Toute la semaine, jusqu’au 25 avril, les Romains les plus pazzi, célèbrent l’anniversaire de la fondation de la Rome antique. Costumés et dansant sur une musique parfois inattendue, ils défilent, ne portant sans doute pas le bon goût en triomphe, mais s’amusent et manifestement ne considèrent pas l’Antiquité comme une vieillerie poussiéreuse. La tradition, comme toutes les traditions, ne date pas d’hier. Déjà, en 2010, les téléspectateurs matinaux étaient réveillés par l’accent chantant de l’empereur Hadrien/Valerio. Déjà les Romains du temps d’Ovide célébraient la fondation de Rome le 21 avril 753 (avant notre ère) lors des fêtes des Parilia. Les célébrants ne se déguisaient pas en empereurs ou en gladiateurs, mais s’oignaient le corps d’un mélange de cendre, de sang et de cosses de fèves, ce qui était plus économique, et odorant. Si les participants d’hier et ceux d’aujourd’hui s’accordent, à quelques jours près, pour festoyer fin avril, rien n’est pourtant moins sûr que la date du 21 avril 753.
Alexandre Grandazzi dans La Fondation de Rome. Réflexion sur l'histoire fait le point sur les différentes traditions, les confronte, et montre à quel point ces traditions sont trompeuses : elles tiennent autant de ceux qui les ont écrites et transmises que de la réalité. Finalement, la seule chose que l’on sait, dans un bel élan socratique, c’est que l’on ne sait rien, mais qu’à Rome, les célébrations sont toujours les bienvenues, ab urbe condita.
Annexe 1
Amis des Classiques, à défaut de parade costumée, voici les principaux textes relatant la fondation légendaire de Rome :
Tite-Live, Histoire romaine, I, 3-4 et 6-7, trad. G. Baillet, CUF, 1995 :
[Procas] a pour fils Numitor et Amulius ; c’est à Numitor, l’aîné de ses enfants, qu’il lègue l’antique pouvoir de la dynastie des Silvius. Mais la force prévalut sur la volonté paternelle et sur le droit d’aînesse : Amulius détrône son frère, devient roi. Entassant crime sur crime, il assassina les enfants mâles de son frère ; quant à sa nièce, Rhea Silvia, sous prétexte de l’honorer, il la choisit comme Vestale, la vouant à la virginité et lui enlevant tout espoir d’être mère. […] Victime d’une violence, la Vestale mit au monde deux jumeaux et, soit bonne foi, soit désir d’ennoblir sa faute en la rejetant sur un dieu, elle attribua à Mars cette paternité suspecte. Mais ni les dieux ni les hommes ne mettent la mère à l’abri de la cruauté du roi : il donne l’ordre d’enchaîner la prêtresse, de la mettre en prison et de jeter ses enfants dans le courant du fleuve.
[...]
Après avoir ainsi rendu à Numitor le royaume d’Albe, Romulus et Remus conçurent le désir de fonder une ville à l’endroit où ils avaient été abandonnés et élevés. Il y avait, d’ailleurs, surabondance de population à Albe et dans le Latium. À cela s’ajoutaient les bergers ; le tout réuni permettait d’espérer qu’Albe, que Lavinium seraient petites à côté de la ville qui allait se fonder. À ces projets se mêla la passion héréditaire, la soif de règne, et cette passion fit sortir un conflit criminel d’une entreprise d’abord assez paisible. Comme entre ces deux jumeaux, le choix n’était pas possible, même au bénéfice de l’âge, c’était aux dieux protecteurs de ce lieu de désigner par des augures celui qui donnerait son nom à la ville nouvelle, la fonderait et en aurait le gouvernement. À cet effet, Romulus choisit le Palatin et Remus l’Aventin comme emplacements pour prendre les augures. Ce fut d’abord Remus qui obtint, dit-on, un augure : six vautours. Il venait de le signaler quand le double s’en présenta à Romulus. Chacun d’eux fut proclamé roi par son groupe. Les uns faisaient valoir la priorité, les autres le nombre des oiseaux pour tirer à eux la royauté. On discute ; on en vient aux mains ; les colères s’exaspèrent et dégénèrent en lutte meurtrière. C’est alors que, dans la bagarre, Remus tomba frappé à mort. Selon une tradition plus répandue, Remus, pour se moquer de son frère, aurait franchi d’un saut les murailles nouvelles, et Romulus, irrité, l’aurait tué en ajoutant cette apostrophe : « Ainsi [périsse] à l’avenir quiconque franchira mes murailles. » Romulus resta donc seul maître du pouvoir, et, après sa fondation, la ville prit le nom de son fondateur.
Plutarque, Vie de Romulus, IV, 2-4, trad. R. Flacelière, CUF, 1993
On raconte que les enfants déposés à terre en cet endroit furent allaités par la louve et qu’un pivert venait l’aider à les nourrir et à les protéger. Ces animaux passent pour être consacrés à Mars, et le pivert est honoré et vénéré tout particulièrement par les Latins. De là surtout vient la confiance qu’inspira la mère des enfants lorsqu’elle affirma les avoir eus du dieu Mars. On dit que, si elle le pensait, c’est qu’elle avait été trompée par Amulius, qui lui était apparu en armes quand il l’avait saisie et violentée. D’autres prétendent que c’est une ambiguïté sur le nom de la nourrice qui permit à l’histoire de dégénérer en fable, car les Latins appelaient louves les femelles des loups, mais aussi les prostituées ; or, tel était le cas, disent-ils, de la femme de Faustulus, qui avait recueilli les enfants pour les élever : elle se nommait Acca Larentia.
Pline, Histoire naturelle, XV, 20, trad. Cl. Aziza et Cathy Rousset:
On vénère un figuier poussé à Rome sur le Forum même […] en mémoire du figuier qui, nourricier des fondateurs de Rome, Romulus et Remus, leur offrit un premier abri dans le Lupercal et fut appelé Ruminal. Parce que sous son ombre fut trouvée la louve donnant aux petits enfants la mamelle (rumis, ancien nom pour mamma). Un bronze représentant a été consacré auprès de ce figuier […]. C’est toujours un présage quand il se dessèche et les prêtres n’oublient pas d’en planter un nouveau.
Ovide, Fastes, II, vers 407-422, trad. R. Schilling, CUF, 1993 :
Placés dans le creux d’une auge, les jumeaux flottent à la surface de l’eau. Ah ! quel destin immense fut confié à une petite nacelle ! Poussée vers un boqueteau touffu, l’auge s’immobilise dans la vase, au fur et à mesure que décroît le niveau de l’eau. Il y avait un arbre – il en subsiste des vestiges : ce figuier de Romulus. Auprès des jumeaux abandonnés vint par miracle une louve qui avait mis bas. Qui pourrait croire que la bête sauvage ne fit pas de mal aux enfants ? C’est trop peu dire qu’elle n’a fait aucun mal ; elle leur à été bénéfique. Et ces êtres nourris par une louve, un parent avait osé vouloir leur perte ! Elle s’arrête, caresse avec sa queue les tendres nourrissons et, de sa langue, façonne leur corps. Ils étaient nés de Mars, à n’en pas douter : ils ignoraient la peur. Ils tètent les mamelles et bénéficient pour se nourrir d’un lait qui ne leur était pas destiné. La louve donna son nom au lieu, le lieu à son tour aux Luperques : ainsi, cette nourrice a reçu pour le don du lait une grande récompense.
Annexe 2
Lire un extrait de La Fondation de Rome d'A. Grandazzi
Annexe 3
Retrouvez « Les Origines de Rome » par A. Grandazzi en écoutant l’émission « 2000 ans d'histoire »