Traversez le mois de décembre avec les Anciens !
Du 1ᵉʳ au 24 décembre, laissez-vous emporter par la sagesse intemporelle des textes antiques. Chaque jour, découvrez une citation bilingue, soigneusement sélectionnée et traduite, accompagnée d’un éclairage unique par celles et ceux qui font et qui transmettent l'Antiquité aujourd'hui.
Ἔστιν θάλασσα – τίς δέ νιν κατασϐέσει ;
« Il y a la mer – et qui l’épuisera ? »
(Eschyle, Agamemnon, v. 958 ; trad. Paul Mazon)
Ces mots d’Eschyle s’imposent d’abord par leur évidence poétique : la mer est ici donnée comme une présence toujours disponible, invulnérable, opposant à l’usure du temps ses éternelles ressources…
Or dans le contexte de la tragédie Agamemnon, cette réplique de Clytemnestre vise à persuader son époux – hésitant devant la splendeur d’un tapis de pourpre assimilable aux honneurs divins – d’accomplir le pas fatal qui le mènera au palais où il va être assassiné. Cette phrase si séduisante revêt donc la couleur perfide d’un argument pernicieux : il y a la mer – et qui l’épuisera – la mer qui nourrit et toujours renouvelle la sève précieuse d’une pourpre infinie pour teindre nos étoffes.
Enfin pour les lecteurs d’aujourd’hui, elle prend encore une autre résonance : nous savons à nos dépens que la nature n’est pas au service de l’homme et que ses richesses ne sont pas infinies. Tant il est vrai que tout texte se modifie sous l’influence de ses lecteurs...
Jean-Paul Plantive