C’est munie d’une triple ceinture de chasteté, dont les clefs sont gardées dans trois coffres de la banque Zurix, que Cléo pénètre sur le plateau où se tourne le dernier péplum produit par Harvey Schweinstein. Après de longues minutes en embuscade dernière un projecteur, Cléo tombe sur l’infâme personnage, nonchalamment adossé à un menhir de carton-pâte.
- Harvey, César ! Vous ici, déguisé en dieu romain ?
- C’est moi-même, le dieu à la peau de bête, Hencule…
- Hercule, vous voulez dire…
- C’est ça, Hercule, alias Fesses-Noires. Ma langue fourche parfois quand je parle dans la tongue de Sade et Catine Mouillée.
- Catherine Millet.
- C’est ça, Câline Fouillée. Sorry.
- Mais, pourquoi ce rôle ?
- Well, en fait, comme j’avais toujours le gourdin, je me suis laissé dire par un ami belge que j’avais le physique de l’emploi. Après, difficile de refuser une offre aussi léchante.
- Que pouvez-vous dire de ce film aux lecteurs – et lectrices – de la Vie des Classiques ?
- C’est un peplum, comme on dit en latin, un remake – interdit aux moins de 21 ans – d’un grand classique.
- Quel sera son titre ?
- Well, c’est encore top-secret, mais vu que la rumeur commence à enfler ici, à Sacro-Bosco, je pense qu’on peut déflorer le sujet sans trop faire de dégâts. Ce sera Spartacul, d’un débutant nommé Stanley Kudbrick. J’ai trouvé le titre tout seul. I’m very prout of that.
- Pouvez-vous nous en dire davantage sur le casting ?
- Ce fut long, dur, éprouvant. Pour le rôle de Messaline, j’ai dû faire défiler dans mon studio toutes les actrices d’Hollywood, délestées de leurs accessoires anachroniques : lunettes, téléphones, talons aiguilles, soutiens-gorge, culottes. L’ennemi juré du peplum, c’est l’anachronisme.
(Il sifflote Messaline, c’est ma copine en mode dorien).
- Et ?
- J’ai tourné et retourné le problème dans tous les sens, rien ne convenait. Trop jeunes, trop minces, trop blondes, trop californiennes, pas assez antiques, en un mot. C’est un job de galérien, je suis vidé. Finalement, je me suis résolu à donner le rôle à une débutante prometteuse de moins de douze ans, encore inconnue. Je parie sur l’avenir, moi.
- Ce n’est pas très casher, tout ça…
- Right. Ce n’est pas très catholique non plus…
(Il vide une amphore de whiskey et un baril de bretzels).
- Vous prenez des risques.
- Non, avec ça on va exploser le boxon-filles.
- Le box-office, vous voulez dire ?
- Ouais, le botox-fesses. Ce sera une affaire juteuse. Yeah. On va palper des millions.
- Vos prochains projets ?
- Il faut faire connaître les classiques aux jeunes de moins de douze ans, according to me. J’ai en projet un remake de La traversée de Pâris, et de Les capotes de Cherbourg.
- Vous aimez le cinéma français…
- Ouais, enfin, ça reste off, baby, ce que j’aime surtout, c’est les actrices françaises. Et faire de nouvelles vagues dans la piscine…
(Il vide une caisse de coke. Le téléphone sonne).
- Excuse me, on me demande au phone. C’est Brigitte - un mythe chez nous aussi.
- Excuse me to aussi, un SMS. « Achtung, Cléo. Der Mann à côté de vous ist ein grosse Salopard. LDF »
- Reprenons. Si vous deviez faire faillite côté cinéma, que feriez-vous ?
- Well, it’s a good question. Du théâtre, je pense. Je rêve de jouer Camus…
- Ah, oui : Caligula…
- Ou La chute, j’hésite encore. Mais dites-moi, mademoiselle…
- Cléo.
- Clito ?
- Non, Cléo, comme Cléopâtre.
- Cléopâtre ? Marvelous, wonderbra ! Maintenant que j’y pense, je cherche une Clitopâtre pour une superproduction à petit budget. Vous avez le physique de l’emploi, baby. Je vous engage.
- Oulà, ça va pas être trop possible… J’ai signé en exclu pour LVDC jusqu’en 2047. Et en plus, il se fait tard... Sky ! Mon ferryboat pour Saint-Dié part dans 30 minutes. Bye bye, Mister Bratschwein.
Bibliographie :
Aziza (Claude), Guide de l'Antiquité imaginaire : roman, cinéma, bande dessinée, Les Belles Lettres, Paris, 2016.
Celebriti. Riches, célèbres et antiques, textes réunis et présentés par Romain Brethes et Laure de Chantal, précédé d'un entretien avec Frédéric Beigbeder, Les Belles Lettres, Paris, 2010. (Signets ; 12).
Érasme, Les Adages, sous la dir. de Jean-Christophe Saladin, Les Belles Lettres, Paris, 2013. (Le miroir des humanistes ; 12). <adage n° 1043 : Ne tombe pas sur Fesses-Noires>