Journal d’un apprenti chercheur

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Aventures, tribulations et découvertes d’un chercheur néophyte en Lettres Classiques. 

Puisqu’il faut bien, un jour, commencer la recherche universitaire, le tout jeune étudiant en Master de Lettres Classiques (Parcours Recherche) que je suis met le pied dans un monde qu’il ne connaît pas encore vraiment, un monde qui suscite chez lui à la fois une incroyable excitation et de nombreuses interrogations.

Doit-il écouter son cœur, en fonçant tête baissée vers le sujet, parfois baroque, qui depuis de nombreuses années le fait frétiller d’envie ? — car, oui, l’utilisation du subjonctif chez Tacite excite encore quelques irréductibles individus. Certains, n’ayant pas encore d’idée fixe et charmés par le choix, papillonnent d’un sujet à un autre sans parvenir à se poser. C’est alors qu’intervient la raison (Soyons un peu sérieux !) qui prend souvent la voix d’un aîné, dont l’expérience vous fait tenir ses conseils comme parole d’évangile.

La réalité se révèle être un savant mélange de passion et de raison : la recherche est, Paul Veyne le dit dans sa récente autobiographie*, une vocation, pour laquelle l’étude des Lettres Classiques offre un avantage indéniable par rapport à d’autres disciplines : le nombre réduit d’étudiants permet aux professeurs de se souvenir la plupart du temps des prénoms de leurs élèves, mais surtout de leur prodiguer des conseils avisés et personnels. Cette attention est plutôt plaisante — et flatte l’ego du jeune chercheur : qu’il se sent pousser des ailes lorsque, après avoir contacté l’éminent spécialiste du sujet qui le fascine depuis de nombreuses années, celui-ci s’empresse de lui répondre avec bienveillance, amabilité, et parfois même — comble du bonheur — comme un égal ! 

Imaginez alors lorsqu’il vous propose de vous recevoir pour discuter de ce sujet qui vous excite autant qu’il vous affole. La panique passée — c’est normal, paraît-il — la réaction à cette invitation ressemble globalement à une préparation désordonnée, frénétique et avide, qui permet de se rendre à ce fameux entretien avec ce qui vous semble être un petit, tout petit bagage ; puis, de sortir de cet entretien, déjà avec allégresse, et surtout avec un précieux sésame : l’intitulé de votre mémoire qui, lui aussi, est bien souvent baroque.

Soulagement : depuis quelques semaines déjà, vous entendiez tel ou tel de vos amis fanfaronner joyeusement quant à son sujet. Désormais, ce sera à votre tour, lorsqu’on vous demandera ce sur quoi vous travaillez, de répondre d’un air détaché en citant l’intitulé précis, interminable et presque incompréhensible pour le commun des mortels, de votre mémoire, puis de prendre un malin plaisir à voir que votre interlocuteur, lorsqu’il est « profane », ne comprend pas un traitre mot de cet intitulé, ce qui vous offre la possibilité d’avancer un peu le jour où il vous faudra enseigner, et de vous lancer ainsi dans un exposé passionné. Entre jeunes antiquisants, dans cette situation, la règle est de prendre un air docte : après tout, ne sommes-nous pas déjà des spécialistes en puissance ?

A. S-D.

*VEYNE Paul, Et dans l’éternité je ne m’ennuierai pas, Albin Michel, 2014

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