Suite à la parution de l'ouvrage Bibliothèque idéale des mets et des mots et de l'entretien gourmand avec Catherine Schneider sur La Vie des Classiques, nous vous invitons aujourd'hui « à la table du riche pontife romain Livius Larensis, où se retrouvent des savants de toutes disciplines, Grecs et Romains, venus des rives de toute la Méditerranée. Parmi eux, Athénée de Naucratis, le protégé de Larensis, son bibliothécaire peut-être, on n’en sait pas plus, oreille discrète et attentive qui restitue en quinze livres les propos échangés entre les convives, dans une débauche de citations, de documents, de commentaires s’enchaînant à une cadence infernale, par milliers. C’est à qui, parmi les invités, brillera par son esprit et sa science et sera le plus digne de la généreuse hospitalité du maître de maison. » Dans ce passage, les convives échangent autour d'un incontournable des banquets antiques (et modernes !) : le vin.
Mnésithéos a dit, lui, que les dieux ont révélé aux mortels le vin pour être à ceux qui en usent comme il faut le plus grand des biens, à ceux qui en usent sans règle, le contraire. Il donne en effet à ceux qui en usent bien aliment et force pour les âmes comme pour les corps…
En médecine est sa plus grande utilité ; car on le mêle aux remèdes qui se boivent, et pour les ulcéreux il a de l’aide prête. Dans les réunions de chaque jour, bonne humeur à ceux qui le boivent avec modération, et coupé ; à toi, si tu vas trop loin, insolence ; si tu te l’envoies moitié moitié, divagation, c’est son ouvrage. Bu pur, c’est la paralysie des corps. Raison pourquoi d’ailleurs on donne partout à Dionysos le nom de Médecin.
La Pythie a dit à je ne sais quels consultants d’appeler Dionysos « guérisseur ».
Eubule fait ainsi parler Dionysos : « Je ne prépare que trois cratères aux gens sensés : l’un de santé, celui qu’ils boivent le premier, le second d’amour et de plaisir, le troisième de sommeil ; celui-ci bu, ceux qu’on appelle les sages rentrent chez eux. Le quatrième n’est plus nôtre, il est à l’insolence, le cinquième aux cris, le sixième aux railleries, le septième aux yeux pochés, le huitième à l’huissier, le neuvième à la bile, le dixième à la folie, c’est celui-là qui fait trébucher. Car versé fort dans un petit récipient, il donne facilement croc-en-jambe à qui l’a bu. »
Épicharme a dit : « Du sacrifice naquit bombance, de bombance beuverie. – Du joli, à mon sens, que tu dis là ! – De beuverie taquinerie, de taquinerie grossièreté, de grossièreté procès, de procès condamnation, de condamnation les chaînes, l’entrave aux pieds et l’amende. »
Alexis dit quelque part : « L’homme est en quelque manière tout pareil de nature au vin. En effet, le vin, quand il est jeune, doit nécessairement, et l’homme aussi, être bouillant d’abord et insolent, puis, sa fleur perdue, devenir âpre, puis, lorsque l’âge en lui a, décantation faite de tout cela, déposé cette folie qui couvrait sa surface, devenir enfin potable, se rasseoir et rester désormais agréable à tous. »
Selon le poète de Cyrène : « Et un vin qui a une force égale au feu, quand il s’attaque aux hommes, les gonfle de houle comme de la mer Libyque fait le Borée ou le Notos. Du fond il met au jour les choses même cachées ; il enlève d’une secousse aux hommes toute intelligence. »
Or, ailleurs, Alexis dit le contraire : « Pas de ressemblance de nature de l’homme au vin. Lui, quand il se fait vieux, devient désagréable, tandis que le vin le plus âgé a notre préférence. L’un nous mord, voilà : l’autre nous rend joyeux. »
Panyasis dit : « Car le vin est aux habitants de la terre un secours égal au feu, noble, préservateur du mal qui escorte tous les chagrins. En lui est en effet une aimable part de joie et d’allégresse, une de danse, une de désirable tendresse. Aussi dois-tu dans le banquet l’accueillir d’un coeur bienveillant et boire, au lieu de rester assis, gorgé de nourriture comme un enfant qui, faisant son plein, oublie sa bonne humeur. »
Et il y revient : « Le vin, le meilleur don des dieux aux mortels, plein d’allégresse ; à lui s’accordent tous les chants, et toutes les danses, et toutes les désirables amours. Des coeurs d’hommes il élimine tous les chagrins, s’il est bu selon la mesure ; mais outre mesure, il est un mal de plus. » Timée de Tauroménion dit qu’une maison d’Agrigente est appelée « la Galère » pour le motif que voici. Des jeunes gens qui s’y enivraient, à ce qu’il rapporte, seraient arrivés à un tel degré de folie, dans la chaleur de l’ivresse, qu’ils s’imaginèrent naviguer dans une trière et être rudement ballottés sur la mer ; ils se mirent hors de sens au point d’enlever de la maison tous les meubles et tentures, censément pour les jeter dans la mer, se figurant qu’étant donné la tempête, le pilote leur commandait d’alléger le bâtiment. D’où rassemblement d’une foule qui se mettait à piller les objets jetés ; cela même n’arrêta pas l’illusion des jeunes gens. Le lendemain, les stratèges se présentaient dans la maison et mettaient les jeunes gens en cause ; mais eux, encore en nausée, répondaient à l’interrogatoire des magistrats que, contrariés par la tempête, ils avaient été contraints de jeter par-dessus bord le superflu de la charge. Les stratèges s’étonnant de leur affolement, l’un des jeunes gens, qui semblait pourtant avoir sur les autres la supériorité de l’âge, leur dit : « Pour moi, Sires Tritons, je m’étais de peur précipité sous les bancs de rameurs, et j’y restais couché au plus bas possible. » Excusant leur aberration, on leur infligea pour peine de ne pas entonner davantage de vin et on les relâcha. Eux, déclarèrent leur reconnaissance et « Si nous parvenons au port, dirent-ils, échappés à tant de flot, nous vous érigerons, dans notre patrie des statues en dieux révélés sauveurs avec les divinités marines, pour vous être manifestés à nous providentiellement. » De là cette appellation de « Galère » donnée à la maison.
Philochore dit que les buveurs ne laissent pas seulement voir ce qu’ils sont eux-mêmes, mais qu’encore ils révèlent chacun des autres dans un accès de franchise. De là les dictons : « Vin et vérité » et « Le vin manifeste la pensée de l’homme » et de là vient que le prix de la victoire que l’on place dans le sanctuaire de Dionysos est un trépied.
Athénée, Les Deipnosophistes, II, 36-37
C.U.F., Les Belles Lettres
ed. et trad. Alexandre-Marie Desrousseaux
avec la contribution de Charles Astruc