodigieusement admiré. Démosthène envia sa gloire en voyant la foule l’escorter et le féliciter, mais il admira davantage encore la puissance de la parole, en observant qu’elle était capable de dompter et de dominer tout. Dès lors il abandonna les autres études et les occupations de l’enfance pour s’exercer et s’entraîner lui-même à l’éloquence, dans la pensée qu’il pourrait lui aussi devenir orateur.
Il prit Isée pour le guider vers l'art de la parole, bien qu'Isocrate tînt alors école. Certains prétendent qu'étant orphelin, il ne pouvait payer les dix mines qu'Isocrate avait fixées comme salaire de ses leçons, mais il est plus vraisemblable qu'il préféra l'éloquence d'Isée parce qu'il la jugeait efficace et pleine d'habileté pratique. Hermippos dit avoir trouvé des Mémoires anonymes où il était écrit que Démosthène avait étudié auprès de Platon et en avait retiré un grand profit pour ses discours ; il cite aussi Ctésibios, selon qui Démosthène aurait reçu secrètement de Callias de Syracuse et de certains autres les traités de rhétorique d'Isocrate et ceux d'Alcidamas et les aurait étudiés à fond.
Plutarque, Vies, XII "Démosthène", 5,
C.U.F., Les Belles Lettres,
ed. et trad. Robert Flacelière & Émile Chambry