Si le nom de Cicéron est bien connu de toute personne s’intéressant à l’Antiquité, nous ignorons parfois que Rome a vu naître, en réalité, deux Cicéron : le « Grand », Marcus, et son frère, Quintus. Alors que Marcus est candidat au consulat, en 64 av J.-C., Quintus rédige à son adresse un Petit mémoire pour une campagne électorale, dans lequel il cherche à décrire les rouages de la politique et à exposer les démarches attendues de tout candidat. Ce petit texte, qui a d’ailleurs permis à Marcus de remporter les élections, prend une actualité toute particulière en cette période, et La Vie des Classiques vous propose aujourd’hui d’en lire un passage : après avoir développé l’importance des liens avec ses « amis » en période de campagne, Quintus Cicéron en vient à la faveur populaire, et notamment à l’opinion publique qu’il convient de mettre de son côté.
Sequitur enim ut de rumore dicendum sit, cui maxime serviendum est. Sed quae dicta sunt omni superiore oratione, eadem ad rumorem concelebrandum valent, dicendi laus, studia publicanorum et equestris ordinis, hominum nobilium voluntas, adulescentulorum frequentia, eorum qui abs te defensi sunt adsiduitas, ex municipiis multitudo eorum quos tua causa venisse appareat, bene ut <te> homines nosse, comiter appellare, adsidue ac diligenter petere, benignum ac liberalem esse loquantur et existiment, domus ut multa nocte compleatur, omnium generum frequentia adsit, satisfiat oratione omnibus, re operaque multis, perficiatur id quod fieri potest labore et arte ac diligentia, non ut ad populum ab his hominibus fama perveniat sed ut in his studiis populus ipse versetur.
Iam urbanam illam multitudinem et eorum studia qui contiones tenent adeptus es in Pompeio ornando, Manili causa recipienda, Cornelio defendendo ; excitanda nobis sunt quae adhuc habuit nemo quiidem splendidorum hominum voluntates haberet. Efficiendum etiam illud est ut sciant omnes Cn. Pompei summam esse erga te voluntatem et vehementer ad illius rationes te id adsequi quod petis pertinere.
Postremo tota petitio cura ut pompae plena sit, ut inlustris, ut splendida, ut popularis sit, ut habeat summam speciem ac dignitatem, ut etiam, si qua possit <ratio>ne, competitoribus tuis exsistat aut sceleris aut libidinis aut largitionis accommodata ad eorum mores infamia.
Atque etiam in hac petitione maxime videndum est ut spes rei publicae bona de te sit et honesta opinio ; nec tamen in petendo res publica capessenda est neque in senatu neque in contione. Sed haec tibi sunt retinenda : ut senatus te existimet ex eo quod ita vixeris defensorem auctoritatis suae fore, equites R. et viri boni ac locupletes ex vita acta te studiosum oti ac rerum tranquillarum, multitudo ex eo quod dumtaxat oratione in contionibus ac iudicio popularis fuisti, te a suis commodis non alienum futurum.
Le moment est donc venu de dire un mot de l’opinion publique, qu’il faut particulièrement courtiser. D’ailleurs, ce que j’ai traité dans tout ce qui précède – ta gloire d’orateur, le soutien des publicains et de l’ordre équestre, la sympathie des nobles, le concours des jeunes gens, la présence assidue de ceux que tu as défendus, la foule des citoyens manifestement venus des municipes pour te soutenir – est aussi ce qui te permettra de cultiver l’opinion. Tels sont les atouts à mettre en avant pour que les gens disent et pensent que tu les connais bien, que tu t’adresses à eux de bonne grâce, que tu fais campagne assidûment et activement, que tu es bienveillant et généreux ; pour que ta maison soit remplie en pleine nuit ; pour qu’on y rencontre une foule de gens de toute origine, tous satisfaits de tes propos, beaucoup de tes actes et de tes services ; pour que tu puisses obtenir, grâce à tes efforts, à ton habileté́ et à ton activité, non pas que ta renommée parvienne au peuple par l’intermédiaire de ceux qui t’entourent, mais que le peuple de lui-même se trouve dans des sentiments identiques aux leurs.
Tu t’es déjà acquis la masse des électeurs urbains et le soutien des citoyens qui contrôlent les assemblées populaires en couvrant d’honneurs Pompée, en te chargeant de la cause de Manilius, en défendant Cornélius ; il nous faut renforcer ce soutien, dont n’a jusque-là bénéficié aucun candidat qui pût jouir en même temps de la sympathie des aristocrates. Il faut aussi faire connaître à tout le monde l’extrême sympathie de Pompée à ton égard et persuader chacun que le succès de ta candidature revêt une grande importance pour sa propre cause.
Enfin, veille à ce que toute ta campagne soit pleine de majesté, d’éclat, de magnificence, qu’elle soit agréable au peuple, qu’elle présente un lustre et une dignité exceptionnelles, et aussi, autant que possible, qu’il s’élève contre tes concurrents une rumeur scandaleuse de crime, de débauche ou de corruption bien en accord avec leurs mœurs.
De plus, dans cette campagne, il te faut mettre le plus grand soin à incarner les espérances de la République et à jouir d’une réputation d’honnêteté ; pourtant, pendant que tu fais campagne, tu ne dois pas intervenir dans les affaires de l’État, ni au Sénat, ni dans une réunion publique. Mais garde cette ligne de conduite : laisse à penser au Sénat, en raison de ton comportement passé, que tu défendras toujours son autorité ; aux chevaliers romains, aux « honnêtes gens » et aux riches, vu ta conduite antérieure, que tu soutiendras la paix et la tranquillité publique ; à la multitude, comme, du moins en paroles, tu as pris le parti du peuple dans les assemblées et en justice, que tu ne seras pas hostile à ses intérêts.
Quintus Cicéron, Petit mémoire pour une campagne électorale, 50-53
Fragments, Les Belles Lettres
trad. Antoine Sidoti et Christian Cheminade