Tous les quinze jours, Nicola Zito vous invite à découvrir les remèdes médicaux les plus curieux des Anciens, entre science, magie, astrologie et superstition. Libre à vous de les expérimenter !
Dans l’un des derniers chapitres du Satiricon de Pétrone (129), Encolpe, le protagoniste du roman, n’arrive pas à satisfaire la crotoniate Circé. La belle matrone adresse alors au jeune homme défaillant une lettre très sarcastique : « Si j’étais débauchée je te reprocherais ma déception. Bien au contraire je rends grâce à ton fiasco qui m’a permis de badiner plus longuement à l’ombre du plaisir. Mais je m’inquiète de toi. Tes jambes ont-elles pu te ramener ? Les médecins assurent qu’on ne peut marcher sans bander ses muscles. Écoute-moi bien, petit garçon. Attention à la paralysie. Je n’ai jamais vu de malade en si grand danger. Tu es déjà à moitié mort. Si le même froid s’attaque à tes genoux et à tes mains, tu peux commander les sonneurs de cor pour tes funérailles… »
Dans le roman, Encolpe attribue à juste titre la responsabilité de ses malheurs au dieu Priape, mais il aurait très bien pu en chercher les “coupables” dans la voûte céleste : parmi les planètes, nombreuses sont en effet celles qui exercent leur influence sur les organes génitaux, la procréation et le désir amoureux en général. Outre Vénus[1], déesse de la beauté et de l’amour, dont la présence dans un contexte érotique n’est pas du tout surprenante, nous rencontrons en effet dans cette liste Jupiter, le séducteur impénitent, qui régit la génération[2] ; Mars, l’impétueux dieu de la guerre, qui domine sur les testicules[3] ; le Soleil, source de vie par sa chaleur[4], qui préside à la procréation[5] ; et même le vieux et froid Saturne, dont la nature est spermatique[6]. Mais de quelle manière ces influences astrales se manifestent-elles sur terre ?
Notre Encolpe pourra tout d’abord essayer de retrouver sa virilité perdue en ayant recours aux minéraux. L’auteur du Lapidaire orphique vante en effet les vertus de la pierre ophite, qui aurait guéri un homme désormais incapable « d’assumer les travaux amoureux du mariage » (v. 469-471). L’ophite est en effet une des pierres que les manuels d’astrologie attribuent à Saturne[7], dont nous venons d’évoquer la nature spermatique ; son nom, ὀφίτης, est bien entendu étroitement lié à celui du serpent (ὄφις), animal échu à Saturne dans les mêmes textes[8].
Le poète Nonnos de Panopolis évoque quant à lui dans les Dionysiaques « la pierre qu’attire le séducteur pouvoir du fer » (32.24) : il s’agit de la sidérite, qui favorise les relations entre les hommes et les femmes, assimilées dans notre contexte à l’attraction de l’aimant ; elle orne ici la couronne d’Héra, dont la toilette a pour but de séduire son époux Zeus[9]. Le nom de la pierre, σιδηρίτης, évoque bien évidemment celui du fer (σίδηρος), qui est dans les textes astrologiques le minéral de Mars[10] – dieu de la guerre, il se montre toujours armé de fer[11], patron à son tour des organes génitaux d’après la mélothésie planétaire[12].
Si les aphrodisiaques d’origine minérale sont relativement rares, les amants des herbes n’auront que l’embarras du choix. D’après Pline l’Ancien, les orchis ont en effet des propriétés excitantes. Une telle vertu s’explique par la morphologie même de la plante, qui présente une double racine en forme de testicules, ce qui justifie par ailleurs sa dénomination, ὄρχις signifiant à la fois testicule et… orchis. La théorie des “signatures”[13] est ici à l’œuvre : le lien établi entre l’anatomie humaine et le végétal est à l’origine des pouvoirs que l’on lui attribue. De manière semblable, Hermès Trismégiste prescrit de s’abstenir d’orchis quand on souhaite soigner les inflammations (φλεγμονάς) des testicules, que régit Aphébis, troisième décan du Scorpion (Livre sacré sur les décans, 28), patron de la région du pubis dans le cadre de la mélothésie zodiacale[14] et domicile diurne de Mars[15], dont l’épithète astrologique est précisément Πυρόεις, le Flamboyant[16] : nulle surprise qu’il soit à l’origine de telles irritations cutanées.
Aussi intéressante que mystérieuse, la charisia est évoquée dans le traité Des fleuves attribué à Plutarque. Son nom est bien évidemment issu du substantif χάρις, qui peut désigner depuis Homère les plaisirs de l’amour (Iliade, 11.243). Elle pousserait sur le mont Taygète, près de Sparte, et si les jeunes filles, au début du printemps, l’accrochent autour de leur cou, « les hommes les aiment avec plus de passion » (17.4). La sympathie universelle est-elle à même d’expliquer au moins partiellement les détails que nous fournit le pseudo-Plutarque ? On ne peut l’exclure : la Balance, domicile diurne de Vénus, exerce en effet son patronage précisément sur la ville de Sparte d’après l’astrologue Odapsos[17], alors que le Taureau, domicile nocturne de la planète[18], est un signe de printemps[19] habituellement associé au cou dans les manuels d’astrologie[20].
Quoi qu’il en soit de la charisia, on voudrait en savoir davantage sur une plante dont il est question dans les Recherches de Théophraste (9.18.9), qui omet toutefois d’en indiquer le nom et l’espèce – Pline l’Ancien lui-même s’en plaint dans son Histoire naturelle (26.99). D’après la source de Théophraste – un Indien qu’auraient rencontré les compagnons d’Alexandre le Grand lors de l’expédition orientale du souverain[21] – il suffirait de s’en frotter le membre pour pouvoir assurer jusqu’à soixante-dix rapports sexuels de suite. Mais attention : l’éjaculation se fera goutte à goutte et l’homme finira par émettre du sang : on ne peut pas tout avoir !
Les remèdes les plus efficaces sont cependant ceux d’origine animale. Pour les moins courageux, il s’agira tout simplement de manger « les jaunes de cinq œufs de pigeon mélangés à un denier de graisse de porc et ingérés avec du miel » (Pline, Histoire naturelle, 30.141). Ce remède se place tout entier sous le signe de Vénus : le pigeon (περιστερά) est en effet traditionnellement un des animaux de la déesse de l’amour, ce que vient confirmer l’astrologie, puisque nous trouvons sous la tutelle de cette planète aussi bien les colombes[22] qu’une plante aux vertus aphrodisiaques nommée précisément περιστερεών[23]. Quant au chiffre cinq, Jamblique nous rappelle que les Pythagoriciens l’appelaient “Aphrodite” ou “nombre nuptial” car il représente l’union entre le trois et le deux, à savoir le nombre masculin et le nombre féminin (Théologie de l’arithmétique, p. 41, l. 12-14 De Falco).
L’animal que notre Encolpe devra à tout prix essayer de se procurer est cependant un âne, symbole dans la littérature ancienne des pulsions sexuelles les plus basses : que l’on songe à la métamorphose de Lucius dans le roman homonyme d’Apulée. En astrologie, l’âne est un des animaux de Vénus[24], ce qui permet d’expliquer aussi par la sympathie universelle le rôle que Pline l’Ancien, ou ses sources, lui prêtent dans la préparation d’aphrodisiaques (28.261-262) : un testicule droit d’âne, bu dans du vin ou attaché en bracelet, stimule en effet les fonctions sexuelles ; mais l’on pourra également tester l’efficacité de l’écume du même animal, recueillie bien entendu après la saillie dans une étouffe rousse et enfermée dans un médaillon d’argent. Si vous avez une verge d’âne à portée de main, vous n’aurez qu’à la plonger sept fois dans de l’huile bouillante pour ensuite en frictionner l’organe correspondant…
Vous ne disposez pas d’un âne ? Un taureau fera l’affaire, soyez rassurés : il suffira de boire son urine (il faut qu’il vienne de saillir, cela va sans dire…) ou de s’enduire le pubis avec la boue formée par cette urine (Pline, Histoire naturelle, 28.262). Si le taureau est très clairement un symbole de virilité et d’exubérance érotique, il ne faut pas oublier non plus que le signe du Taureau, domicile nocturne de Vénus comme nous venons de le voir, est dans les textes astrologiques le responsable de perversions sexuelles de toutes sortes[25].
Un dernier remède d’origine animale se concentre quant à lui sur le plaisir des femmes, si rarement évoqué dans nos textes : à en croire Pline, du sang de chauve-souris recueilli sur un flocon de laine et placé sous la tête d’une femme exciterait son désir (30.143). Peut-on l’expliquer par l’association de la planète Saturne aux oiseux nocturnes[26], parmi lesquels les Anciens comptaient la chauve-souris[27] ?
Pierres à serpents, herbes mystérieuses, frictions à base d’urine de taureau ? On ne saurait s’empêcher de conseiller à notre Encolpe de se rendre au plus vite dans la pharmacie la plus proche et de demander certaine pilule bleue qui vient tout juste d’avoir 20 ans…
Bibliographie
Amigues 2006 : Théophraste, Recherches sur les plantes. Tome V : Livre IX, éd. par S. Amigues, Paris, Les Belles Lettres, 2006.
Braccini-Macrì 2018 : Antonino Liberale, Le Metamorfosi, éd. par T. Braccini et S. Macrì, Milan, 2018.
CCAG : Catalogus Codicum Astrologorum Graecorum, I-XII, Bruxelles, 1898-1953.
De Falco 1922 : [Iamblichi] Theologoumena arithmeticae edidit V. De Falco, Lipsiae, 1922.
Frangoulis 2003 : H. Frangoulis, « Les pierres magiques dans Nonnos », dans D. Accorinti, P. Chuvin (éd.), Des Géants à Dionysos. Mélanges de mythologie et de poésie grecques offerts à Francis Vian, Alexandrie, 2003, p. 433-445.
Gaide 2003 : F. Gaide, « Aspects divers des principes de sympathie et d’antipathie dans les textes thérapeutiques latins », dans N. Palmieri, (éd.), Rationnel et irrationnel dans la médecine ancienne et médiévale. Aspects historiques, scientifiques et culturels, Saint-Étienne, 2003, p. 129-144.
Halleux-Schamp 1985 : Les Lapidaires grecs, éd. par R. Halleux et J. Schamp, Paris, 1985.
Ludwich 1877 : Maximi et Ammonis Carminum de actionum auspiciis reliquiae. Accedunt Anecdota astrologica, rec. A. Ludwich, Lipsiae, 1877.
Olivieri 1934 : A. Olivieri, Melotesia planetaria greca, Naples, 1934.
Zito 2016 : Maxime, Des initiatives, éd. par N. Zito, Paris, 2016.
[1] Olivieri 1934, p. 22-23.
[2] Ibid., p. 13.
[3] Ibid., p. 15.
[4] Ibid., p. 16.
[5] Ibid., p. 18.
[6] Ibid., p. 7.
[7] Halleux-Schamp 1985, p. 222.
[8] Cf. Anecdota astrologica, p. 121, l. 23 Ludwich Κρόνος ἐκληρώσατο δράκοντας καὶ ὄφεις.
[9] Frangoulis 2003, p. 437.
[10] Cf. Anecdota astrologica, p. 121, l. 10 Ludwich.
[11] Frangoulis 2003, p. 441, n. 63.
[12] Ptolémée, Tétrabible, 3.13.5 ὁ δὲ τοῦ ῎Αρεως…μορίων (κύριός ἐστιν).
[13] Gaide 2003, p. 140.
[14] Voir Zito 2016, p. 117, ad Max. 229-231.
[15] Olivieri 1934, p. 15.
[16] Voir Zito 2016, p. 126, ad Max. 298.
[17] Cf. Anecdota astrologica, p. 116, l. 16 Ludwich.
[18] Olivieri 1934, p. 23.
[19] Cf. Anecdota astrologica, p. 105, l. 19 Ludwich.
[20] Voir Zito 2016, p. 106, ad Max. 168.
[21] Amigues 2006, p. 227, n. 26.
[22] Cf. Anecdota astrologica, p. 122, l. 8 Ludwich.
[23] Cf. par ex. CCAG VII, p. 233, l. 15-26 : βότανον Ἀφροδίτης περιστερεών […] ἡ δὲ Ἀφροδίτη ἀρχὴ γενέσεώς ἐστιν· ὅθεν καὶ ἀφροδισίοις ἡ βοτάνη ἁρμόζει, περισσοτέραν γὰρ ἡδονὴν ὁ χυλὸς ἀυτὴς παρέχει τοῖς συνουσιάζουσιν, ἐὰν περιχρίσῃ πρὸ τῆς συνουσίας, « la plante d’Aphrodite est le περιστερεών […] Aphrodite est le principe de la génération, c’est pourquoi sa plante convient aussi à ceux qui se livrent aux plaisirs de l’amour ; en effet, son suc procure un plaisir tout à fait extraordinaire à ceux qui s’unissent, si l’on s’en enduit avant le rapport ».
[24] Cf. Anecdota astrologica, p. 122, l. 7 Ludwich.
[25] Voir Zito 2016, p. 87-88, ad Max. 89, ainsi que la première chronique Remedia morbis, consacrée aux remèdes contre l’infidélité des femmes.
[26] Cf. Anecdota astrologica, p. 121, l. 25-26 Ludwich.
[27] Cf. par ex. Antoninus Liberalis, Les Métamorphoses, 10.4 μετέβαλεν εἰς ὄρνιθας· καὶ αὐτῶν ἡ μὲν ἐγένετο νυκτερίς, avec le commentaire ad loc. de Braccini-Macrì 2018, p. 181-182, n. 12.