Pour échanger des nouvelles, les Anciens ne disposaient ni de réseaux sociaux, ni de cartes postales, mais ils pouvaient s’envoyer des lettres longues et travaillées dont certaines sont des chefs d’œuvre de simplicité et de sincérité. Tout au long de l’été, nous vous en proposons une sélection qui changera votre regard sur le quotidien des Anciens et, nous l’espérons, vous donnera envie d’écrire et de partager vos souvenirs de vacances avec ceux qui vous sont chers.
Sélection par Laure de Chantal, Dorian Flores et Dorian Furet
La vie du plus fameux des écrivains romains déborde de rebondissements, car cet avocat brillant fut de tous les combats, tant judiciaires que politiques ou philosophiques. Né à Arpinum, dans un municipe éloigné d’une centaine de kilomètres de Rome, Cicéron (106-43 av. J.-C.) voit le jour dans une famille de notables. Toutefois, comme Caton l’Ancien, qu’il admire, Cicéron est un « homme nouveau » (homo novus) : il est le premier de sa lignée à parcourir la carrière des honneurs jusqu’à son degré le plus élevé, le consulat, qu’il exerce en 63. Sa très riche correspondance nous le fait découvrir dans l’intimité tel qu’il devait être avec ses proches. Cicéron écrit à son frère d’une de ses 11 villas, sans compter les 9 pieds-à-terre qui lui servaient de relai-étape en chemin. En parallèle au mouvement d’extension de la puissance romaine et du développement des villes, se fait sentir le besoin d’un retour à la campagne pour y retrouver la nature, pour « toucher terre », voire méditer : au premier siècle av. J.-C., tous les néo-philosophes rêvent d’avoir leur propre jardin d’Épicure en miniature. Cicéron ne fait pas exception, et nous le découvrons en propriétaire méticuleux veillant à la joliesse d’un enduit, au rendement du chauffe-eau et à l’inspection du jardin.
Arpinum, puis Rome, septembre 54.
Marcus à son frère Quintus, salut.
J’ai réparé les fatigues des grandes chaleurs (nous n’avons pas souvenir d’en avoir vu de pires) dans ma villa d’Arpinum, en jouissant des agréments de la rivière, pendant le temps des jeux, après avoir confié les gens de ma tribu à Philotime. J’ai passé le 10 septembre dans l’Arcanum. J’y ai vu Mescidius et Philoxène, et l’eau qu’ils amenaient d’un point assez proche de la villa : elle coulait vraiment bien, surtout étant donnée l’extrême sécheresse, et ils pensent en recueillir notablement plus. Chez Hérus, cela va bien. Dans le Manilianum, j’ai trouvé un Diphile qui se surpasse lui-même en lenteur. Malgré tout, il ne lui reste plus à finir que les bains, la promenade et la volière. La villa m’a beaucoup plu, parce que le portique avec son pavement a tout à fait grand air : je ne m’en suis aperçu que cette fois-ci, maintenant que le portique est entièrement ouvert et que les colonnes ont été polies. Toute la question — et j’y veillerai — c’est que l’enduit soit joli. L’exécution des pavements me paraît bonne. Il y a certains plafonds voûtés qui ne m’ont pas plu et que j’ai fait modifier. Pour l’endroit du portique où tu écris, me dit-on, de faire un petit atrium, je l’aime mieux tel qu’il est. Il ne paraît pas y avoir assez de place pour un petit atrium ; cela ne se fait, en général, que dans les constructions où il en existe un grand ; enfin il ne peut pas comporter des chambres annexes et autres pièces de ce genre. Tel qu’il est à présent, cet endroit du portique tiendra lieu d’un bon cabinet voûté ou d’une excellente chambre d’été. Si toutefois tu es d’un autre avis, fais-le-moi savoir au plus tôt. Dans les bains, j’ai fait avancer l’étuve sèche dans l’autre angle de l’apodytérium, parce que, comme elle était placée, son calorifère, qui produit une vive chaleur, se trouvait sous les chambres de repos. Mais j’ai vivement approuvé qu’il y eût une chambre un peu grande, et une seconde pour l’hiver, parce qu’elles sont de belles proportions et bien placées, sur un des côtés de la promenade, celui qui est le plus proche des bains. Diphile avait placé des colonnes qui n’étaient ni droites ni bien alignées ; il les abattra : cela lui apprendra à se servir une autre fois du fil à plomb et du cordeau. J’espère en tout cas que le travail de Diphile sera achevé d’ici peu de mois : car Césius, qui était avec moi ce jour-là, y veille de très près.
Cicéron, Correspondance, 145 (= Q. fr., III, 1, I),
« Editio minor », Les Belles Lettres,
trad. Léopold-Albert Constans, Jean Bayet et Jean Beaujeu