Lettres Classiques estivales – Ovide (Jour 2)

9 juillet 2024
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Image : Lettres Classiques estivales - Ovide
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Pour échanger des nouvelles, les Anciens ne disposaient ni de réseaux sociaux, ni de cartes postales, mais ils pouvaient s’envoyer des lettres longues et travaillées dont certaines sont des chefs d’œuvre de simplicité et de sincérité. Tout au long de l’été, nous vous en proposons une sélection qui changera votre regard sur le quotidien des Anciens et, nous l’espérons, vous donnera envie d’écrire et de partager vos souvenirs de vacances avec ceux qui vous sont chers.

Sélection par Laure de Chantal, Dorian Flores et Dorian Furet

 

Ovide (43 av. J.-C. - c. 18 apr. J.-C.), le plus grec des poètes latins, vouait un amour privilégié à la poétesse grecque Sappho avec qui il partageait le culte de Vénus et l’inspiration érotique. Virtuose et prolifique, Ovide s’est passionné pour tous les genres dont le genre épistolaire. Les Héroides, commencées à l’âge de dix-huit ans et qu’il poursuivit toute sa vie, imaginent les lettres d’amour écrites par les héroïnes de la mythologie à leurs amants, de Pénélope à Didon, en passant par Sappho qui fait une fois de plus exception puisqu’elle est la seule ayant réellement existé (encore qu’à l’époque d’Ovide elle était déjà considérée comme la Xe Muse). Elle s’adresse ici au passeur Phaon pour l'amour de qui elle est sur le point de se suicider.

 

(passage précédent)

Maintenant viennent à toi les filles de Sicile, proie nouvelle. Qu’ai-je à faire de Lesbos ? Je veux être Sicilienne ou bien vous, femmes de l’île, filles de l’île, renvoyez de votre territoire ce fugitif et ne vous laissez pas tromper aux mensonges de sa langue caressante : ce qu’il vous dit, il me l’avait dit avant. Et toi, déesse de l’Éryx, qui habites les monts de Sicile, protège ta poétesse, car je suis tienne.

Est-ce que la Fortune ennemie poursuit la tâche commencée, et, dans sa course, me demeure toujours si cruelle ? Six fois mon jour natal avait lui, quand les ossements de mon père, prématurément recueillis, burent mes larmes. Mon frère, ensuite, brûla, vaincu par l’amour d’une courtisane ; il en retira la ruine, jointe à la honte du déshonneur. Pauvre désormais, il parcourt de sa rame agile les plaines azurées ; ses richesses honteusement perdues, maintenant il cherche à les recouvrer par des moyens honteux. Moi aussi, parce que souvent je lui donnai de bons conseils, il me hait ; voilà ce que me valut ma franchise, ce que me valut la droiture de mon langage. Et comme si les tracas, qui sans cesse m’assiègent, risquaient de finir, ma fille, une enfant, met le comble à mes soucis. Dernière cause de mes plaintes, tu surviens. Non, ma barque n’est pas poussée par un vent propice.

Voilà que gisent épars sur mon cou mes cheveux sans apprêt ; une gemme brillante ne presse pas mon doigt. Je me couvre d’un grossier vêtement ; point d’or dans mes boucles ; dans ma chevelure plus de parfums d’Arabie. Pour qui me parer, malheureuse ? À qui m’efforcer de plaire ? L’unique auteur de ma parure est loin. Mon cœur est tendre et pénétrable aux flèches légères ; toujours il est une cause pourquoi j’aime toujours, soit que les Sœurs m’aient dicté cette loi dès ma naissance et qu’elles n’aient pas doté ma vie de fils austères, soit que nos travaux influent sur notre vie et que Thalie, en m’enseignant son art, ait attendri mon cœur.

Quoi d’étonnant si l’âge du premier duvet, si les années qu’un homme peut aimer m’ont entraînée ? Aurore, je craignais que tu ne l’enlevasses au lieu de Céphale, et tu l’aurais fait ; mais ta première conquête te retient. S’il était vu par celle qui voit tout, par Phébé, Phaon serait condamné à un sommeil éternel. Vénus l’eût emporté dans le ciel sur son char d’ivoire ; mais elle voit qu’il peut aussi plaire à son Mars. Ô point jeune homme encore et déjà plus enfant, âge bienvenu, ô l’ornement et la grande gloire de ton époque, accours vers moi, beauté, et retombe sur mon sein. Je ne te demande pas d’aimer, mais de te laisser aimer. J’écris et mes yeux se mouillent de larmes naissantes. Regarde, en cet endroit, que de taches humides. Si tu étais tellement décidé à partir d’ici, tu devais partir plus décemment et me dire : « Fille de Lesbos, adieu. » Avec toi, tu n’as pas emporté mes larmes, ni mes derniers baisers ; enfin je n’ai pas connu la crainte de ce que j’allais déplorer. Rien de toi n’est avec moi, rien, sauf l’affront ; et toi, de ton amante, tu n’as pas un gage qui la rappelle. Je ne t’ai pas fait de recommandations, et d’ailleurs, de recommandations je ne t’en aurais fait aucune, sinon que tu veuilles ne pas m’oublier.

(passage suivant)

Ovide, Héroïdes, XV, 51-106,
« Classiques en poche », Les Belles Lettres,
trad. Marcel Prévost