Une semaine de culture G – Relier le monde

20 juin 2023
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À l’occasion de la parution, aux éditions Les Belles Lettres, de Un été de culture G pour toute la vie, le dernier ouvrage de Florence Braunstein et Jean-François Pépin, nous vous proposons cette semaine d’en lire quelques belles pages. Découvrez aujourd’hui un extrait du troisième chapitre, intitulé « Parcourir et découvrir la Terre », et plus spécifiquement de la deuxième partie « Revenir aux sources ».

 

Longtemps avant de le connaître dans sa totalité, les hommes, dès l’Antiquité, veulent relier les différentes parties du monde. Dès lors qu’une mer peut être mise en contact avec une autre, ils envisagent de les mettre en communication par un canal, au prix de travaux pharaoniques, achevés véritablement en réalité au XIXe siècle, quand le progrès technique les rend réalisables. Trois exemples sont particulièrement révélateurs de cette volonté d’aller plus vite pour la circulation des hommes, les échanges commerciaux et la guerre : le canal de Corinthe, celui de Suez, celui de Panama.

 

Déjà les Grecs, l’isthme de Corinthe

L’isthme de Corinthe sépare deux golfes, celui de Saronique et celui de Corinthe, par une bande de terre d’environ 6 km de large. Il relie également la Grèce continentale au Péloponnèse. C’est donc d’abord une voie militaire qu’il convient de contrôler. Les Grecs eux-mêmes envisagent, à plusieurs reprises, de barrer l’isthme d’un mur, contrôlant le passage de Grèce continentale au Péloponnèse et viceversa. En réalité, il est réalisé tardivement par les Romains et connu sous le nom de mur de l’Hexamilion, ou « mur des six milles ».

 

L’Hexamilion

Le mur de l’Hexamilion, dont d’importants vestiges subsistent toujours, dresse un obstacle au franchissement de l’isthme de Corinthe, car il s’étend du golfe de Corinthe à l’ouest à celui de Saronique à l’est. C’est un important ensemble architectural composé du mur luimême, structure de pierre enserrant en son milieu des matériaux de remblais, de tours de guet, d’une forteresse. Édifié au début du Ve siècle, sous le règne de Théodose II, empereur romain d’Orient entre 408 et 450, sa finalité première est d’arrêter les invasions barbares. En effet, en 396, le roi wisigoth Alaric (v. 370-410) prend et pille Athènes, avant de se livrer au sac de Rome en 410. Doté de nouvelles fortifications et de tours sous Justinien (482-565), restauré au début du XVe siècle par les empereurs byzantins, le mur de l’Hexamilion cède sous les assauts des Turcs en route vers Constantinople. La cité conquise en 1453, ils abandonnent le mur.

 

Le diolkos

Si les hommes tentent, bien en vain, de fermer le passage terrestre par l’isthme de Corinthe, ils veulent très tôt trouver un moyen de le faire franchir à leurs navires, afin de passer du golfe de Corinthe et de la mer ionienne à celui de Saronique et à la mer Égée. L’enjeu est de taille, éviter de contourner les 400 km de côtes du Péloponnèse, soit une dizaine de jours de navigation. Les Grecs, à défaut de pouvoir percer l’isthme, créent donc, dès la fin du VIIe siècle av. J.-C., une voie de halage connue comme le diolkos, le « portage à travers ». Sur une distance d’environ 8 km, le navire était d’abord hissé sur une plate-forme à roues puis tracté à l’aide de poulies. Il était aussi possible de ne transporter que les marchandises, avant de les embarquer sur un autre navire. Une partie du parcours, étendue sur environ 1 km, est encore visible aujourd’hui. Destiné pour l’essentiel aux bateaux de commerce, le diolkos est aussi utilisé pour des raisons stratégiques : en 31 av. J.-C., après sa victoire navale à Actium sur Antoine, Octave l’utilise pour le passage de ses navires les plus légers et rapides, les liburnes, afin de le poursuivre. Le diolkos cesse d’être utilisé peu après, au cours du Ier siècle de notre ère.

 

Le canal de Corinthe du XIXe siècle

C’est l’empereur romain Néron, qui aurait, le premier, voulu le creusement du canal de Corinthe, en 67 de notre ère. Après sa mort, le projet est abandonné jusqu’au XIXe siècle. Depuis son indépendance, en 1830, le Grèce caresse l’idée de cette réalisation, d’autant plus que l’Égypte inaugure le canal de Suez en 1869. C’est un militaire et ingénieur hongrois, István Türr (1825-1908), associé au banquier français Jacques de Reinach (1840- 1892), déjà engagé dans la réalisation du canal de Panama, qui se voient attribuer le chantier. Ils fondent en 1882 la Société internationale du canal de Corinthe. Les travaux démarrent cette même année. Mais les coûts se révèlent bien plus grands que les estimations réalisées, et les actionnaires se font rares, surtout après le scandale de Panama de février 1889. La Société fait faillite quelques mois plus tard. Les travaux s’interrompent. Une nouvelle société, grecque cette fois, les reprend en 1890 et les achève en 1893. L’inauguration du canal de Corinthe prend place le 25 juillet 1893, en présence du roi Georges Ier de Grèce, un prince danois élu roi des Hellènes en 1863. Long de 6 km, large de 24 m, profond de 8 m, le canal de Corinthe est essentiellement utilisé par les navires de tourisme et petits paquebots de croisière qui sillonnent la mer Égée.

 

Qui veut la Grèce, elle est à prendre

C’est à partir de 1821 que les Grecs entament la longue guerre d’indépendance qui les conduit à secouer définitivement le joug de l’Empire ottoman, en 1830. Les nationalistes grecs savent que l’aide et la reconnaissance de l’Europe dépendent du choix du régime à venir, obligatoirement une monarchie conformément à l’usage du temps le plus répandu, et au choix du monarque. Les cours européennes regorgent de candidats, et l’élection au trône de Grèce, commencée en 1822, n’est achevée que dix ans plus tard. L’heureux élu a 17 ans et est le second fils du roi de Bavière, Otto Friedrich Ludwig von Wittelsbach. Légèrement sourd et un peu bègue, il n’est que le choix par défaut des grandes puissances européennes, leur candidat favori, Léopold de Saxe-Cobourg Gotha préférant devenir roi des Belges en 1831. Contrairement à ses sujets, le nouveau roi des Hellènes, proclamé sous le nom d’Othon Ier, reste catholique alors qu’ils sont orthodoxes, et ne parle pas un mot de grec. Autoritaire, désireux de régner en monarque absolu, Othon Ier finit par être balayé par une révolution en 1862. Il retourne en Bavière jusqu’à sa mort, en 1867.
La Grèce est de nouveau sans roi. Elle se tourne alors vers un prince danois, Guillaume de Schleswig-Holstein-Sonderbourg-Glücksbourg. Il est élu en 1863 et prend le nom de Georges Ier. Il apprend rapidement le grec et s’initie à la culture nationale, s’attirant vite la sympathie d’un peuple qu’il n’hésite pas à côtoyer dans les rues d’Athènes. Il est le fondateur de la dynastie royale de Grèce, qui règne de 1863 à 1924, puis de 1935 à 1973. À cette date, le sixième et dernier roi des Hellènes, Constantin II, est déposé.

 

 

Florence Braunstein et Jean-François Pépin, Un été de culture G pour toute la vie, p. 112-113,
Les Belles Lettres, 2023