Entretien olympique avec Angélique Nouvel et Flavien Villard

16 février 2024
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Image : Entretien olympique avec Angélique Nouvel et Flavien Villard
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À l’occasion de la parution de Τὰ Ὀλύμπια, Περὶ τῆς θαυμαστῆς Καλλιπατείρας, dernier volume bilingue grec ancien-français de la collection Les Petits Grecs, Angélique Nouvel et Flavien Villard nous font l’honneur d’un entretien exclusif pour nous faire entrer dans les arcanes des Jeux olympiques aux côtés de Kallipateira et de son fils Peisirodos.

 

La Vie des Classiques : Comment vous présenter ?

Angélique Nouvel : Je suis enseignante de lettres classiques au lycée. Je partage mon temps entre des secondes et des premières en français et du latin en seconde, première et terminale. Je n’enseigne pas le grec cette année, c’est pourquoi je suis ravie de pouvoir continuer à pratiquer cette langue avec la collection des Petits Grecs !

Flavien Villard : Je suis enseignant de lettres classiques au lycée et en classe préparatoire. Je suis également chercheur en histoire ancienne et membre associé du laboratoire ANHIMA (UMR 8210).

 

L.V.D.C. : Quelles ont été les rencontres déterminantes, de chair ou de papier, dans votre parcours ?

A. N. : Elles sont très nombreuses! De manière générale, tous les professeurs de français que j’ai eus ont influencé l’enseignante que je suis devenue. La première fut Isabelle Korda en 5ème qui m’a fait découvrir l’univers incroyable de la mythologie. Il y a eu également mes enseignantes de français et de latin au lycée, Marie-Françoise Lemonnier-Delpy et Marie Berthelier, avec lesquelles j’ai commenté mes premiers textes et percé les mystères de l’analyse littéraire que j’essaie de transmettre aujourd’hui à mes élèves ! A l’université, j’ai eu la chance de travailler avec Philippe Brunet qui faisait scander notre classe en rythme. Il fut aussi mon directeur de mémoire de maîtrise (oui, c'était un autre temps…). Nous avons d’ailleurs repris contact récemment et peut-être me lancerai-je dans une thèse avec lui ! Enfin, Estelle Oudot, mon professeur de grec en licence, que j’ai retrouvée quand j’ai préparé l’agrégation, m’a assurément permis de l’obtenir cette année-là ! Sa bienveillance, son humanité et sa rigueur laisseront une empreinte indélébile sur l’enseignante et la femme que je suis. J’en viens aux rencontres de papier qui sont souvent liées aux précédentes. Pour les antiques, Homère bien sûr, Quintus de Smyrne, un de ses continuateurs, les tragiques grecs et Sénèque chez les Romains, Virgile, Ovide, Valérius Flaccus… et je pourrais vous en citer de nombreux autres, mais vous l’avez compris, ce qui me passionne particulièrement ce sont les poètes ! Pour la littérature française, mes goûts sont plutôt traditionnels : Racine et Hugo me transportent comme peu d’auteurs, Marguerite Yourcenar et ses Mémoires d’Hadrien m’ont bouleversée et de manière générale, j’apprécie particulièrement la littérature du XVIIème et du XIXème siècle.

F. V. : Commençons par les rencontres réelles. La première a été celle de ma mère, Josiane Villard. Elle est aussi professeur de lettres classiques. Du fait de son métier et de sa passion, nous avons été plongés, ma soeur et moi, dans un univers gréco-romain dès l’enfance. Elle m’a fait découvrir la mythologie et l’art grecs. Pour la littérature française, deux personnes ont compté. D’une part, mon professeur de français en première, Régine Imbert, qui m’a transmis la passion de la littérature. D’autre part, mon professeur de littérature en hypokhâgne et en khâgne, Sylvie Guichard, qui m’a appris la rigueur et la beauté de l’étude de la littérature. Enfin, en histoire, j’ai eu la chance de travailler avec Violaine Sebillotte Cuchet lors de mon master et de ma thèse. Je collabore encore avec elle dans notre laboratoire de recherche. Elle m’a formé au travail de la recherche historique et anthropologique. Pour ce qui est des rencontres de papier, elles sont trop nombreuses pour être toutes citées. Je retiens simplement Edmond Rostand, Marcel Proust et Marguerite Yourcenar qui m’ont transporté, chacun à leur manière. Chez les auteurs grecs, j’apprécie beaucoup Pindare et Aristophane pour des raisons opposées !

 

L.V.D.C. : Quelle a été votre formation intellectuelle ?

A. N. : Après un bac littéraire, j’ai intégré une classe préparatoire, puis obtenu mon CAPES et récemment j’ai repris mes études pour passer l’agrégation externe de lettres classiques. Je suis passionnée par le latin et le grec bien entendu, mais aussi par d’autres langues anciennes dont j’aimerais poursuivre l’étude : le sanskrit et les hiéroglyphes.

F. V. : Comme Angélique, j’étais en section littéraire. Après deux ans en classe préparatoire, j’ai intégré l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm. Je faisais partie du département des Sciences de l’Antiquité. En parallèle de cette formation, j’ai obtenu une licence en Histoire et un master en Histoire ancienne et Anthropologie à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. J’ai ensuite obtenu l’agrégation de lettres classiques. Enfin, j’ai préparé et soutenu une thèse en Histoire grecque classique et archaïque. Elle portait sur les représentations et les pratiques athlétiques féminines en Grèce ancienne.

 

L.V.D.C. : Quel a été le premier texte latin et/ou grec que vous avez traduit/lu ? Quel souvenir en gardez-vous ?

A. N. : J’ai commencé le latin en cinquième et le grec en hypokhâgne. Je ne peux pas vous dire avec précision quel texte j’ai traduit en premier, mais je me souviens parfaitement de l’effet que j’ai ressenti : un nouveau monde s’est ouvert à moi à ce moment-là !

F. V. : J’ai commencé le latin en classe de cinquième et le grec en classe de troisième. Cependant, comme ma mère est professeur de lettres classiques, je me rappelle avoir parcouru, sans les comprendre, les textes latins et grecs, qui étaient dans toutes les pièces de la maison, dès la fin du primaire et avoir voulu apprendre l’alphabet grec en sixième. Je n’ai pas de souvenir du premier texte latin que j’ai traduit mais j’ai un souvenir précis du premier texte grec travaillé en classe. C’était un extrait des Grenouilles d’Aristophane. Nous imitions tous ensemble les grenouilles grecques en faisant koax, koax. C’était extrêmement comique.

 

L.V.D.C. : Avez-vous pratiqué, et/ou pratiquez-vous encore, l’exercice formateur du « petit grec » ? Quels auteurs vous ont accompagnés ?

A. N. : C’est en hypokhâgne que j’ai découvert cette pratique. On faisait du petit latin sur La Guerre des Gaules de César et du petit grec sur les orateurs attiques. Mais ce qui m’a le plus permis de progresser, c’est de faire mes propres traductions juxtalinéaires. Je le fais encore aujourd’hui. La première que j’ai réalisée était en licence sur Les Bacchantes d’Euripide.

F. V. : J’ai commencé à le pratiquer à la fin du lycée pour progresser en grec ancien. C’est un exercice formateur et moins contraignant qu’une version. Il permet de découvrir de larges passages d’auteurs tout en variant les textes. J’ai ainsi parcouru La Description de la Grèce de Pausanias ou les Fables d’Esope.

 

L.V.D.C. : Écrire un ouvrage dont une partie non négligeable est en grec ancien, était-ce un défi pour vous ? Est-ce un exercice similaire à celui du thème grec, qui doit vous être familier ?

A. N. : Écrire en grec est bien sûr un défi, mais m’a beaucoup plu ! Pour ma part, on est bien loin du thème grec, exercice pour lequel on se met au service du texte français. Dans l’histoire de Kallipateira, ce fut l’inverse : le français s’est mis au service du texte grec.

F. V. : Comme le dit Angélique, le défi n’était peut-être pas tant d’écrire en grec que d’écrire une histoire à la fois captivante et simple à comprendre en grec. Nous espérons avoir réussi !

 

L.V.D.C. : Comment est né ce projet éditorial ?

A. N. : J’ai contacté Laure de Chantal pour lui proposer des idées de futurs Petits Latins et Petits Grecs. Lorsque nous avons discuté de ce qui plairait le plus aux lecteurs, elle m’a demandé si travailler sur les Jeux olympiques m’intéresserait. J’ai aussitôt accepté ! Le soir même, je me rendais à une conférence de Flavien sur les pratiques athlétiques des femmes grecques. Les dieux m’envoyaient un signe : mon binôme était tout trouvé !

F. V. : J’ai effectivement rencontré Angélique à la suite de la conférence. Elle m’a parlé de son projet et je l’ai trouvé particulièrement intéressant. J’ai tout de suite accepté et nous avons commencé à réfléchir sur l’histoire qui pourrait constituer le cœur de notre ouvrage.

 

L.V.D.C. : Quelles ont été les différentes étapes dans l’écriture de Τὰ Ὀλύμπια, Περὶ τῆς θαυμαστῆς Καλλιπατείρας ?

A. N. : Nous avons tout d’abord noté le déroulé de ce que nous voulions faire chapitre par chapitre à la fois pour l’histoire et les enrichissements. Mais il nous manquait un lien : Flavien a alors eu l’idée de passer par l’histoire de Kallipateira pour raconter les Jeux olympiques. Ensuite, j’ai écrit les chapitres en français puis je les ai traduits mais en me laissant porter par le grec : c’était lui qui devait être mis en valeur ! Flavien les a relus, corrigés et il va vous raconter la suite lui-même !

F. V. : L’histoire de Kallipateira est un récit passionnant sur lequel j’ai travaillé pendant ma thèse. Après avoir validé ce lien narratif, nous nous sommes répartis les tâches avec Angélique. Je me chargeais des éclairages de civilisation et Angélique travaillait sur la traduction en grec. Nous échangions cependant quelque peu les rôles à la fin de chaque chapitre. Angélique relisait mes apports. Je relisais les textes grecs.

Image : Extrait de Τὰ Ὀλύμπια, Περὶ τῆς θαυμαστῆς Καλλιπατείρας (chapitre 1, bilingue)
Extrait de Τὰ Ὀλύμπια, Περὶ τῆς θαυμαστῆς Καλλιπατείρας, ch. 1, bilingue

 

L.V.D.C. : Le titre est on ne peut plus d’actualité : « Les Jeux olympiques ». Pour nos lecteurs qui n’en connaîtraient que la version moderne, pourriez-vous nous en présenter brièvement l’original antique ?

A. N. : Lisez notre livre, tout est dedans !

F. V. : Je suis d’accord avec Angélique, tout est dans le livre ! Pour vous donner un bref aperçu, disons que les Jeux olympiques antiques sont un concours organisé tous les quatre ans, dans le sanctuaire d’Olympie, en l’honneur de Zeus. De multiples épreuves peuvent être disputées, de la lutte à la course de chars !

 

L.V.D.C. : Vous vous proposez de raconter « l’incroyable histoire de Kallipateira » : qui est-elle ? A-t-elle réellement existé ?

F. V. : L’ouvrage propose un point détaillé sur l’histoire de Kallipateira et ses origines. Kallipateira est une femme courageuse qui a bravé un interdit olympique pour accompagner son fils au concours. Elle a réellement existé, même si son histoire a été arrangée dès l’Antiquité pour correspondre à la stratégie argumentative de plusieurs auteurs grecs.

Image : Extrait de Τὰ Ὀλύμπια, Περὶ τῆς θαυμαστῆς Καλλιπατείρας (préface)
Extrait de Τὰ Ὀλύμπια, Περὶ τῆς θαυμαστῆς Καλλιπατείρας, préface

 

L.V.D.C. : Quelles ont été vos sources antiques pour ce volume ? Citez-vous des passages authentiques d’œuvres grecques ?

A. N.: Flavien m’a indiqué les passages de Pausanias et d’Elien qui pouvaient me servir pour écrire le grec. Je me suis inspirée de quelques formules. Et à la fin de l’histoire, c’est Pindare qui fut notre guide !

F. V. : Nous faisons également un point sur les documents littéraires qui constituent le point de départ de l’ouvrage. Ce sont des textes de Pausanias, Philostrate et Elien. Il y a en effet des passages d'œuvres grecques citées dans le livre !

 

L.V.D.C. : Votre ouvrage peut notamment être utilisé par les enseignants de grec ancien du secondaire français : avec quels niveaux Τὰ Ὀλύμπια, Περὶ τῆς θαυμαστῆς Καλλιπατείρας peut-il être utilisé, et dans quels objets d’étude s’insère-t-il ?

A. N. : Pour les enseignants du secondaire, l’histoire de Kallipateira peut être intégrée dans différentes thématiques des programmes de la classe de troisième (« Les espaces de partage culturel : jeux, théâtre, fêtes », « La vie quotidienne » ou « Cultes et pratiques religieuses, les sanctuaires »), de la classe de première (« Cultes, rites et grandes fêtes », « Femmes et hommes : réalités sociologiques ; représentations et préjugés ») ou de la classe de terminale (« Les sites archéologiques méditerranéens »).

F. V. : En lien avec l’actualité contemporaine des Jeux olympiques organisés à Paris durant l’été 2024, le livre peut aussi devenir le support d’une séquence ayant pour objectif de retracer l’histoire du concours, de noter les prolongements existants ou encore de découvrir les différences entre les Jeux olympiques antiques et ceux de l’époque contemporaine. Permettant d’interroger les notions de sport, de laïcité ou encore d’égalité des sexes, l’ouvrage peut être ouvert à divers projets transdisciplinaires.

 

L.V.D.C. : Quels sont les prérequis grammaticaux et lexicaux à maîtriser pour se lancer dans la lecture ?

A. N. : Notre ouvrage est en grec débutant et se lit donc assez facilement. Néanmoins, il faut savoir lire le grec justement ! Je pense que maîtriser les déclinaisons, le présent de l’indicatif et le participe présent et aoriste suffit pour lire l’histoire de Kallipateira. Ces éléments correspondent à peu près à une ou deux années de grec.

 

L.V.D.C. : Et comment l’utiliser dans le supérieur, en classes préparatoires ou à l’université ?

F. V. : L’ouvrage est aussi un outil puissant pour les études supérieures ! Il est adapté pour les grandes débutants en grec ancien, que ce soit en hypokhâgne ou en première année de licence, comme pour les étudiants plus confirmés, en khâgne ou en deuxième ou troisième année de licence. Le livre peut permettre de leur faire pratiquer le petit grec aux étudiants. Au début de la formation des étudiants, les passages de certains chapitres peuvent également être sélectionnés pour constituer le sujet de versions orales ou écrites. Enfin, le vocabulaire athlétique rassemblé à la fin de l’ouvrage constitue le point de départ d’exercice de thème !

 

L.V.D.C. : Pour finir sur une note de fantaisie : à quelle épreuve des Jeux olympiques auriez-vous aimé assister et pourquoi ?

A. N. : Avez-vous oublié que je suis une femme ?! Je n’aurais pas pu y participer, mais c’est sans regret car les épreuves sont un peu trop dangereuses pour moi ! Néanmoins, risquer sa vie pour suivre son fils et lui permettre de réaliser son rêve comme Kallipateira l’a fait est un défi que je pourrais relever. Ainsi, j’aurais pu voir la statue chryséléphantine de Zeus ! Découvrir un monument antique aujourd’hui disparu, n’est-ce pas le rêve de tout passionné de l’Antiquité ?

F. V. : Je ne crois pas que j’aurais été un grand athlète en Grèce ancienne, même si je pense que j’aurais pris plaisir à fréquenter le gymnase et à m’entraîner ! Je me verrais donc participer à la course de chars. Si vous lisez notre livre, vous verrez que celui qui remporte la victoire n’est pas l’aurige mais le riche propriétaire des chevaux. C’est une idée qui me séduit !

Image : Extrait de Τὰ Ὀλύμπια, Περὶ τῆς θαυμαστῆς Καλλιπατείρας (chapitre 1, enrichissement)
Extrait de Τὰ Ὀλύμπια, Περὶ τῆς θαυμαστῆς Καλλιπατείρας, ch. 1, enrichissement