Entretien sportif avec Pascal Charvet et Annie Collognat

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À l’occasion de la parution de Quand les champions étaient des dieux aux éditions Libretto, Pascal Charvet et Annie Collognat nous font l’honneur d’un entretien exclusif pour nous faire redécouvrir les origines des Jeux olympiques.

 

La Vie des Classiques : Comment vous présenter ? Quels sont les êtres, de chair ou de papier, qui ont rythmé et déterminé vos parcours intellectuels?

Pascal Charvet : Ce fut la rencontre en Khâgne d’un professeur de latin et de grec, qui était aussi un philologue extraordinaire et un spécialiste d’Homère, Monsieur Goub, qui fut déterminante. Cette alliance d’un immense savoir et d’une fine didactique me fascina. Plus tard ce furent d’autres belles rencontres qui me confirmèrent dans mes choix : Marcel Detienne, Pierre Grimal, Jean Yoyotte, Jean-Pierre Vernant, Paul Veyne et - plus tardivement - Jacqueline de Romilly, Giulia Sissa.

Annie Collognat : Tout commence par un professeur, évidemment : celui qui a su éveiller la curiosité, l’intérêt, la passion pour le latin, en sixième, à l’époque. Puis vint le grec, en quatrième : un autre professeur, « sévère, mais juste », selon l’expression consacrée, et toujours autant de curiosité et de passion. Le chemin était ainsi tracé, je dirais presque naturellement, vers ces études de lettres qu’on appelait « classiques ». Parallèlement à l’ENS, j’eus la chance de suivre les cours en Sorbonne de Jacqueline de Romilly et de Pierre Grimal et, plus tard, de rencontrer Jean-Pierre Vernant : son intelligence lumineuse et sa générosité restent sans égal.

 

L.V.D.C. : Quel est le premier texte antique, auquel vous avez été confronté ? Quelle a été votre réaction ?

P. C. : Ma première confrontation fut plus déroutante. J’ai enseigné presque uniquement le français durant près de quinze années, travaillé et publié dans le champ de la dramaturgie avec des metteurs en scène comme Lavelli ou Sobel. Pour me mettre par la suite au service des langues anciennes, la traduction me sembla le plus sûr moyen de me remettre en selle. J’ai alors avec Anne-Marie Ozanam commenté et traduit des papyri magiques et des traités d’art militaire, puis ce fut avec Arnaud Zucker, un ami de toujours, Ératosthène, mythes et histoire des constellations. Puis, entre autres, une édition et une traduction de Properce à l’Imprimerie nationale, Cynthia, Élégies amoureuses.

A. C. : La découverte de l’Antiquité passe par des mots et des histoires, des lectures et des auteurs. Pour moi, trois « grands » occupent le podium sans conteste : Homère, Virgile et Ovide. Ils furent les premiers - en VF d’abord, puis progressivement en VO, comme on dit au cinéma - à me faire entrer dans l’univers des langues anciennes. Aujourd’hui comme autrefois, quand je me plonge dans la lecture de ces auteurs de génie, j’ai l’impression d’être emportée dans leur monde au point d’oublier tout ce qui m’entoure.

 

L.V.D.C. : L’un comme l’autre vous avez passé une grande partie de votre carrière à défendre et illustrer les humanités : quels ont été les moments-clés ? Comment avez-vous transmis la flamme ?

P. C. & A. C. : À chaque fois nous avons cherché à élargir le champ de nos connaissances : pour faire passer la flamme, nous avons plus efficacement travaillé au-delà des textes – afin de mieux revenir ensuite à eux - grâce aux apports de l’archéologie, en privilégiant en particulier l’épigraphie et l’iconographie. Nous avons écrit des ouvrages et des manuels consacrés à l’apprentissage des langues anciennes. Nous avons aussi milité pour « la défense et illustration des humanités » dans les associations d’enseignants.

 

L.V.D.C. : Parmi vos très nombreuses publications, vous nous offrez ce printemps un splendide opus sur les jeux olympiques : comment est né ce projet ?

P. C. & A. C. : De l’actualité, bien sûr, mais aussi de la volonté qui est à l’origine de tous nos projets : montrer l’importance de « la source antique » qui coule toujours dans le monde moderne, et à laquelle il importe de se mesurer.

Nous avons souhaité aborder l’athlétisme et le sport en général, tel que nous le connaissons aujourd’hui, par un retour aux sources antiques, grecques et latines, avec le souci constant de croiser mythe et histoire et de nous confronter au contemporain.

Si la création d’Adam, puis la naissance du Christ ont été distinguées comme le moment fondateur d’une histoire et d’une culture, c’est la date de l’apparition des Jeux Olympiques qui a été choisie par les Grecs pour marquer le commencement de leur calendrier en 776 avant notre ère : un événement qui inaugure le rassemblement des Hellènes dans des concours précisément dits "panhelléniques", organisés à Olympie, Delphes, Corinthe et Némée. Grecs d’abord, puis plus tardivement Macédoniens, Romains - et avec eux tous les peuples de l’empire -, ils se retrouvaient régulièrement dans ces sanctuaires non pour en découdre mais pour offrir leur énergie et leur sueur à d’autres : à leurs dieux, leurs ancêtres, leurs héros, leurs cités.

Ces grandes fêtes de l’athlétisme gréco-romain se sont perpétuées sur près de mille deux cents ans : c’est l’empereur chrétien Théodose qui y a mis fin en 392 après J.-C., sous la pression de l’Église, en interdisant les festivités et concours dits "païens" au prétexte qu’ils affichaient une nudité honteuse et exprimaient une sensibilité pervertie.

 

L.V.D.C. : Quel angle avez-vous souhaité donner à ce livre ? Pourquoi ?

P. C. & A. C. : Nous avons effectué un pari d’écriture avec pour objectif de faire entrer le grand public dans la fabrique du mythe olympique de la manière la plus concrète et vivante possible. Nous avons ainsi fait le choix de raconter cette histoire de l’athlétisme olympique à travers des personnages mythologiques ou historiques en les faisant vivre et parler sous les yeux du lecteur grâce aux données de l’histoire, de la littérature et de l’archéologie (architecture, épigraphie, iconographie), dont les sources sont précisément fournies en fin d’ouvrage. Pour nous, le défi était donc de concevoir un livre de référence tout en donnant la priorité au plaisir du récit.

Quand les champions étaient des dieux : le titre fait concrètement référence aux héros athlètes de l’Iliade et de l’Odyssée, dans ce monde homérique fabuleux où se mêlent les dieux et les hommes, mais aussi aux différents cultes rendus aux champions qui étaient honorés à l’image des divinités dans le monde antique gréco-romain. Au rang de ces premiers « sportifs » mythiques, citons Achille, le coureur « aux pieds légers », Ulysse, qui s’impose à la lutte et au tir à l’arc, et surtout Héraklès l’invincible, fondateur des Jeux Olympiques dont le pied donne la mesure du premier stade de l’histoire (192,24 m, soit 600 fois la longueur du pied du héros), sans oublier les femmes, telle Atalante, lutteuse et coureuse plus rapide que n’importe quel homme, ou encore Hélène, princesse de Sparte, élevée comme un athlète. Quant aux champions dont les performances sont attestées par les récits historiques et les stèles dressées à leur mémoire, le lecteur les retrouvera dans un abondant Who’s who en fin d’ouvrage : des plus célèbres, comme Milon de Crotone, aux moins connus… et aux femmes qui se sont illustrées par leur audace - comme Kallipateira, la seule à être entrée dans l’enceinte olympique - ou leur capacité sportive, comme la coureuse Tryphosa de Tralles et ses deux sœurs.

 

L.V.D.C. : À qui s’adresse ce livre ?

P. C. & A. C. : À tous les publics, même dès le collège, car le mode de la narration rend les choses plus concrètes et plus sensibles à des jeunes lecteurs. Tous les amateurs d’Antiquité et, de manière générale, tous les lecteurs curieux y trouveront leur plaisir. Nous l’espérons.

 

L.V.D.C. : Quelles sont les idées reçues qu’il nous permet de repousser ?

P. C. & A. C. : Commençons par la place des femmes. Nous avons tenu à leur rendre hommage. Contrairement à ce que l’on a pu longtemps entendre, les femmes de l’Antiquité pratiquaient bel et bien des sports, l’héroïne Atalante, amazone apprivoisée, est restée le modèle de bon nombre d’entre elles : le récit de cette wonder woman qui bat les hommes à la course et les tue accessoirement se transmettait précieusement de génération en génération. Cette figure de femme émancipée nous dit quelque chose des désirs cachés des femmes et des hommes grecs. Son histoire est intégralement racontée dans notre ouvrage.

Rien n’est parvenu à empêcher les femmes de pratiquer des exercices aussi différents que la course, la lutte, la nage ou l’acrobatie. À Cyrène, les jeunes filles participaient à des courses à pied et à Chios également. À Olympie, elles avaient leurs propres compétitions, les Heraia, (les Jeux en l’honneur d’Héra). À Sparte, elles s’entraînaient à la lutte, apprenaient le maniement des armes et couraient en l’honneur d’Hélène. À Delphes, où avaient lieu les Jeux Pythiques, une inscription découverte récemment, gravée sur la base d’un monument, mentionne que trois jeunes filles, trois sœurs nommées Tryphosa, Hédéa et Dionysia, furent victorieuses vers 45 après J.-C. aux Jeux Pythiques ainsi que dans d’autres Jeux : elles auraient peut-être concouru dans des épreuves comportant une catégorie pour les femmes comme c’est le cas encore dans les Jeux d’aujourd’hui où très peu d’épreuves sont mixtes.

Mais surtout les Grecs de l’Antiquité n’auraient pas apprécié la devise moderne de nos Jeux Olympiques selon Pierre de Coubertin : « L’important n’est pas de vaincre mais de participer ». En effet les Anciens étaient loin de l’esprit « participatif » qui nous est si cher aujourd’hui et qui cherche à escamoter le désir de triompher, comme s’il s’agissait d’une passion honteuse. L’idée que tout le monde puisse finalement gagner - et recevoir une médaille - est une version assez puérile et timorée de l’esprit des Jeux, il faut bien le dire, et des pratiques ludiques en général. Pas de « ludiquement correct » à Olympie où le plus important pour les athlètes était de gagner, d’être le meilleur comme l’ordonnait le vieux Pélée à son fils Achille : « Sois le meilleur toujours et surpasse les autres ! » (Iliade, XI, vers 784). Cet esprit combatif, parfois jusqu’à la mort, animait les champions. On le nommait agonal ou agonistique ; aujourd’hui nous parlons comme les anglo-saxons d’agonal drive ; cette passion de la compétition se traduisait en particulier dans des cultes voués à des abstractions personnifiées comme Nikè (la Victoire), représentée sous l’aspect d’une jeune femme ailée, ou Agôn (l’esprit de compétition), ayant quant à lui l’apparence d’un jeune homme athlétique tenant des haltères.

On a décrié un peu trop vite cette pensée agonistique constitutive de la société grecque : de fait elle est loin d’être pure violence. Il s’agit d’une émulation aussi amicale que combative. Gilles Deleuze et Félix Guattari, au début de leur ouvrage Qu’est-ce que la philosophie ? (1991/2005, p. 10), en proposent une analyse plus fine : ils rappellent que la philosophie grecque a formé des sociétés d’amis ou d’égaux, mais aussi promu entre elles et en chacune des rapports de rivalité, « opposant des prétendants dans tous les domaines, en amour, dans les Jeux, les tribunaux, les magistratures, la politique et jusque dans la pensée qui trouverait sa condition à la fois dans l’ami, mais aussi dans le prétendant, le rival ». Et ils concluent par cette formule : « La rivalité des hommes libres, un athlétisme généralisé, l’agôn ». L’agôn, est en effet un combat régi par des règles, beaucoup plus proche d’une compétition que d’une guerre conduite contre un ennemi : rivaux mais amis, adversaires unis par un mutuel respect.

 

L.V.D.C. : Les J.O. d’aujourd’hui sont-ils une trahison ou une traduction contemporaine de ceux de l’Antiquité ?

P. C. & A. C. : Nous avons voulu donner à entendre l’esprit olympique en quelques mots clés qui complètent la présentation des figures emblématiques d’athlètes. Outre l’agôn, nous retenons ici les termes athlétès et gymnos.

L’âgon, on l’a dit, est l’essence même des jeux : une émulation aussi amicale que combative qui structure la vie de la cité grecque au travers des concours qu’elle organise. Ils sont en effet pour les citoyens le symbole le plus fort de ce qui les lie entre eux : celui d’un rassemblement d’hommes qui prennent le temps de fêter leur rencontre. Ces grandes fêtes de l’athlétisme que nous nommons « Jeux », du latin Ludi, ont lieu dans plus de cinq cent villes sous l’Empire Romain - aux premiers rangs desquels les Jeux dits « Panhelléniques » (à Olympie, à Delphes, à Corinthe, à Némée). Ces villes, grandes ou petites, s’affrontent pour la gloire à travers les athlètes qu’elles ont sélectionnés. Au fil du temps, les villes entretinrent elles-mêmes de jeunes champions sans ressources propres : ce fut en quelque sorte l’émergence d’un modèle étatisé du sport producteur de médailles. Pour les chefs d’État et hommes politiques ambitieux dans la ville, les jeux dans sont aussi l’occasion de s’afficher pour leur plus grand prestige. C’est ainsi que s’illustrèrent, entre autres, Alcibiade, le richissime Athénien, Philippe de Macédoine, père d’Alexandre le Grand, ou encore Néron, l’empereur romain, tous en quête de reconnaissance. On sait combien les Jeux romains dits « du Cirque » prolongeront cet engouement pour la compétition, en particulier avec les courses hippiques. L’hippodrome  demeurera longtemps un élément structurant de la vie de la cité.

Le nom grec athlétès (ou athléta) vient du terme athlos, qui signifie la lutte, le concours, une notion commune à la compétition sportive et à l’entraînement à la guerre. L’athlète est une figure incontournable du monde grec antique. Les scènes sportives de course, de lutte, d’entraînement à la palestre sur les vases de céramique peinte, les statues dont le socle porte une inscription vantant des exploits sportifs, les témoignages directs ou indirects des auteurs sont autant de preuves de l’importance de ce phénomène social et culturel. Les athlètes sont l’incarnation de la puissance et de la beauté du corps développées par la gymnastique.

Les types d’exercices qui figurent dans les jeux ont un lien direct avec le combat et la chasse : saut, courses (dont une en armes), lancers (javelot, disque), luttes diverses. Selon Philostrate, « La lutte et le pancrace, entre autres, ont été inventés à cause de leur utilité pour la guerre » (De la gymnastique, 9). Les concours athlétiques sont fondés sur des performances physiques : la vitesse et la force, tout particulièrement. Mais l’esprit de l’athlétisme s'est peu à peu distingué de l’esprit guerrier. Quand Achille court dans un concours sportif, il met sa rapidité prodigieuse d’abord au service d’un rituel religieux. L'esprit qui habite l’athlète est alors davantage celui de l'émulation, du dépassement de soi, que celui du guerrier.

Quant à l’adjectif gymnos, qui renvoie à la notion de nudité, c’est un important marqueur culturel de l’identité grecque. Ce que nous nommons « sport » aujourd’hui occupe une place prépondérante dans les villes antiques, grecques et romaines. La gmnastikè – « l’art de la gymnastique » dans lequel on s’exerce nu (gymnos) – est un élément essentiel de la paidéia (l’éducation) pour former les enfants et les jeunes gens. Développant vitesse et endurance, adresse et agilité, les exercices de course, lancer et lutte de divers types se pratiquent au gymnase et à la palestre, des lieux de sociabilité essentiels dans la cité.

Orsippos de Mégare a ainsi laissé son nom dans les archives olympiques pour une circonstance qui peut paraître anecdotique : il est le premier athlète à avoir concouru nu (gymnos en grec, d’où "gymnastique"), lors de la 15e Olympiade (-720) après avoir perdu son perizoma, une sorte de pagne ou de slip qui couvre le sexe. Accident ou geste délibéré ? Pausanias rapporte l’histoire et commente : « Dans les premiers Jeux, selon l’usage ancien, les athlètes portaient toujours le perizoma, mais Orsippos de Mégare fut le premier à remporter le stadion en courant tout nu. C’est volontairement, je le crois, qu’il a laissé tomber son périzoma qui a glissé sur ses hanches, car il savait bien qu’il était plus facile de courir entièrement nu qu’avec un vêtement » (Le Tour de Grèce, I, 44, 1).

Pausanias précise que le tombeau d’Orsippos se trouvait au cœur de l’agora, sur la place publique de Mégare. Une autre tradition, rapportée par Denys d’Halicarnasse (Antiquités romaines, VII, 13, 5), attribue l’initiative de la nudité à Akanthos de Lacédémone (Sparte), le premier Spartiate vainqueur à Olympie : il se dévêtit entièrement et remporta le dolichos, la course de fond du « long stade » qui venait d’être créée lors de cette 15e Olympiade.

Quoi qu’il en soit, après cette première, il semble que lors des Olympiades suivantes tous les athlètes aient aussi décidé de concourir nus, sans aucune entrave, pour des raisons essentiellement pratiques. Alors que chez Homère les héros se ceignaient la taille d’un pagne pour pratiquer des activités sportives, à l’époque classique, l’idéal de la nudité héroïque et athlétique s’impose comme un marqueur essentiel de l’identité culturelle hellénique. Selon le célèbre historien Thucydide, en effet, la nudité est une « invention », une « conquête de la civilisation », dont le mérite revient aux Spartiates : « Ils furent les premiers qui se montrèrent nus et qui, paraissant en public, sans vêtements, se frottèrent d’huile dans les compétitions sportives. Autrefois, même pour disputer les épreuves olympiques, les athlètes portaient une sorte de ceinture qui cachait leur sexe ; il y a peu d’années que cela a cessé ; et, aujourd’hui encore, certains peuples barbares - principalement en Asie -, quand ils font des concours de pugilat et de lutte, portent des ceintures » (Histoire de la Guerre du Péloponnèse, I, 6, 5). Étonnant paradoxe : c’est la nudité - choquante pour tout autre qu’un Grec - qui distingue ici de manière conventionnelle le « civilisé » du « barbare », à l’inverse des représentations qui, par la suite, ont construit le mythe du « sauvage » traditionnellement nu. « De façon fondamentale, la monstration du corps athlétique en public, sexe compris, a constitué selon Thucydide une avancée des mœurs grecques telle que les barbares n’en ont pas connue » (Pierre Brulé, « Le corps sportif », in Penser et représenter le corps dans l’Antiquité, o. c. in Biblio.).

Selon le point de vue que Lucien prête au législateur Solon, la nudité serait ainsi pour les athlètes une incitation à donner le meilleur d’eux-mêmes : « Comme ils doivent se mettre nus devant tant de spectateurs, ils veillent à se maintenir en forme pour n’avoir pas à rougir de leur nudité et pour se rendre autant que possible dignes de la victoire » (Anacharsis ou des exercices du corps, 36). Il convient de dire également qu’au plan purement pratique, l’inspection d’un athlète nu permettait aux spécialistes, au premier rang desquels les gymnastes et pédotribes, de juger de sa constitution et de ses qualités corporelles « natives » : « Que le gymnaste s’adresse d’abord au jeune garçon qui veut devenir athlète et qu’il voie en premier lieu à l’état de son corps s’il provient de l’union de parents jeunes, de bonne origine et exempts de maladies », résume Philostrate (De la Gymnastique, 28). Une méthode d’appréciation qui, en fin de compte, n’est guère éloignée de l’art du statuaire, qui doit mesurer les proportions parfaites du corps nu, et qui, plus prosaïquement, rappelle aussi l’examen attentif des chiens ou des chevaux par ceux qui les sélectionnent, comme le fait encore remarquer Philostrate (ibid., 25-26).

Et pour terminer, encore trois mots, latins cette fois : ceux qui forment la devise olympique - Citius, altius, fortius - adoptée lors de la création du Mouvement olympique en 1894, à l'initiative du fondateur Pierre de Coubertin, qui souhaitait un slogan exprimant l'excellence dans le sport. Le baron l’avait empruntée à son ami Henri Didon, un prêtre dominicain qui enseignait le sport à ses élèves près de Paris.

Lors de la réunion à Tokyo le 20 juillet 2021, la Session du Comité International Olympique a approuvé à l’unanimité un changement apporté à la devise olympique qui reconnaît le pouvoir unificateur du sport et l'importance de la solidarité. Le mot communiter - « ensemble » - est ajouté après un tiret. La nouvelle devise olympique se lit donc désormais comme suit : « Citius, Altius, Fortius – Communiter », « Plus vite, plus haut, plus fort – ensemble » (en anglais « Faster, Higher, Stronger – Together »). Ce changement vise à souligner l'importance de la solidarité au sein du Mouvement olympique, comme l’a expliqué le président du CIO, Thomas Bach : « La solidarité motive notre mission qui est de rendre le monde meilleur grâce au sport. Nous ne pouvons aller plus vite, nous ne pouvons viser plus haut, nous ne pouvons devenir plus forts qu'en faisant preuve de solidarité. » L'importance de l'unité et de la solidarité est également reflétée dans la campagne mondiale du CIO, intitulée « Plus forts ensemble ». Nous retrouvons là précisément les valeurs grecques du panhellénisme qui sont devenues les principes de l’humanisme contemporain. Car pour les Grecs et les Romains ensuite, c’était bien « ensemble » que l’on concourait.

 

L.V.D.C. : Pour finir par une note d’ironie, la pratique du grec et du latin est-elle un sport de combat ?

P. C. & A. C. : Oui, au sens même du nom agôn : émulation, dépassement de soi, persévérance et endurance, afin d’être à même de reconnaître et d’accueillir l’altérité comme telle.

 

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