Redécouvrez, tout au long du mois de l'été, les mille et une facettes de l’œuvre merveilleuse du poète latin Ovide, au travers de quinze textes spécialement sélectionnés pour vous, Amis des Classiques : nature, femmes et amours sont au rendez-vous !
La Cité engloutie est un thème esthétique capable de nourrir la poésie, qui, par son étrange toute-puissance, en grandit le pouvoir expressif et en exploite l’exceptionnelle capacité évocatrice.
Dès que la nature nous donne à voir, à travers un paysage actuel, un autre paysage disparu ou recouvert, la poésie sait recueillir le tremblement intérieur de ce regard pour mobiliser une nostalgie qui transfigure le monde, et envahit le moi. L’un des plus grands poètes de l’Antiquité, Ovide, sait recueillir et décrire les émotions qui accompagnent le retour sur ces grands cataclysmes au chant XV de ses célèbres Métamorphoses.
Vidi ego, quod fuerat quondam solidissima tellus,
esse fretum, uidi factas ex aequore terras ;
et procul a pelago conchae iacuere marinae
et uetus inuenta est in montibus ancora summis ;
quodque fuit campus, uallem decursus aquarum
fecit, et eluuie mons est deductus in aequor
eque paludosa siccis humus aret harenis ;
quaeque sitim tulerant stagnata paludibus ument.
Hic fontes natura nouos emisit, at illic
clausit ; et antiquis tam multa tremoribus orbis
flumina prosiliunt, aut exsiccata residunt.
Sic ubi terreno Lycus est epotus hiatu,
existit procul hinc alioque renascitur ore ;
sic modo combibitur, tecto modo gurgite lapsus
redditur Argolicis ingens Erasinus in aruis.
Et Mysum capitisque sui ripaeque prioris
paenituisse ferunt, alia nunc ire Caicum ;
nec non Sicanias uoluens Amenanus harenas
nunc fluit, interdum suppressis fontibus aret.
Ante bibebatur, nunc, quas contingere nolis,
fundit Anigros aquas, postquam, (nisi uatibus omnis
eripienda fides), illic lauere bimembres
uulnera, Clauigeri quae fecerat Herculis arcus.
Quid ? Non et Scythicis Hypanis de montibus ortus,
qui fuerat dulcis, salibus uitiatur amaris ?
Fluctibus ambitae fuerant Antissa Pharosque
et Phoenissa Tyros, quarum nunc insula nulla est.
Leucada continuam ueteres habuere coloni,
nunc freta circumeunt ; Zancle quoque iuncta fuisse
dicitur Italiae, donec confinia pontus
abstulit et media tellurem reppulit unda.
Si quaeras Helicen et Burin, Achaidas urbes,
inuenies sub aquis ; et adhuc ostendere nautae
inclinata solent cum moenibus oppida mersis.
Est prope Pittheam tumulus Troezena, sine ullis
arduus arboribus, quondam planissima campi
area, nunc tumulus ; nam (res horrenda relatu)
uis fera uentorum, caecis inclusa cauernis,
exspirare aliqua cupiens luctataque frustra
liberiore frui caelo, cum carcere rima
nulla foret toto nec peruia flatibus esset,
extentam tumefecit humum, ceu spiritus oris
tendere uesicam solet aut derepta bicorni
terga capro ; tumor ille loci permansit et alti
collis habet speciem longoque induruit aeuo.
Moi-même j’ai vu une mer qui avait remplacé une terre jadis très solide ; j’ai vu des terres qui avaient remplacé la mer ; on a trouvé sur le sol, bien loin des flots, des coquilles marines et de vieilles ancres au sommet des montagnes ; de ce qui était un champ une inondation a fait parfois une vallée et un torrent débordé a forcé une montagne à descendre dans la plaine ; tel terrain où il y avait un marais est aujourd’hui desséché, couvert de sables arides et sur d’autres qui avaient souffert de la soif s’étendent les eaux stagnantes d’un marécage. Ici la nature a ouvert de nouvelles sources, là elle en a fermé ; et combien de fleuves, par l’effet d’anciens tremblements de terre, jaillissent du sol, tandis que d’autres s’y enfoncent laissant leur lit à sec ! C’est ainsi que le Lycus, absorbé dans la terre béante, en ressort à une grande distance et renaît au jour par une autre ouverture ; c’est ainsi encore qu’après avoir été bu par le sol, après avoir coulé dans un gouffre souterrain, le puissant Erasinus est enfin rendu aux campagnes d’Argos. En Mysie, le Caïque, dégoûté, dit-on, de sa source et de ses rives premières, a changé de direction ; tantôt l’Amenanus se précipite, en charriant dans son cours les sables de la Sicile, tantôt, ses sources taries, il laisse son lit à sec. Jadis on buvait les eaux que verse au loin l’Anigros ; personne ne voudrait plus y toucher, depuis le jour où, s’il faut en croire les poètes, les monstres à la double forme y ont lavé les blessures que leur avait faites l’arc d’Hercule, le héros armé de la massue. Eh quoi ! l’Hypanis, qui, sorti des montagnes de la Scythie, ne roule d’abord que de l’eau douce, n’est-il pas altéré ensuite par des sels amers ? les flots entouraient Antissa, Pharos et Tyr la Phénicienne ; aujourd’hui ce ne sont plus des îles. Leucade faisait partie du continent, au temps de ses habitants primitifs ; aujourd’hui la mer l’environne ; Zanclé, elle aussi, était, dit-on, réunie à l’Italie, avant que les limites de cette ville fussent emportées par les vagues et que l’eau eût, de chaque côté, repoussé la terre. Si vous cherchez Hélicé et Buris, villes de l’Achaïe, vous les trouverez sous les flots ; les matelots montrent encore leurs ruines, entourées de leurs remparts submergés. Près de Trézène, où règne Pitthée, s’élève une colline sans arbres ; il y avait là jadis une plaine entièrement découverte ; aujourd’hui c’est une colline ; par un prodige dont le seul récit fait frémir, des vents d’une violence terrible, enfermés dans des cavernes cachées à tous les regards, cherchèrent une issue par où leur souffle pût se déchaîner ; ayant vainement lutté pour se donner libre carrière à l’air libre et ne trouvant pas dans toute leur prison une seule fente qui pût livrer passage à leur haleine, ils tendirent et gonflèrent la surface du sol, comme un souffle de notre bouche tend une vessie ou une outre, dépouille d’un bouc au front cornu ; le terrain en est resté gonflé ; il présente l’aspect d’une haute colline et il s’est durci avec le temps.
Ovide, Métamorphoses, XV, v. 261-306
C.U.F., Les Belles Lettres
ed. et trad. Henri Le Bonniec & Georges Lafaye