Traversez le mois de décembre avec les miracles des Anciens et des Modernes !
Du 1er au 24 décembre, découvrez chaque jour un extrait miraculeux d’un auteur antique ou un texte original d’un philologue moderne.
En 69 après Jésus-Christ Vespasien, gouverneur de Judée, décide de tenter sa chance dans la course au pouvoir. Avant même qu’il arrive en Italie, ses généraux lui assurent la victoire et le Sénat le proclame empereur. Il séjourne alors pendant plusieurs mois à Alexandrie pour y garantir le ravitaillement en blé à destination de la péninsule. C’est pendant ce laps de temps qu’il accomplit deux actes prodigieux, voire miraculeux, si marquants que trois historiens, Tacite, Suétone et Cassius Dion nous les rapportent : un aveugle et un boiteux viennent à lui pour qu’il les guérisse, suivant ce que le dieu Sérapis leur a recommandé en songe. Devant une foule nombreuse, Vespasien applique alors sa salive sur les yeux du premier, touche la jambe du second avec son propre pied, et tous deux disent adieu à leur handicap !
Si on laisse de côté l’hypothèse d’un authentique miracle accompli par un dieu à travers la personne de Vespasien, s’agirait-il d’une mise en scène dont le prétendu aveugle et le soi-disant boiteux auraient été complices ? Un tel événement tombe en effet à point nommé pour contribuer à rallier définitivement à Vespasien les habitants de la province d’Égypte : assurément ils soutiendront l’homme par qui se manifeste la puissance de Sérapis, ce dieu guérisseur entouré d’un culte si fervent. Tacite, écrivant que la cécité de l’un des deux malheureux était bien connue depuis longtemps dans le petit peuple d’Alexandrie, ne souscrit visiblement pas à cette hypothèse du subterfuge, mais ses mots suggèrent une autre piste : selon lui en effet, un collège de médecins aurait affirmé à Vespasien, avant qu’il agisse, que ces infirmités n’avaient rien d’irréversible. Le geste de Vespasien aurait-il déclenché une puissante réaction d’ordre psychologique ? Impossible bien sûr de répondre à cette question sur la foi de témoignages assez imprécis à deux millénaires de distance. Le côté le plus piquant de l’histoire est peut-être que des guérisons si soudaines se produisent par la grâce d’un personnage portant lui-même un regard distancié et ironique sur sa propre condition et ses supposés pouvoirs, puisqu’il déclarera juste avant de mourir, en songeant à l’habitude prise de diviniser les empereurs défunts : « Malheur, je crois bien que je deviens dieu ! »