Remedia Morbis - V. Remèdes contre les brûlures

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Tous les quinze jours, Nicola Zito vous invite à découvrir les remèdes médicaux les plus curieux des Anciens, entre science, magie, astrologie et superstition. Libre à vous de les expérimenter !

« Hélas, quel Scorpion, quel Cancer arraché à la zone torride se sont fixés dans mes moelles et me brûlent intérieurement ? Ce foie qui jadis était plein d’un sang ardent qui le gonflait et les lobes calcinés de mes poumons sont distendus par lui ; mon foie est brûlé ; son fiel s’est desséché et une chaleur subtile a peu à peu tari tout mon sang » : c’est ainsi que, dans l’Hercule sur l’Oeta attribué à un imitateur du philosophe Sénèque (v. 1218-1223), le personnage éponyme, dont le corps est consumé par la tunique empoisonnée qu’il vient accidentellement de revêtir, exprime ses atroces souffrances.

Notre héros se connaît-il en astrologie ? Le Cancer est en effet un signe brûlant[1], dans lequel aura lieu selon les Stoïciens la réunion des planètes lors de la conflagration universelle (destruction du monde par le feu)[2], alors que le Scorpion, signe ardent (διάπυρον)[3], représente le domicile diurne de Mars[4], le Flamboyant (Πυρόεις).

La planète rouge est donc naturellement associée aux maux “brûlants” (πυρώδη), qu’elle soulage par sa plante, la “langue d’agneau” (ἀρνόγλωσσον)[5] : il s’agit du grand plantain (Plantago major L.)[6], également mentionné par Pline l’Ancien en ouverture d’une liste de remèdes végétaux contre les brûlures (Histoire Naturelle, XXVI, 129). Le nom grec de la plante nous rappelle que le Bélier, appelé Ἀρνειός dans certains textes astrologiques[7], et signe ardent lui aussi[8], est précisément le domicile nocturne de Mars[9].

Parmi les animaux que les manuels d’astrologie placent sous le patronage de Mars, on rencontre notamment les chiens, les bêtes sauvages et carnivores ainsi que les porcs[10] : ce n’est donc pas surprenant que Pline l’Ancien énumère parmi les remèdes contre les brûlures la fiente de sanglier ou de porc desséchée, la cendre de leurs soies arrachées aux pinceaux qui servent à badigeonner les murs et pilée avec de la graisse (Histoire Naturelle, XXVIII, 235), ou la cendre d’une tête de chien (Histoire Naturelle, XXX, 109).

Mais l’astrologie et les associations d’idées qui caractérisent cette discipline permettent également d’expliquer pourquoi les crottes de chèvre sont à même de soigner les brûlures (Histoire Naturelle, XXVIII, 235) : comment ne pas y voir un lien entre le nom latin de l’animal, capra, et le Capricorne, le signe dans lequel s’exalte Mars[11] ? Quant à la colle de Rhodes, que Pline considère comme la plus pure (Histoire Naturelle, XXVIII, 236), peut-on justifier sa présence dans un chapitre consacré aux brûlures par le fait que l’astrologue Odapsos place l’île de Rhodes sous le patronage des pattes du Cancer[12], même si ce signe représente en fait la dépression de la planète[13] ? Il s’agirait en tout cas d’un signe d’été, donc naturellement associé à la chaleur[14], comme nous l’avons vu.

Quoi qu’il en soit, les remèdes que nous propose Pline sont le plus souvent liés à l’idée de régénérescence véhiculée par les animaux mentionnés ou par les parties de leur corps qu’il nous conseille d’employer. La colle la meilleure pour guérir les brûlures sans cicatrices se fabrique par exemple selon Pline avec les oreilles et les parties génitales du taureau (Histoire Naturelle, XXVIII, 236) : puisque cet animal est un symbole fort de virilité, donc de puissance créatrice, la mention de ses testicules[15] est particulièrement adaptée dans un contexte où il est question de réparer les lésions de la peau. Une association d’idées similaire me semble donc à même de rendre compte du recours aux crottes de lièvre (Histoire Naturelle, XXVIII, 235) ou à la cendre de rats (Histoire Naturelle, XXX, 109) puisque la prolificité de ces rongeurs est proverbiale[16] : grâce à eux, la peau va vite se reformer !

L’emploi de la moelle de cerf (Histoire Naturelle, XXVIII, 235) et celui de la graisse de vipère (Histoire Naturelle, XXX, 109) s’expliquent eux aussi assez aisément : la mue des bois et celle de la peau font bien évidemment des deux animaux en question autant de symboles de renouveau, régénérescence et rajeunissement[17], tout comme l’ours, dont Pline mentionne la graisse en ouverture de son énumération de remèdes d’origine animale contre les brûlures (Histoire Naturelle, XXVIII, 235). Les Anciens attribuent en effet à cette substance des propriétés de cicatrisation, et pour cause : voyant l’ours hiberner sans se nourrir, ils en avaient conclu que sa survie n’était possible qu’en raison d’un processus de régénérescence de sa graisse[18] !

Il me semble alors intéressant de remarquer que, dans un autre passage de son Histoire Naturelle où il est également question de brûlures (XXVI, 129), Pline évoque l’arction, plante dont le nom est issu du terme grec ἄρκτος, qui désigne précisément l’ours : il s’agit d’une plante velue – une Aunée ou des Celsies orientales[19] – dont l’association avec le nom et la morphologie de notre mammifère explique les extraordinaires propriétés cicatrisantes ! C’est donc vraisemblablement pour une raison similaire que, dans le même passage, Pline nous recommande d’utiliser contre les brûlures la grande joubarbe : le nom latin de la plante, aizoon ou aizoum, est en effet la transcription du grec ἀείζῳον, “qui vit toujours”[20], ce qui paraît de bon augure pour une plante censée régénérer la peau…

Amis des Classiques, vous voilà au taquet pour ce qui est des remèdes contre les brûlures. Il ne me reste qu’à vous souhaiter d’excellentes vacances au bord de la mer, avec une recommandation cependant : n’oubliez pas d’acheter une bonne crème solaire !

Bibliographie

Amigues 2006 : Théophraste, Recherches sur les plantes. Livre IX, éd. par S. Amigues, Paris, 2006.

André 1985 : J. André, Les noms de plantes dans la Rome antique, Paris, 1985.

Bouché-Leclercq 1899 : A. Bouché-Leclercq, L’astrologie grecque, Paris, 1899.

CCAG : Catalogus Codicum Astrologorum Graecorum, I-XII, Bruxelles, 1898-1953.

Ludwich 1877 : Maximi et Ammonis Carminum de actionum auspiciis reliquiae. Accedunt Anecdota astrologica, Lipsiae, 1877.

Olivieri 1934 : A. Olivieri, Melotesia planetaria greca, Naples, 1934.

von Staden 2008 : H. von Staden, « Animals, Women and Pharmaka in the Hippocratic Corpus », dans V. Boudon-Millot, V. Dasen, B. Maire (éd.), Femmes en médecine en l’honneur de Danielle Gourevitch, Paris, 2008, p. 171-204.

Vincent 2010-2011 : A.-L. Vincent, Édition, traduction et commentaire des fragments grecs du Kosmètikon attribué à Cléopâtre, Mémoire, Université de Liège, 2010-2011.

Zito 2016 : Maxime, Des initiatives, éd. par N. Zito, Paris, 2016.

 

[1] Bouché-Leclercq 1899, p. 23.

[2] Bouché-Leclercq 1899, p. 33, n. 3.

[3] Anecdota astrologica, p. 109, l. 16 Ludwich.

[4] Olivieri 1934, p. 15.

[5] CCAG IV, p. 135, l. 18-20.

[6] André 1985, p. 202 ; Amigues 2006, p. 272.

[7] Zito 2016, p. 84, ad Maxime, v. 72.

[8] Anecdota astrologica, p. 109, l. 16 Ludwich.

[9] Olivieri 1934, p. 15.

[10] Anecdota astrologica, p. 122, l. 2-4 Ludwich.

[11] Bouché-Leclercq 1899, p. 195.

[12] Anecdota astrologica, p. 115, l. 1 Ludwich.

[13] Bouché-Leclercq 1899, p. 195.

[14] Zito 2016, p. 169, ad Maxime, v. 547.

[15] von Staden 2008, p. 196 (testicules du castor).

[16] von Staden 2008, p. 188 (lapins) ; Vincent 2010-2011, p. 91 (souris).

[17] von Staden 2008, p. 187 (vipère) ; Vincent 2010-2011, p. 88 (moelle de cerf).

[18] Vincent 2010-2011, p. 86.

[19] André 1985, p. 23.

[20] André 1985, p. 8.

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