Remedia morbis - II. Remèdes contre le mal de ventre

Texte :

Tous les quinze jours, Nicola Zito vous invite à découvrir les remèdes médicaux les plus curieux des Anciens, entre science, magie, astrologie et superstition. Libre à vous de les expérimenter !

Dans Les Nuées d’Aristophane Socrate demande à Strepsiade : « Il t’est déjà arrivé, n’est-ce pas, gorgé de sauce, aux Panathénées, d’avoir des troubles au ventre et d’y entendre soudain des crépitements prolongés ? – Oui, par Apollon, répond Strepsiade ; et aussitôt je le sens qui fait des siennes plein de trouble : et pareil au tonnerre, la petite sauce fait un fracas et un vacarme terribles ; doucement d’abord, pappax, pappax ; ensuite, plus vivement, parapappax ; et quand je… fais, c’est le tonnerre : parapappax ».

Mais quelle est la cause des « troubles au ventre » dont est atteint notre Strepsiade ? Pour Firmicus Maternus, auteur au ive siècle de la Mathesis ou Traité d’astrologie, quand la Lune, s’écartant de Saturne, « est peu éclairée, elle provoquera un froid permanent dans la région du ventre – les Grecs appellent ces gens les ventres froids – et fera des gens qui souffrent de maladies sans fin de leurs humeurs, maigres, souffrant de la rate, de la dysenterie… » Si la Lune est ici responsable, comme souvent dans les textes astrologiques, des affections du ventre[1], le « froid permanent » dont il est question semble dû en revanche à l’influence de Saturne, la planète froide par excellence, puisqu’elle est éloignée du Soleil[2].

Cependant c’est à Mercure que revient le plus souvent l’honneur d’exercer son patronage sur le ventre et les entrailles[3]. Semblablement la Vierge, domicile diurne de la planète, régit la région des flancs et est donc responsable des maladies du ventre[4]. C’est ce que nous explique Maxime dans son poème Des initiatives, composé vraisemblablement au ive siècle : quand la Lune se trouve dans ce signe, « il échappe à la mort, celui qui ce jour-là commence à souffrir dans ses membres souples, pourvu qu’il ne soit pas alourdi par une indisposition de l’estomac ou du flanc – la Lune ne lui fera pas recouvrer rapidement la santé. »

Et notre Strepsiade, comment pourra-t-il se soigner d’affections qui s’avèrent parfois si pénibles, même de nos jours ? La réponse se trouve comme d’habitude dans les plantes, les pierres et les animaux, ainsi que dans le réseau de correspondances qui les lie aux planètes et aux constellations, eux-mêmes responsables des maladies en question.

Commençons par des remèdes “soft”. Le rosier-des-chiens est la plante de la Lune : son suc soigne les douleurs aigües de l’estomac[5], sa fleur les enflures de la rate[6]. D’après un traité hermétique consacré aux plantes des sept planètes, la plante de Mercure, le quintefeuille (πεντάφυλλον, d’où sans doute son autre nom ἀνθρωπόχειρον, littéralement “main d’humain”), pourra bien évidemment s’avérer très utile contre les coliques pour peu qu’on boive jusqu’à deux cuillères de son suc mélangé avec de l’eau[7]. Le médecin bordelais Marcellus Empiricus, auteur au début du ve siècle d’un traité De medicamentis, nous conseille quant à lui de nous procurer de l’écorce de figuier sauvage. Il faudra notamment l’appliquer sur une enflure ou une induration de la rate, puis la suspendre dans la fumée en demandant que la rate ou le foie du malade se dessèche tout comme l’écorce… Le rituel repose clairement ici sur un principe de contiguïté : c’est parce que l’écorce de figuier a été en contact immédiat avec le corps humain qu’elle est à même de le soigner, notamment après avoir été traitée par fumigation et au moyen d’une “requête” explicite du malade[8]. Doit-on établir un lien entre l’emploi de l’écorce de figuier et la protection que la planète Mercure est censée exercer sur le ὁπός, terme qui peut désigner depuis Homère le suc acide de figue utilisé pour faire cailler le lait[9] ?

Mais il est temps de quitter les vertus des plantes pour faire une incursion dans le monde minéral. Galien, qui illustre dans son œuvre sur les Médicaments simples les bienfaits du jaspe vert, dit puiser ses informations rien de moins que dans le quatorzième livre de Néchepso, un roi égyptien censé avoir vécu dans un passé très éloigné que les Anciens vénéraient comme une autorité en matière d’astrologie[10]. Il suffira de sertir la gemme dans une bague et graver sur elle « un serpent ayant des rayons » pour que son pouvoir sur le ventre se manifeste. Le jaspe est en effet une des pierres que les manuels d’astrologie attribuent à la planète Mercure[11] ; et c’est à cette même planète que, dans les mêmes textes, sont échus les ἑρπετά[12] parmi lesquels on peut bien évidemment compter les serpents. Galien lui ne croit pas qu’une telle entaille ait quelque influence que ce soit sur les maladies, mais a pu tout de même expérimenter l’efficacité du jaspe contre les coliques : c’est pourquoi il prescrit de confectionner « un petit collier de petites pierres de cette nature » et de le faire pendre en amulette du cou du malade en lui donnant une taille telle que les pierres touchent la bouche de l’estomac. Strepsiade choisira-t-il la bague ou le collier ?

Ce souci esthétique ne caractérise pas du tout un remède d’origine animale, efficace semble-t-il mais assez répugnant, dont il est toujours question chez Galien. Un thérapeute dont il ne cite pas le nom faisait boire de la fiente blanche de loup, mélangée avec du sel et du poivre, aux malades atteints de coliques ; mais celle-ci se révélait également efficace si attachée en amulette autour des flancs du patient au moyen d’un lien fait de préférence avec de la laine de petit bétail ou de la peau de biche. Galien souligne dans son passage que le loup « a une nature comparable à celle du chien », ce qui semble pouvoir expliquer l’emploi des excréments de cet animal en particulier. Le chien est en effet l’un des animaux de Mercure dans les textes astrologiques[13], ce qui a à son tour une justification mythologique : Mercure est le dieu des voleurs, qu’il aide à triompher de leurs principaux ennemis, c’est-à-dire les chiens de garde[14] ! Est-ce pour cette raison que Athoum, le premier décan du signe de la Vierge, domicile diurne de Mercure, a d’après Hermès Trismégiste le visage d’un chien ? Il régit précisément les affections produites dans le ventre : pour qu’il soit efficace, il faudra le graver sur la pierre corallite et, après avoir placé au-dessous la plante appelée “œil de belette”, la renfermer dans ce qu’on voudra et la porter sur soi tout en s’abstenant du foie de truie blanche. Une telle interdiction lorsqu’on souffre du ventre repose sur un principe d’opposition transparent[15], mais pourquoi Hermès spécifie-t-il qu’il faut éviter le foie de truie blanche, tout comme la fiente de loup dont il est question chez Galien est blanche ? Si le réseau astrologique que nous sommes en train de reconstruire est exact, il se peut que ces précisions “chromatiques” aient un lien avec une des épithètes grecques de Mercure, Στίλβων, “le Resplendissant”[16].

Quoi qu’il en soit, le chien est également le protagoniste d’un remède, cruel cette fois, que nous rencontrons dans l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien : « ceux que nous appelons chiens de Mélita, appliqués à de fréquentes reprises sur l’estomac, en apaisent la douleur : on constate que le mal a passé en eux, car ils deviennent malades et, le plus souvent, meurent. » Peut-on expliquer cette méthode thérapeutique par l’astrologie ? Le chien, nous venons de le voir, est un des animaux de Mercure, ce qui nous invite à nous demander pourquoi le choix du naturaliste tombe sur cette race de chiens de compagnie en particulier. Le toponyme Mélita désigne en effet pour Pline, qui suit en cela Callimaque, une île située devant la côte de l’Illyrie (Croatie actuelle)[17], alors qu’il s’agirait de Malte pour d’autres auteurs chez qui il est également question de ces chiots, par exemple le géographe Strabon[18]. Les deux Mélita semblent de toute manière pouvoir entretenir un lien avec la Vierge, signe du Zodiaque qui régit les maladies du ventre. D’une part en effet certains textes astrologiques attribuent à la main gauche de la Vierge le patronage sur la Sicile[19], donc sur Malte, qui se trouve à proximité de cette île[20]. D’autre part, d’après l’illustre astronome Ptolémée, l’Illyrie se trouve dans le secteur de l’écoumène placé sous la tutelle du trigone astrologique que composent le Taureau, la Vierge et le Capricorne. Certes, quand il détaille l’influence de ces signes sur les différentes régions du secteur, c’est la Grèce du Nord (Hellade)[21] qu’il attribue à la Vierge, alors que l’Illyrie revient au Capricorne. Mais les deux territoires étant l’un à côté de l’autre, on peut penser que les influences astrales ne sont pas bien délimitées : de telles oscillations sont assez courantes dans les textes astrologiques[22].

Notre Strepsiade ne devra, je l’espère, aller dans les champs cueillir le rosier-des-chiens ou le quintefeuille, se rendre dans un bois récolter de la fiente de loup ou sacrifier son animal domestique pour se soulager de ses maux de ventre : heureusement pour lui, la médecine moderne a trouvé des remèdes plus rassurants contre ce genre de problèmes.

Bibliographie

Bouché-Leclercq 1899 : A. Bouché-Leclercq, L’astrologie grecque, Paris, 1899.

CCAG : Catalogus Codicum Astrologorum Graecorum, I-XII, Bruxelles, 1898-1953.

Chantraine, DELG : P. Chantraine, Dictionnaire étymologique de la langue grecque. Histoire des mots, Paris, 20092.

Gaide 2003 : F. Gaide, « Aspects divers des principes de sympathie et d’antipathie dans les textes thérapeutiques latins », dans N. Palmieri, (éd.), Rationnel et irrationnel dans la médecine ancienne et médiévale. Aspects historiques, scientifiques et culturels, Saint-Étienne, 2003, p. 129-144.

Heilen 2011 : S. Heilen, « Some metrical fragments from Nechepsos and Petosiris », dans I. Boehm, W. Hübner (éd.), La poésie astrologique dans l’Antiquité, Paris, 2011, p. 23-93.

Ludwich 1877 : Maximi et Ammonis Carminum de actionum auspiciis reliquiae. Accedunt Anecdota astrologica, Lipsiae, 1877.

Olivieri 1934 : A. Olivieri, Melotesia planetaria greca, Naples, 1934.

West 1978 : Hesiod, Works & Days, ed. by M. L. West, Oxford, 1978.

Zehnacker 1998 : Pline l’Ancien, Histoire Naturelle. Livre III, éd. par H. Zehnacker, Paris, 1998.

Zito 2016 : Maxime, Des initiatives, éd. par N. Zito, Paris, 2016.

 

[1] Olivieri 1934, p. 27.

[2] Bouché-Leclercq 1899, p. 93.

[3] Olivieri 1934, p. 24.

[4] Ibid., p. 25.

[5] CCAG IV, p. 136, l. 8-9.

[6] CCAG VIII, 3, p. 160, l. 10-11.

[7] CCAG VIII, 3, p. 162, l. 21-23.

[8] Gaide 2003, p. 138.

[9] Chantraine, DELG, p. 781 s. u.

[10] Heilen 2011, passim et p. 64-65.

[11] Ludwich 1877, p. 121, l. 17.

[12] Ibid., p. 122, l. 9.

[13] Ibid., p. 122, l. 11.

[14] West 1978, p. 369.

[15] Voir par ex. Zito 2016, p. 95, ad Max. 116.

[16] Bouché-Leclercq 1899, p. 100.

[17] Zehnacker 1998, p. 282, ad Plin. N. H. III, 152.

[18] Strab. VI, 277 C (p. 198, l. 20-21 Radt) πρόκειται δὲ τοῦ Παχύνου Μελίτη – ὅθεν τὰ κυνίδια ἃ καλοῦσι Μελιταῖα.

[19] Ludwich 1877, p. 116, l. 7.

[20] Cf. le passage de Strabon cité plus haut (n. 18).

[21] Cf. pour cette traduction Bouché-Leclercq 1899, p. 332.

[22] Voir Zito 2016, p. 79, ad Max. 45 ; p. 169, ad Max. 547. Le poète parle de Poissons “printaniers” alors qu’il s’agit d’un signe d’hiver : l’équinoxe de printemps arrive dans le Bélier, soit le signe qui vient immédiatement après les Poissons. Maxime qualifie également les Gémeaux de signe d’été alors que c’est un signe de printemps : c’est que le Cancer (qui apporte la chaleur) et les Gémeaux sont à distance égale du point solsticial d’été.

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