Lettres Classiques estivales – Ovide (Jour 4)

11 juillet 2024
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Image : L'été postal - Ovide
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Pour échanger des nouvelles, les Anciens ne disposaient ni de réseaux sociaux, ni de cartes postales, mais ils pouvaient s’envoyer des lettres longues et travaillées dont certaines sont des chefs d’œuvre de simplicité et de sincérité. Tout au long de l’été, nous vous en proposons une sélection qui changera votre regard sur le quotidien des Anciens et, nous l’espérons, vous donnera envie d’écrire et de partager vos souvenirs de vacances avec ceux qui vous sont chers.

Sélection par Laure de Chantal, Dorian Flores et Dorian Furet

 

Ovide (43 av. J.-C. - c. 18 apr. J.-C.), le plus grec des poètes latins, vouait un amour privilégié à la poétesse grecque Sappho avec qui il partageait le culte de Vénus et l’inspiration érotique. Virtuose et prolifique, Ovide s’est passionné pour tous les genres dont le genre épistolaire. Les Héroides, commencées à l’âge de dix-huit ans et qu’il poursuivit toute sa vie, imaginent les lettres d’amour écrites par les héroïnes de la mythologie à leurs amants, de Pénélope à Didon, en passant par Sappho qui fait une fois de plus exception puisqu’elle est la seule ayant réellement existé (encore qu’à l’époque d’Ovide elle était déjà considérée comme la Xe Muse). Elle s’adresse ici au passeur Phaon pour l'amour de qui elle est sur le point de se suicider.

 

(passage précédent)

Il est une fontaine sacrée, limpide et plus transparente qu’un ruisseau de cristal ; beaucoup pensent qu’une divinité l’habite. Au-dessus un aquatique lotos étend ses rameaux : à lui seul c’est un bois. Un tendre gazon verdit le sol. Là, comme en pleurs, j’avais reposé mes membres fatigués, une Naïade se dressa devant mes yeux. Elle se dressa et dit : « Puisque tu brûles de feux non partagés, il faut te rendre dans la contrée d’Ambracie, Phébus, d’une hauteur, aperçoit la mer aussi loin qu’elle s’étend : les peuples l’appellent mer d’Actium et de Leucade. De là s’est précipité Deucalion, enflammé d’amour pour Pyrrha, et son corps plongea dans les eaux sans dommage. Aussitôt l’amour retourné transperce le cœur si insensible de Pyrrha ; Deucalion fut délivré de sa flamme. Telle est la propriété de ce lieu. Gagne sur-le-champ les hauteurs de Leucade et n’aie pas peur de sauter en bas du rocher. » Sur ce conseil, elle se tut et disparut. Moi je me lève toute froide et mes yeux ne retinrent plus mes larmes. J’irai, ô nymphe, je gagnerai ces roches que tu me montres. Arrière la crainte, vaincue par le fol amour. Quoi qu’il en soit, il en sera mieux qu’à présent, Air, soutiens-moi ; ce mien corps ne pèse pas bien lourd. Toi aussi, tendre Amour, interpose tes ailes sous ma chute pour que ma mort ne soit pas reprochée aux eaux de Leucade. En retour, je consacrerai, en offrande à Phébus, la lyre qui nous est commune, et dessous alterneront ces deux vers : « Reconnaissante, ô Phébus, Sapho la poétesse t’a consacré une lyre ; elle convient à moi ; elle convient à toi. »

Mais pourquoi m’envoyer, malheureuse, sur les côtes d’Actium, quand il ne tient qu’à toi de me ramener tes pas fugitifs ? Tu peux, toi, m’être plus salutaire que les ondes de Leucade ; par ta beauté comme par tes bienfaits, c’est toi qui, pour moi, seras Phébus. Ou bien peux-tu, ô plus cruel que les rochers et que n’importe quelle onde, avoir, si je meurs, la responsabilité de mon trépas ? Ah ! combien mon cœur, plutôt que de se donner aux roches d’un précipice, saurait mieux s’unir à toi ! C’est lui, Phaon, lui que tu louais volontiers, et qui, tant de fois, t’a paru génial. Maintenant je me voudrais éloquente ; la douleur fait obstacle à l’art et tout mon génie est écrasé sous mes malheurs. Les forces d’autrefois ne me répondent plus pour composer des vers ; de douleur mon luth se tait, ma lyre est muette de douleur.

(passage suivant)

Ovide, Héroïdes, XV, 157-198,
« Classiques en poche », Les Belles Lettres,
trad. Marcel Prévost