L’année 2016 fêtera les deux-cent-cinquante ans de l’agrégation : deux siècles et demi de rude sélection pour la plus grande édification des jeunes générations. Si l’on connaît le nom de ce concours, sans doute ne connaît-on pas toujours la réalité de ce concours : j’espère que les considérations qui vont suivre éclaireront ceux qui veulent en savoir plus !
Je suis actuellement en train de passer les oraux de l’agrégation de Lettres modernes. Après avoir passé un Bac L, j’ai passé trois ans en classe préparatoire, à l’issue desquels je suis arrivé en master de littérature à la Sorbonne, après avoir été deux ans de suite sous-admissible à l’ENS Ulm. Je me suis décidé à passer le concours au cours de mon année de M2, et ma préparation se réduisait alors à quelques éléments d’ancien français et de grammaire : c’est en fait cette année que j’ai réellement découvert le concours et ses exigences.
Pouvez-vous nous présenter le concours en quelques mots, dire en quoi cela consiste : quelles matières, quelles exigences de travail ?
L’agrégation de Lettres modernes (distinctes de celle de Grammaire et de Lettres classiques, formant avec elles le groupe des agrégations de Lettres) est un concours exigeant : les épreuves tant écrites qu’orales réclament de la part du candidat aussi bien la maîtrise que le goût de la langue française, et la capacité à comprendre la gamme des enjeux d’une œuvre littéraire.
De plus, loin de se cantonner à des classiques français, le concours propose une ouverture aux littératures étrangères par l’entremise de deux thèmes de littérature comparée (voir le descriptif des épreuves en annexe) ; il comporte en outre deux épreuves de version et deux épreuves de grammaire. Le latin (ou le grec, qu’une minorité choisit de présenter) et l’ancien français sont deux matières qui comptent ; la seconde m’est apparue au départ comme un poids, et il m’a fallu en découvrir l’importance au cours de l’année : l’ancien français nous fait connaître l’histoire et l’esprit de notre langue, et nous permet d’acquérir une hauteur de vue suffisante pour la comprendre dans son évolution. La grammaire, enfin, est le troisième atout qui achève de nous doter de la maîtrise technique, nous faisant rentrer dans la « chair » de la langue française.
Je me souviens qu’au début de la préparation, le programme semble écrasant. J’ai eu la tentation de me dire, comme beaucoup, que j’avais deux ans pour ce concours ; erreur que j’ai rectifiée bien vite : seule une minorité des candidats possède déjà de l’avance, en raison de leur niveau personnel ou d’une formation particulièrement bonne ; tous les autres candidats sont plus ou moins à égalité : si certains excellent dans les matières techniques telles que la grammaire et l’ancien français, et je pense ici à ceux qui ont suivi leur licence à l’université, d’autres, par leur passage en classe préparatoire, sont plus entraînés à la dissertation ou à la version. Le concours est donc à ceux qui travailleront avec le plus de sérieux et d’endurance, qui sauront organiser leur temps. En guise de motivation, Je me répète souvent : « le concours est pour cette année ». De fait, même si je ne l’ai pas cette année, j’aurai au moins la satisfaction, outre d’avoir appris quantité de choses, d’avoir tout donné.
À qui est destiné ce concours ? Peut-on le préparer en ayant des lacunes dans certains domaines ?
Ce concours est proposé aux étudiants titulaires d’un master 2 (quel qu’il soit), désireux de se lancer dans cette carrière si périlleuse qu’est l’enseignement du français. Comme la plupart des étudiants en Lettres (si ce n’est tous), j’ai la chance de beaucoup apprécier ce que j’étudie ; je me suis dit que ce concours allait m’offrir le bagage indispensable pour transmettre à mon tour ce que j’avais reçu.
Avoir des lacunes en grammaire ou dans une autre matière du concours, comme l’ancien français, ne doit pas faire reculer le candidat potentiel : en ce qui me concerne, c’est au cours de cette année de préparation que j’ai eu mes premiers vrais cours dans ces deux matières-là. À chacun ses points forts : le candidat possédant un bon niveau en version peut se centrer davantage sur la grammaire et l’ancien français ; et inversement. Deux éléments feront alors la différence : les dispositions littéraires personnelles et le sérieux de la préparation.
Comment s’inscrire ? Comment cela se prépare-t-il concrètement pendant l’année ?
Le candidat s’inscrit en début d’année dans un module spécifique de préparation, au sein d’une université le plus souvent ; il dépose en parallèle une candidature internet auprès du Ministère, puisqu’il s’agit d’un concours de recrutement de la fonction publique. Les écrits ont lieu en général vers la fin du mois de mars, les résultats d’admissibilité tombent deux mois plus tard, les épreuves orales couvrent une partie du mois de juin, empiétant un peu sur le suivant, et les résultats d’admission sont proclamés début juillet. Un concours en deux temps, donc, écrit puis oral : dans la perspective du jury, composé de professeurs agrégés, il s’agit de faire une sélection pour ne garder que les candidats jugés dignes d’intégrer leur prestigieux corps.
Certains pourront être rebutés par la quantité de travail à fournir, mais c’est bien là que se trouve la clé de la réussite. Il faut travailler le programme avec sérieux : celui qui a lu les œuvres du programme avant le début des cours prend de l’avance, car il peut suivre le rythme avec plus d’aisance que celui qui n’en est encore qu’à une première lecture, et porter ses efforts ailleurs : en ce qui me concerne, j’ai fini la lecture des œuvres du programme au cours du mois de septembre (à la rentrée), ce qui m’a permis de passer d’emblée plus de temps sur l’ancien français (phonétique historique, grammaire et conjugaisons), et de m’inscrire pour des entraînements à l’oral. J’ai pu aussi relire toutes les œuvres dès avant Noël – rappelons que l’essentiel du concours consiste dans la capacité du candidat à apprécier une œuvre littéraire : il faut donc bien la connaître, s’en imprégner.
L’emploi du temps est très chargé, et les cours suivent tous le programme choisi par le jury, préparant aux épreuves écrites et orales. Une précision est ici nécessaire : les cours sont globalement divisés en deux blocs : Cours Magistraux et Travaux Dirigés. Les CM sont des cours « classiques » sur les œuvres et autour des œuvres ; les TD sont des entraînements aux épreuves écrites et orales : par exemple, un élève prépare un sujet et passe à l’oral devant ses camarades. On est souvent timide en début d’année, et peu enclin à passer devant des gens qu’on ne connaît pas, et dont on ignore le niveau ; mais il faut passer outre ces réticences, car ces exercices sont la meilleure des préparations : une occasion nous est donnée de prendre la parole (ce qui est en soi un exercice), et de rentrer dans la chair du texte (s’il s’agit d’une explication de texte) ou de revoir l’œuvre dans son ensemble (dans le cas d’une leçon).
La préparation du concours nécessite la mise en œuvre d’une véritable stratégie : il est grandement utile de s’associer à d’autres camarades, pour se répartir les cours (on ne peut pas tout suivre) et pour se prêter des fiches techniques ou de critiques d’œuvres. Après, à chacun d’organiser son temps selon ses points forts et ses points faibles. Il est très utile de maîtriser les matières techniques (grammaires et versions) de manière à assurer une admissibilité en cas de catastrophe dans l’une des deux grosses épreuves que sont les dissertations (voir l’annexe). Mais dans tous les cas, aucune impasse n’est conseillée.
Y a-t-il selon vous des points négatifs ? Que pensez-vous des reproches d’élitisme de certains à l’encontre de ce concours ?
Qui veut passer l’agrégation s’engage à « perdre » une année universitaire, car l’année de préparation à l’agrégation n’est pas comptabilisée dans le cursus académique : il s’agit d’un concours de recrutement avant tout pour le second degré (même s’il est presque systématiquement requis pour une carrière universitaire). Ceux qui n’ont pas les moyens de consacrer une année entière à cette préparation, un impératif économique les obligeant à travailler (poste de professeur ou boulot étudiant) à côté, peuvent apparaître moins avantagés que les autres, tout entiers à leur préparation.
À ceci, deux réponses. Premièrement, l’entraide entre les candidats a toujours caractérisé ce concours : on se répartit les cours en groupe, de manière à ce que chacun puisse se dégager du temps en plus. Deuxièmement, il est possible de passer ce concours autant de fois qu’on le souhaite, et de le passer aussi en interne, alors même qu’on est déjà fonctionnaire de l’Éducation nationale : le programme est allégé et s’adapte aux horaires de travail du candidat. Précisons que dans les faits, l’agrégation externe est mieux perçue que l’autre.
L’agrégation, il est vrai, forme une élite, c’est-à-dire un groupe limité d’individus d’un certain niveau intellectuel, dont on est en droit d’attendre une transmission de qualité d’un savoir précis. Mais cette élite n’est pas nécessairement la reproduction d’une élite déjà existante : notre système sait soutenir, par le biais des bourses, l’effort de ceux qui ont moins de moyens. De plus, ce concours récompense au mérite : les qualités personnelles et l’ardeur au travail restent les premiers atouts.
Peut-on tenter ce concours sans être sûr de l’avoir ? Que souhaiteriez-vous faire après l’agrégation ?
Celui qui passe ce concours sans l’avoir n’a pas perdu de temps, car il a acquis de la méthode ainsi qu’un important bagage de connaissances, qui lui seront utiles s’il passe un autre concours de l’enseignement. Personnellement, si je n’ai pas ce concours cette année, je le retente l’an prochain, en même temps que le Capes ou le Cafep (d’un niveau d’exigence moindre, aux épreuves axées davantage sur la pédagogie) : l’année est certes difficile, mais l’occasion risque de ne plus se présenter de pouvoir passer une année aussi passionnante. Je serais cependant bien content de l’avoir du premier coup : si les premiers mois sont difficiles pour ce qui est du rythme et de la somme de connaissance à ingurgiter, les derniers mois, entre les écrits et les oraux, le sont autrement : il faut compter avec le stresse de l’attente, la saturation mentale et la fatigue. C’est là que la santé, trop souvent négligée au cours de l’année, devient l’atout majeur : le sport m’a souvent été d’une aide précieuse pour me détendre, évacuer le stress et bien dormir.
Si tout se passe bien, j’aimerais décrocher un contrat doctoral pour compléter ma formation par trois ou quatre années de recherche. Puis reprendre l’enseignement, dans le secondaire tout d’abord, puis dans le Supérieur si possible. Je dirais pour finir que l’on est toujours content d’avoir tenté ce concours ; au contraire, celui qui ne se lance pas risque de le regretter longtemps ; qui ne tente rien n’a rien.
Paul-Joseph Michel
> Descriptif des épreuves de l’agrégation externe de Lettres modernes