Lettres Classiques estivales – Cicéron (Jour 5)

26 juillet 2024
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Image : Lettres Classiques estivales - Cicéron
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Pour échanger des nouvelles, les Anciens ne disposaient ni de réseaux sociaux, ni de cartes postales, mais ils pouvaient s’envoyer des lettres longues et travaillées dont certaines sont des chefs d’œuvre de simplicité et de sincérité. Tout au long de l’été, nous vous en proposons une sélection qui changera votre regard sur le quotidien des Anciens et, nous l’espérons, vous donnera envie d’écrire et de partager vos souvenirs de vacances avec ceux qui vous sont chers.

Sélection par Laure de Chantal, Dorian Flores et Dorian Furet

 

La vie du plus fameux des écrivains romains déborde de rebondissements, car cet avocat brillant fut de tous les combats, tant judiciaires que politiques ou philosophiques. Né à Arpinum, dans un municipe éloigné d’une centaine de kilomètres de Rome, Cicéron (106-43 av. J.-C.) voit le jour dans une famille de notables. Toutefois, comme Caton l’Ancien, qu’il admire, Cicéron est un « homme nouveau » (homo novus) : il est le premier de sa lignée à parcourir la carrière des honneurs jusqu’à son degré le plus élevé, le consulat, qu’il exerce en 63. Sa très riche correspondance nous le fait découvrir dans l’intimité tel qu’il devait être avec ses proches. Cicéron écrit à son frère d’une de ses 11 villas, sans compter les 9 pieds-à-terre qui lui servaient de relai-étape en chemin. En parallèle au mouvement d’extension de la puissance romaine et du développement des villes, se fait sentir le besoin d’un retour à la campagne pour y retrouver la nature, pour « toucher terre », voire méditer : au premier siècle av. J.-C., tous les néo-philosophes rêvent d’avoir leur propre jardin d’Épicure en miniature. Cicéron ne fait pas exception, et nous le découvrons en propriétaire méticuleux veillant à la joliesse d’un enduit, au rendement du chauffe-eau et à l’inspection du jardin.

 

(lettre précédente)

Astura, 19 mars 45.

Je pensais que tu allais me donner des nouvelles, puisque tu commençais ta lettre en m’annonçant que, malgré mon indifférence pour les événements d’Espagne, tu m’en parlerais néanmoins. Mais je constate qu’en fait tu as répondu à ma lettre, par exemple en évoquant le Forum et la Curie ; soit, ma maison de Rome est, comme tu le dis, un vrai Forum ; quel besoin ai-je, précisément, d’une maison en Ville, si je suis privé du Forum ? Je suis anéanti, Atticus, anéanti, depuis longtemps, c’est bien certain, mais je ne l’avoue que maintenant, depuis que j’ai perdu le seul lien qui me retenait. C’est pourquoi je recherche des lieux déserts ; néanmoins, si un motif quelconque m’amène à Rome, je m’efforcerai, autant que je le pourrai — mais je le pourrai — de ne laisser voir ma douleur qu’à toi, et, si possible, même pas à toi. Mais il y a encore une autre raison de ne pas y aller : tu te rappelles la question que t’a posée Alédius. Des gens qui se montrent importuns même à présent, de quoi ne les crois-tu pas capables si je reviens ?

[…]

Le prix que tu m’indiques pour les « jardins » de Drusus m’est également venu aux oreilles, et je t’en ai parlé, me semble-t-il, dans ma lettre d’hier ; mais, à n’importe quel prix, un achat est bon, quand il est indispensable. Quoi que tu en penses de ton côté — je sais bien ce que, du mien, je pense de moi —, ce projet m’apporte un certain allègement, sinon de ma douleur, du moins de ma dette morale. J’ai écrit à Sicca, parce qu’il est en relation avec L. Cotta. Si l’on n’arrive à rien pour les « jardins » de la Rive droite, Cotta possède une propriété près d’Ostie, dans un endroit très fréquenté, mais une toute petite surface, plus que suffisante néanmoins pour ce monument. Penses-y, s’il te plaît. Mais ne te laisse pas effrayer par ces prix des « jardins » ; je n’ai plus besoin d’argenterie, ni d’étoffes, ni de tel ou tel lieu particulièrement agréable ; c’est de cela que j’ai besoin. Je vois même quelles personnes pourraient m’aider. Mais parle à Silius ; il n’y a pas meilleure solution. J’ai donné la mission également à Sicca : il m’a répondu qu’il avait rendez-vous avec lui. Il m’écrira donc ce qu’il aura fait, et tu aviseras de ton côté.

Cicéron, Correspondance, 601 (= Att., XII, 23),
« Editio minor », Les Belles Lettres,
trad. Léopold-Albert Constans, Jean Bayet et Jean Beaujeu