Tous les mois, Lauriane Locatelli (docteur en langues anciennes) nous révèle l’étymologie et l’origine d’un nom de villes françaises afin de se remémorer une des caractéristiques principales du lieu : celle qui lui a valu cette dénomination.
Besançon, connue entre autres pour ses fortifications du réseau Vauban classées au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 2008, dispose d’une position géographique stratégique dont l’architecte de Louis IXV n’est pas le premier à en déceler l’intérêt. En effet, la localisation de Besançon est tout à fait particulière : elle est lovée dans une boucle du Doubs et entourée par sept collines, ce qui lui vaut occasionnellement le surnom de « Petite Rome ». Le nom de l’E.H.PA.D. les 7 collines, situé à Besançon, témoigne aussi de cette configuration.
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Les Séquanes, peuple gaulois dont le nom serait issu du cours d’eau Sequana, avaient très bien compris l’intérêt d’un tel emplacement et y avaient installé leur centre névralgique. Strabon, géographe grec du premier siècle avant notre ère, évoque dans le livre 4 (4,3,2) de sa Géographie les Séquanes (Σηκοανοὶ) et le cours d’eau qui aurait valu leur dénomination. Ce dernier prend sa source dans les Alpes et se jette dans la mer (ἐν ταῖς Ἄλπεσι τὰς πηγὰς ἔχων), après avoir coulé parallèlement au Rhin et avoir traversé tout le territoire d'un peuple de même nom compris entre le Rhin à l'est et l'Arar à l'ouest. Il s’agit en réalité de la Seine actuelle, qui prend sa source à Source-Seine (anciennement Saint-Germain-Source-Seine dont les habitant étaient les Séquanigerminois), en Côte d’Or. Les Séquanes sont qualifiés de peuple habitant au-delà de l'Arar : Πέραν δὲ τοῦ Ἄραρος οἰκοῦσιν (Strabon, 4, 3, 2). L’Arar est l’ancien nom de la Saône, formé sur un redoublement de l’étymon indo-européen ar- signifiant « eau ».
César, dans sa Guerre des Gaules évoque Vesontio, nom antique de Besançon (la première attestation de la forme Besançon date de 1243), et la qualifie de « plus grande agglomération des Séquanes » (oppidum maximum Sequanorum ; César, 1, 38). Son emplacement stratégique n’échappe pas à César qui indique idque natura loci sic muniebatur ut magnam ad ducendum bellum daret facultatem, « la nature de ce lieu le protégeait de manière à constituer un avantage pour mener la guerre ». En effet, le cœur de l’agglomération est protégé à la fois par le cours du Doubs qui l’encercle et la colline avoisinante.
Concernant l’étymologie de Besançon, certains avaient proposé une explication par le nom du bison, hypothèse peu pertinente quand on sait que les toponymes sont davantage descriptifs que tirés de noms d’animaux et que le nom antique est Vesontio, avec passage graphique de la labiale /v/ à la bilabiale /b/ vers le sixième siècle de notre ère. Toutefois, le rapprochement entre le nom de la ville et celui du bison, bien qu’aussi inexistant linguistiquement qu’entre celui de la ville de Lyon et du lion, a donné lieu à des utilisations comme emblème et comme nom de l’équipe de football américain de Besançon : les Bisons de Besançon. Concernant les rapprochements avec le bison, E. Lambert (Essai sur la numismatique gauloise du Nord-Ouest de la France, p. 104) évoque une pièce de bronze dite de Visontio, publiée par le marquis de Lagoy, présentant un tête de bison de face. Toutefois selon la Revue Numismatique 2, p. 404, cette pièce de bronze serait une monnaie de Sybaris de Lucanie dont la légende a été omise.
Selon X. Delamarre (2010 , 104), Vesontio serait un toponyme celtique à la finale latine adaptée. Le nom serait dérivé du nom du dieu Vesontis dont la forme attestée en CIL XIII 2038 est Vesontio Mars (une forme Mar(tis) Vesonti(i) est restitué dans l’inscription CIL XIII 5368). Le culte de Mars et l’existence d’un temple dédié est toujours visible dans la toponymie moderne sous la forme « Chamars » (> campus Martis). Nous émettons toutefois des réserves concernant l’explication d’un nom d’établissement urbain par un nom de divinité car les toponymes très souvent descriptifs et évocateurs de la topographie du site. Cependant, nous n’excluons pas que le théonyme Vesontis et le toponyme Vesontio soient formé sur la même racine, même si Vesontio Mars semble plutôt désigner une version local du dieu Mars.
Une hypothèse communément admise interprète le toponyme par la racine indo-européenne *ves désignant une hauteur, dont l’existence n’est pas avérée, suivi peut-être d’un suffixe préceltique -unt, et d’un second suffixe -ionem. Cette racine indo-européenne se retrouverait dans le toponyme antique Vesunna désignant l’actuelle ville de Périgueux.
Toutefois, X. Delamarre (2011, unpublished) rapproche quant à lui le groupe Vesontio (ville) / Vesontis (dieu) de la racine indo-européenne à l’origine du latin vesper, « printemps ». Cette hypothèse nous laisse dubitative car le nom propre doit permettre l’identification du lieu, ce qui n’est pas le cas avec cette interprétation.
Nous rejoignons donc plutôt l’hypothèse émise par J. Lacroix qui propose un rapprochement avec le thème racine gauloise *ves-, de la racine indo-européenne *veis signifiant courber, tourner, enrouler. Selon nous, le toponyme Vesontio pourrait en effet être rapproché de la racine indo-européenne u̯eis- (Pokorny 1133-1134), qui a donné le latin viscus, désignant les viscères. Cette racine u̯eis- signifie « tourner » et elle serait à comprendre en lien avec la boucle formée par le Doubs. En effet, le site de Besançon est exceptionnel grâce à sa localisation originelle à l’intérieur d’une boucle du Doubs, allant jusqu’à former une presqu’île avec le Doubs qui serpente autour de la colline Saint Etienne et au pied des autres collines environnantes. L’ancienne Vesunna (actuelle Périgueux) est aussi lovée, de manière moins impressionnante, dans le méandre d’un cours d’eau : l’Ilse.
Concernant la boucle formé par le Doubs, la Boucle est désormais un micro-toponyme désignant le centre historique de Besançon. Ainsi le festival du livre du Grand Besançon porte le nom de « Livres dans la Boucle », Besançon compte aussi une maison d’édition qui porte le nom d’« Editions de la Boucle ».
Concernant le lien entre la toponymie et l’hydrographie, il n’est pas rare qu’un établissement urbain soit nommé par rapport à la forme du ou des cours d’eau. Par exemple, une autre ville du Doubs, Deluz est ainsi nommé en raison du méandre effectué par le Doubs à cette endroit. Concernant les noms de ville en lien avec un mouvement du cours d’eau, de nombreuses situés à la confluence de deux cours possède un nom signifiant « confluence », ainsi Cosne-court-sur Loire, Cosnes-et-Romain, Cosne d’Allier, etc., tous issus d’une ancienne forme condate.
Si le toponyme a évolué, le nom antique est encore utilisé dans le cadre du naming, en tant que nom de commerce, de marque. Ainsi, un magasin d’alimentation biologique de Besançon porte le nom de Vesonbio, et Vesontio est le nom d’un boutique de prêt-à-porter pour homme de Besançon, d’une pizzeria de Besançon et d’une collection de bijoux de la marque Maty, dont la maison mère est à Besançon. Ces pratiques font perdurer la mémoire du territoire et permettent de se souvenir que Besançon correspond à l’antique Vesontio, sur le territoire des Séquanes, comme le rappelle le nom d’un café de Besançon : le C.kwan, notation quasi phonétique de « séquane », le nom du groupe de radiologie Groupe Imagerie Médicale de Séquanie, et la laverie des Séquanes. Même si l’étymologie du nom Vesontio est encore discutée, le nom antique est toujours présent dans la mémoire collective.
Bibliographie sélective
Dauzat, A. – Rostaing, C., 1963, Dictionnaire étymologique des noms de lieux en France, Paris.
Delamarre, X., 2012. Noms de lieux celtiques de l'Europe ancienne, Arles.
Lacroix, J. 2003, Les noms d'origine gauloise, Paris.
Pokorny, J., 1959-1969, Indogermanisches etymologisches Wörterbuch, Berne.
Taverdet, G. – Lassus, F., 1995, Noms de lieux de Franche-Comté, Paris.
Toillon E., Les rues de Besançon, 2008, Besançon.