Pour échanger des nouvelles, les Anciens ne disposaient ni de réseaux sociaux, ni de cartes postales, mais ils pouvaient s’envoyer des lettres longues et travaillées dont certaines sont des chefs d’œuvre de simplicité et de sincérité. Tout au long de l’été, nous vous en proposons une sélection qui changera votre regard sur le quotidien des Anciens et, nous l’espérons, vous donnera envie d’écrire et de partager vos souvenirs de vacances avec ceux qui vous sont chers.
Sélection par Laure de Chantal, Dorian Flores et Dorian Furet
La vie du plus fameux des écrivains romains déborde de rebondissements, car cet avocat brillant fut de tous les combats, tant judiciaires que politiques ou philosophiques. Né à Arpinum, dans un municipe éloigné d’une centaine de kilomètres de Rome, Cicéron (106-43 av. J.-C.) voit le jour dans une famille de notables. Toutefois, comme Caton l’Ancien, qu’il admire, Cicéron est un « homme nouveau » (homo novus) : il est le premier de sa lignée à parcourir la carrière des honneurs jusqu’à son degré le plus élevé, le consulat, qu’il exerce en 63. Sa très riche correspondance nous le fait découvrir dans l’intimité tel qu’il devait être avec ses proches. Cicéron écrit à son frère d’une de ses 11 villas, sans compter les 9 pieds-à-terre qui lui servaient de relai-étape en chemin. En parallèle au mouvement d’extension de la puissance romaine et du développement des villes, se fait sentir le besoin d’un retour à la campagne pour y retrouver la nature, pour « toucher terre », voire méditer : au premier siècle av. J.-C., tous les néo-philosophes rêvent d’avoir leur propre jardin d’Épicure en miniature. Cicéron ne fait pas exception, et nous le découvrons en propriétaire méticuleux veillant à la joliesse d’un enduit, au rendement du chauffe-eau et à l’inspection du jardin.
Astura, 4 mai 45.
J’ai reçu hier deux messages de toi, l’un confié la veille à Hilarus, l’autre hier à un courrier, et j’ai appris ce même jour par mon affranchi Égypta que Pilia et Attica se portaient comme des charmes : leur lettre m’a été remise deux jours après être partie de ma propriété de Cumes. Merci de m’avoir transmis la lettre de Brutus ; il m’a écrit à moi aussi ; je t’envoie ci-joint l’original de son message et une copie de ma réponse.
Pour le sanctuaire, si tu ne me trouves vraiment pas de « jardins » — mais tu devrais en trouver, si je te suis aussi cher que je le suis certainement —, j’approuve fort tes raisons en faveur de ma propriété de Tusculum. Si avisé sois-tu dans tes réflexions — et combien tu l’es ! —, cette idée n’aurait jamais pu te venir avec tant de bonheur à l’esprit, si tu n’avais pas le souci majeur que j’obtienne ce que je désire ardemment. Mais, sans que je sache bien pourquoi, je tiens à un endroit fréquenté ; aussi faut-il absolument que tu me négocies des « jardins ». Ceux de Scapula sont dans un endroit très fréquenté, en outre ils sont proches de la Ville, ce qui permet d’éviter la journée entière dans une maison de campagne. Aussi voudrais-je à tout prix qu’avant ton départ tu rencontres Othon, s’il est à Rome. Si cela ne donne rien, bien que tu aies l’habitude de supporter mon extravagance, j’irai cette fois jusqu’à te mettre en colère : en effet, Drusus veut sûrement vendre ; par conséquent, à défaut de toute autre solution, ce ne sera pas ma faute si j’achète. Épargne-moi ce faux-pas, je t’en prie ; or le seul moyen de me l’épargner, c’est que nous trouvions une possibilité pour le domaine de Scapula. Et ne manque pas de me faire savoir, s’il te plaît, combien de temps tu vas passer dans ta maison des environs.
Cicéron, Correspondance, 618 (= Att., XII, 37),
« Editio minor », Les Belles Lettres,
trad. Léopold-Albert Constans, Jean Bayet et Jean Beaujeu