Catastrophe. Après un délicieux trimestre de recherche presque ininterrompue, à peine saupoudré de quelques entretiens avec des étudiants de 3e année au sujet de leurs mémoires, le trimestre d’hiver s’annonce moins gai. Les fêtes de fin d’année étaient passées, sans leur cortège d’indigestions et de refroidissements. Victoire ? Non ! Car voici qu’au moment même où chacun fourbit ses powerpoints, ses reading lists et ses handouts pour le début du trimestre le plus intense de l’année, le rhume frappe ! Pire, un affreux virus, qui s’attaque directement aux bronches, laissant le gosier douloureux, la voix frêle, la tête comme une citrouille. Aucun remède qui vaille : thym, miel, origan, citron, rhum et comprimés plus classiques s’épuisent et l’évidence est là. Il va falloir mimer les cours, pour compenser le filet de voix qui s’écoule faiblement de mon pharynx enflammé. Pour ne pas me ridiculiser, je me contente d’affiner un powerpoint où presque tout le cours est écrit. Impossible de se faire porter pâle : non seulement chaque semaine compte dans le trimestre d’hiver, constellé de deadlines pour les étudiants (et donc leur enseignants), et annuler un seul cours pose problème, mais de plus, instruite par plus de dix ans dans les universités britanniques, je sais qu’il n’y a aucune compassion à espérer de ma hiérarchie. Ceci m’est rapidement confirmé alors que je traîne en somnambule, de cours en réunion, une toux caverneuse du plus mauvais effet : à part une collègue suisse toujours bienveillante (et pleine de bon sens), nul ne me conseille de rentrer chez moi ! C’est un paradoxe anglais : rien n’est plus facile en principe de manquer un jour ou deux de travail pour cause de maladie (on ne demande pas de justificatif, et il n’y a pas de retenue sur salaire), et pourtant personne n’en profite, bien au contraire. Rien n’est plus mal vu. Est-ce la mentalité du Blitz ? Les héritiers de la Bataille d’Angleterre se signalent volontiers par une abnégation qui ne cesse de m’étonner. J’en prends de la graine, tout en rêvant d’une sieste réparatrice dont l’occasion ne se présentera pas : dans mon bureau, un beau canapé en cuir, une bouilloire salutaire, un plaid moelleux ; mais à la porte, étudiants et collègues passent leur tête à intervalle régulier, pour une question, pour rendre un livre ou pour me raconter une histoire. Parfois même, pour le plaisir de profiter de… mon canapé. Pas de doute, le trimestre d’hiver a commencé. No rest for the wicked !
Caroline Petit est docteur en études grecques de l’université Paris IV-Sorbonne (2004) et enseigne depuis 2012 à l’université de Warwick (Classics and Ancient History), après avoir enseigné à Paris IV (Institut de Grec), Exeter, Manchester et Winchester. Elle travaille sur les textes médicaux antiques, leur transmission et leur réception avec le soutien du Wellcome Trust (Galien, Pseudo-Galien). Elle a publié aux Belles Lettres la première édition critique, avec introduction, traduction et notes de l’Introductio sive medicus attribué à Galien.