Les amis de Guillaume Budé - Jacques Lefèvre d’Étaples et Érasme

Texte :

Cette chronique  raconte la vie des Classiques à la Renaissance. Des contemporains de l’humaniste Guillaume Budé (1467-1540) permettent de voir comment l’Antiquité alimente la culture, la pensée et la langue de l’époque. Hommage à l’ancêtre du Gaffiot, l’imprimeur Robert Estienne est le premier invité des Amis de Guillaume Budé. Sa devise : « Noli altum sapere, sed time », c’est-à-dire « ne t’élève point par orgueil, mais crains ». 

Érasme représente aujourd’hui l’archétype de l’humaniste, alors que Jacques Lefèvre d’Étaples est un peu oublié. Pourtant, de leur vivant, les deux hommes étaient fréquemment associés l’un à l’autre. « Dans l’esprit de leurs contemporains, les deux humanistes Érasme et Lefèvre d’Étaples, morts la même année 1536, étaient indissociablement liés, que ce soit dans l’admiration ou la réprobation, et même parfois confondus. » (Guy Bedouelle, « Lefèvre et Érasme : une amitié critique », in actes du colloque Jacques Lefèvre d’Étaples publiés sous la direction de Jean-François Perrot, Paris, Honoré Champion, 1995, p. 23).

Ainsi, Guy Bedouelle, spécialiste de Lefèvre d’Étaples, rapporte l’anecdote suivante : « Désireux de donner un élan aux “bonnes lettres” par une nouvelle institution qui allait devenir le “Collège des Lecteurs royaux”, le roi [François Ier] voulut faire venir le prestigieux Érasme qui sollicité un sauf-conduit pour se rendre en France. » Guy Bedouelle cite alors une lettre d’Érasme lui-même : « Le roi accorda avec plaisir ce qui était demandé. Ensuite quand il vit Budé qu’il accueillait parmi les intimes des Grands de la Cour, il lui dit : “Eh bien Budé, nous aurons bientôt Lefèvre dans notre France !” Comme Budé lui répondit que Lefèvre n’avait pas quitté la France, le roi reconnut l’erreur de nom : “Érasme, dit-il, c’est Érasme que je voulais dire ! Car le sauf-conduit est prêt pour lui permettre de venir en sûreté.” » Guy Bedouelle conclut : « On peut bien reconnaître à un souverain occupé de tant d’affaires, le droit de se tromper, mais l’anecdote est significative de l’idée généralement répandue que les deux hommes partageaient, sans nécessairement postuler une totale affinité, une même vocation pour les bonnes lettres et qu’ils étaient engagés dans un même combat. » (Guy Bedouelle, Ibid.)

Noël Béda (théologien, mort en 1537) qualifient les deux hommes – avec mépris – d’« humanistes théologisants » : en effet Érasme comme Lefèvre reviennent aux textes de la Bible, les traduisent et les commentent. C’est d’ailleurs une controverse théologique qui les opposera. Érasme attaque Lefèvre d’Étaples qui ne laisse que le silence lui répondre.

Avant et après cette vive controverse, Érasme dresse un portrait très flatteur de Lefèvre. En 1515, il écrit : « J’ai beaucoup d’égards pour Lefèvre, comme pour un homme extraordinairement érudit, je le respecte comme un homme d’élite, je m’intéresse à lui comme à un très grand ami. » (cité par Guy Bedouelle, op. cit., p. 27).

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Portrait de l’humaniste Érasme (1469-1536). Source : Gallica - BnF

Il est aussi question de Lefèvre dans la correspondance de Guillaume Budé et Érasme. Le premier écrit au second, le 26 novembre 1516 : « Tu sais que c’est un homme aussi vertueux que savant. » Et quelques mois plus tard, Érasme répond : « C’est assurément une nouvelle bien pénible que celle de la maladie si longue, presque continuelle, de Jacques Lefèvre : cet homme a tant de piété, d’urbanité, de savoir, - il a tant mérité des lettres et des lettrés, qu’on se révolte à l’idée qu’il puisse vieillir et mourir un jour. » (lettre à Guillaume Budé, 15 février 1517. Ces citations sont tirées de l’édition de la Correspondance d’Érasme et de Guillaume Budé, par Marie-Madeleine de la Garanderie, éditions Vrin, 1967.)

En 1520, alors qu’Érasme a compris qu’il était vain de se fâcher avec quelqu’un de son camp, il affirme à Jean-Louis Vivès que Lefèvre d’Étaples est « un homme irréprochable et de très grand savoir » (cité par Guy Bedouelle, op. cit., p. 37).

Alors qu’ils ne s’étaient pas rencontrés depuis 1511, les deux humanistes se voient à Bâle, en 1526, juste avant le retour de Jacques Lefèvre d’Étaples en France, où le roi François Ier l’appelle à Blois.

« Pour profiter à tous, de quelque condition que soient. »

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