Anthologie – Quel sale caractère ! (Théophraste)

17 mai 2022
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Image : Couverture de Théophraste, Caractères
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Si c’est au détour d’une rue que Michel Casevitz a rencontré les étymologies de nombreux mauvais garçons au centre de ses dernières chroniques, de tels personnages ne manquaient pas dans l’Antiquité gréco-romaine. C’est ainsi que les Caractères de Théophraste, auteur grec des IVe-IIIe s. av. J.-C., voient se succéder une trentaine de portraits où sont présentés tant les vices que les défauts humains, du fâcheux au flatteur en passant par le bavard, l’intempestif ou encore le vaniteux. C’est quelques-uns de ces types hauts en couleur que La Vie des Classiques vous propose aujourd’hui de lire.

XV – ΑΥΘΑΔΕΙΑΣ

Ἡ δὲ αὐθάδειά ἐστιν ἀπήνεια ὁμιλίας ἐν λόγοις, ὁ δὲ αὐθάδης τοιοῦτός τις, οἷος ἐρωτηθείς· « ὁ δεῖνα ποῦ ἐστιν ; » εἰπεῖν· « πράγματά μοι μὴ πάρεχε »· καὶ προσαγορευθεὶς μὴ ἀντιπροσειπεῖν· καὶ πωλῶν τι μὴ λέγειν τοῖς ὠνουμένοις, πόσου ἂν ἀποδοῖτο, ἀλλ᾽ ἐρωτᾶν, τί εὑρίσκει· καὶ τοῖς τιμῶσι καὶ πέμπουσιν εἰς τὰς ἑορτὰς εἰπεῖν, ὅτι οὐκ ἂν γένοιτο διδόμενα· καὶ οὐκ ἔχειν συγγνώμην οὔτε τῷ ἀπώσαντι αὐτὸν ἀκουσίως οὔτε τῷ ἐμβάντι· καὶ φίλῳ δὲ ἔρανον κελεύσαντι εἰσενεγκεῖν εἰπὼν ὅτι οὐκ ἂν δοίη, ὕστερον ἥκειν φέρων καὶ λέγειν, ὅτι ἀπόλλυσι καὶ τοῦτο τὸ ἀργύριον. Καὶ προσπταίσας ἐν τῇ ὁδῷ δεινὸς καταράσασθαι τῷ λίθῳ· καὶ οὐκ ἂν ὑπομεῖναι πολὺν χρόνον οὐθένα· καὶ οὔτε ᾆσαι οὔτε ῥῆσιν εἰπεῖν οὔτε ὀρχήσασθαι ἂν ἐθελῆσαι. Δεινὸς δὲ καὶ τοῖς θεοῖς μὴ ἐπεύχεσθαι…

XV – LE BRUTAL

La brutalité est un manque d’aménité dans les relations, qui se manifeste en paroles. Et voici quelle sorte d'homme est le brutal. Si vous lui demandez : « Un tel, où est-il ? » il vous répondra : « Laisse-moi tranquille ! » Le salue-t-on, il ne rend pas la politesse. Lorsqu'il vend quelque chose, au lieu de dire aux acheteurs : « J'en veux tant, » il leur demande : « Combien en offrez-vous ? » Aux personnes qui, pour lui faire honneur aux jours de fêtes, lui envoient des cadeaux, il déclare que ce ne sont pas là des dons gratuits. Il n'accepte pas les excuses d’un passant qui, involontairement, l’a poussé, ou lui a marché sur le pied. Un de ses amis l’engage à contribuer à un prêt d’amitié : « Je ne donnerai rien, » répond-il ; ce qui ne l’empêche pas de revenir ensuite apporter sa cotisation, tout en murmurant : « Voilà encore de l’argent perdu ! » Il ne heurte pas sur son chemin un caillou, sans l’accabler d’injures. Il ne saurait attendre longuement personne. Il ne daigne ni chanter, ni réciter des morceaux de poésie, ni danser. Il est homme même à ne pas prier les dieux…

XXIX – ΦΙΛΟΠΟΝΗΡΙΑΣ

Ἔστι δὲ ἡ φιλοπονηρία ἐπιθυμία κακίας, ὁ δὲ φιλοπόνηρός ἐστι τοιόσδε τις οἷος ἐντυγχάνειν τοῖς ἡττημένοις καὶ δημοσίους ἀγῶνας ὠφληκόσι καὶ ὑπολαμβάνειν, ἐὰν τούτοις χρῆται, ἐμπειρότερος γενήσεσθαι καὶ φοβερώτερος· καὶ ἐπὶ τοῖς χρηστοῖς εἰπεῖν ὡς γίγνεται καὶ φύσιν οὐδεὶς χρηστὸς καὶ ὁμοίους πάντας εἶναι, καὶ ἐπισκῶψαι δὲ ὃς χρηστός ἐστι· καὶ τὸν πονηρὸν δὲ εἰπεῖν ἐλεύθερον, ἐὰν διαβάλληταί τις εἰς π<ονηρίαν>, τὰ μὲν ἄλλα ὁμολογεῖν ἀληθῆ ὑπὲρ αὐτοῦ λέγεσθαι ὑπὸ τῶν ἀνθρώπων, ἔνια δὲ ἀνανεύειν· φῆσαι γὰρ αὐτὸν εὐφυῆ καὶ φιλέταιρον καὶ ἐπιδέξιον· καὶ διατείνεσθαι δὲ ὑπὲρ αὐτοῦ ὡς οὐκ ἐντετύχηκεν ἀνθρώπῳ ἱκανωτέρῳ· καὶ εὔνους δὲ εἶναι <αὐ>τῷ ἐν ἐκκλησίᾳ λέγοντι ἢ ἐπὶ δικαστηρίῳ κρινομένῳ. Καὶ πρὸς <τοὺς> καθημένους δὲ εἰπεῖν δεινὸς ὡς οὐ δεῖ τὸν ἄνδρα, ἀλλὰ τὸ πρᾶγμα κρίνεσθαι· καὶ φῆσαι αὐτὸν κύνα εἶναι τοῦ δήμου, φυλάττειν γὰρ αὐτὸν τοὺς ἀδικοῦντας· καὶ εἰπεῖν, ὡς « οὐχ ἕξομεν τοὺς ὑπὲρ τῶν κοινῶν ἀπεχθησομένους, ἂν τοὺς τοιούτους προώμεθα ». Δεινὸς δὲ καὶ προστατῆσαι φαύλων, καὶ συνηγορῆσαι ἐν δικαστηρίοις ἐπὶ πονηροῖς πράγμασιν, καὶ κρίσιν κρίνων ἐκδέχεσθαι τὰ ὑπὸ τῶν ἀντιδίκων λεγόμενα ἐπὶ τὸ χεῖρον.
[Καὶ τὸ ὅλον ἡ φιλοπονηρία ἀδελφή ἐστι τῆς πονηρίας, καὶ ἀληθές ἐστι τὸ τῆς παροιμίας, τὸ ὅμοιον πρὸς τὸ ὅμοιον πορεύεσθαι.]

XXIX – L’AMI DE LA CANAILLE

La φιλοπονηρία n'est autre chose que le goût du vice. Et voici quelle sorte d'homme est le φιλοπόνηρος (l'ami de la canaille). S'il est des individus qui, à la suite d’une condamnation dans un procès criminel, ont été frappés de dégradation civique, voilà la société qu'il fréquente, comptant en retirer plus d'expérience et les moyens de se faire craindre. Est-il question d’honnêtes gens, il soutient que l’honnêteté n’est pas dans l’ordre de la nature, et que tous les hommes se valent ; et il n’a que moqueries, quand il entend parler d’une personne « honnête ». Au fond, assure-t-il, le méchant homme n’est qu’un esprit libre de préjugés. Et, si on lance contre un tiers quelque imputation de ce genre, il accorde que tel ou tel reproche peut être fondé, mais pour le reste fait ses réserves : « C’est, déclare-t-il, un garçon plein d'esprit, bon camarade, débrouillard » ; et il assure n'avoir de sa vie rencontré un homme plus capable. Qu'un coquin ait à rendre des comptes dans l'assemblée ou à se défendre devant un tribunal, il prend pour lui fait et cause : « Ce n'est pas, dit-il à ses voisins, l'agent qu'il faut juger ; c’est le résultat. – Cet homme est le chien du peuple ; il monte la garde contre les délinquants. – Personne ne voudra plus s’exposer à la haine pour le bien de l'État, si nous sacrifions ces gens-là. » Il se fait le patron légal de tout ce qu'il y a de vil parmi les étrangers ; il est l’avocat de toutes les mauvaises causes ? ; quand il siège comme juge, il interprète toujours dans le sens du pire les accusations que se renvoient les deux parties.
[En un mot, le goût du vice est le frère du vice ; et le proverbe dit vrai : « qui se ressemble, s'assemble. »]

 

Théophraste, Caractères, XV et XXIX
C.U.F., Les Belles Lettres
ed. et trad. Octave Navarre