Entretien avec Michel Casevitz et Aude Cohen-Skalli

Média :
Image : Entretien avec Michel Casevitz et Aude Cohen-Skalli
Texte :

À l’occasion de la publication du 100e volume de la collection « La Roue à Livres » aux éditions Les Belles Lettres, La Vie des Classiques vous propose un entretien exclusif avec ses directeurs, Michel Casevitz et Aude Cohen-Skalli, pour en découvrir tous les secrets !
 

Combien de textes jadis célèbres et aujourd'hui méconnus. Parmi les oeuvres qui, de l'Antiquité à la Renaissance, ont formé les esprits, beaucoup sont aujourd'hui reléguées dans les arrière-boutiques parce qu'elles ont cédé la place à des ouvrages qui les ont utilisées en les recouvrant d'oubli ou parce qu'elles n'ont tout simplement jamais été traduites par les Modernes.

Ces textes attendaient qu'on les redécouvre. Tel est le but de La Roue à Livres

La collection offre l'occasion unique de lire des textes intégraux, traduits du grec, du latin ou d'autres langues anciennes, munis de notes succinctes qui ne les alourdissent pas et d'une introduction qui restitue une époque et son auteur et justifie le succès qu'ils remportèrent et qu'ils méritent encore. La collection publie des traductions originales, à partir des meilleures éditions du texte originel, ou d'anciennes traductions révisées par un spécialiste. 

Sont ainsi livrés à la curiosité renouvelée des lecteurs de bonne foi des textes poétiques, historiques, juridiques, philosophiques, esthétiques, etc. 

Découvrez le catalogue complet de la collection


La Vie des Classiques : Comment vous présenter ?

Michel Casevitz est professeur émérite à l’Université de Paris Nanterre, et Aude Cohen-Skalli chargée de recherche au CNRS (Centre Paul-Albert Février, Aix-en-Provence).


L.V.D.C. : Qu’est-ce qu’une roue à livres ?

M. C. & A. C.-S. : « La Roue à Livres », collection fondée en 1990 aux Belles Lettres, tient son nom d’une machine en usage à la fin du Moyen Âge et à la Renaissance, constituée d’une roue dont les pales servaient à faire tourner les livres, comme le montre la gravure d’Agostino Ramelli, devenue image-logo de la collection éponyme. Ce mécanisme illustre très précisément le propos de ses fondateurs, philologues et historiens, Michel Casevitz, François Hartog et John Scheid, qui la dirigèrent jusqu’en 2005 ; la collection a ensuite été dirigée par le seul Michel Casevitz et, depuis 2014, en collaboration avec Aude Cohen-Skalli. Il s’agit d’exhumer des ouvrages méconnus ou difficiles d’accès, en les traduisant et les commentant. Nombre de textes, de l’Antiquité à la Renaissance, jadis célèbres, sont aujourd’hui tombés dans l’oubli, relégués dans les arrière-boutiques pour avoir cédé la place à des ouvrages qui s’en sont inspiré et les ont éclipsés ou parce qu’ils n’ont jamais été traduits par les Modernes. Ces textes, grecs, latins ou d’autres langues anciennes, attendaient leur heure : la vocation de « La Roue à Livres » est de les remettre en lumière. Parallèlement, une série spéciale appelée « Documents » consiste en des recueils thématiques de sources commentées.


L.V.D.C. : Quelles sont les « pépites » de la collection ?

M. C. & A. C.-S. : Parmi les ouvrages qui ont fait date dans la collection, citons les Chroniques mésopotamiennes de J.-J. Glassner, parues en 1993, qui ont connu une fortune remarquable : une traduction anglaise en 2005 et, une réédition enrichie chez nous en 2023, le corpus ayant sensiblement augmenté dans les dernières décennies. Citons aussi, sur les thèmes les plus divers, Héros, magiciens et sages oubliés de l’Égypte ancienne, paru en 2011, les Cultes isiaques dans le monde gréco-romain (2013), l’Histoire du droit pénal romain (2021) la Vie de Pythagore de Jamblique (sans cesse réimprimée depuis 1996), la Constitution des Lacédémoniens de Xénophon (2008), ou encore la récente Babylonie hellénistique (2023), qui vient de recevoir les éloges de la critique.


L.V.D.C. : Combien comporte-elle de volumes et sur quoi porte le dernier paru ?

M. C. & A. C.-S. : Nous fêtons aujourd’hui le centième titre de la collection, avec la parution, le 1er mars 2024, dans la série « Documents », de textes latins traduits et commentés portant sur la Psychiatrie à Rome. Comprendre et soigner la folie d’après Celse et Caelius Aurelianus. Le thème, en soi, est particulièrement actuel : l’évolution des pratiques psychiatriques est un objet de préoccupation et de débats réguliers depuis plus d’un demi-siècle ‒ il suffit de penser à l’essai de Michel Foucault (Histoire de la folie à l’âge classique), pour ne parler que du plus célèbre des textes sur le sujet. Pourquoi la psychiatrie à Rome ? Comme le montre l’auteur, Pierre-Henri Ortiz, maître de conférences à l’Université d’Angers, il faut attendre l’époque romaine pour que la maladie mentale (considérée auparavant comme émanant des dieux) ne soit plus l’objet d’une explication surnaturelle et que le trouble soit pris en charge par la médecine.
C’est donc à partir du Ier siècle de notre ère que se structure une véritable psychiatrie à Rome. Quelques passages de l’ouvrage ont une résonance présente : sur la question de l’enfermement des fous, par exemple, on peut dire que l’Antiquité jette le doute sur le fait que l’idée du « grand enfermement » (la célèbre théorie de Foucault) soit d’époque moderne. Le tableau donné par les Anciens de la chambre idéale, avec ses murs blancs, ses fenêtres hautes, son lit attaché au sol, ses sangles de cuir, évoque fortement des cellules plus récentes. Le livre est pourvu d’un glossaire fort utile des maladies et remèdes, qui tente aussi une typologie de la folie (l’insania, la phrénite, la manie, la mélancolie, etc.). On y renvoie tous nos lecteurs, qui dépasseront certainement le champ des antiquisants, pour s’élargir aux historiens, philosophes, mais aussi aux spécialistes actuels de la psychiatrie, de la psychologie et de la médecine de façon générale, intéressés par la façon dont on abordait et traitait la folie chez leurs prédécesseurs d’il y a deux mille ans.


L.V.D.C. : Comment les titres sont-ils choisis ?

M. C. & A. C.-S. : Il s’agit soit de propositions des auteurs, qui reflètent le plus souvent des thèmes qui sont dans l’air du temps, soit de commandes nôtres, passées auprès de spécialistes pour combler les lacunes de nos bibliothèques.


L.V.D.C. : Pourquoi en traduction seule en non en bilingue ?

M. C. & A. C.-S. : C’est le principe d’origine de la collection : donner accès aux œuvres à tout public, spécialiste ou non. Mais la série « Documents » vient de s’ouvrir, depuis 2023, aux extraits également donnés en langue originale : dans cette série-là, il est possible de donner des passages en bilingue, comme dans le récent volume Le Vote populaire à Rome de C. Chillet (2023).


L.V.D.C. : Quelles sont les prochaines parutions ?

M. C. & A. C.-S. : La collection vous attend pour ses prochains titres, Denys le Périégète, Sextus Empiricus (Contre les Moralistes, Contre les Physiciens), à court terme ; en programmation également, l’Onirocritique d’Achmet, et dans la série « Documents » La domination sociale, Construire dans la Rome tardo-républicaine, et nombre d’autres titres.

Dans la même chronique