À l’occasion de la publication de Ex nihilo. Genesis deorum, dernier volume bilingue latin-français de la collection Les Petits Latins, Marine Guérard et Guillaume Diana nous font l’honneur d’un entretien exclusif pour nous raconter la création du monde, des dieux et des hommes telle que la racontaient les Anciens.
La Vie des Classiques : Comment vous présenter ?
Guillaume Diana : La présentation la plus simple serait de me décrire comme un professeur de Lettres classiques en collège depuis plusieurs années. Je me vois cependant comme un éternel étudiant, toujours volontaire pour apprendre de nouvelles choses, notamment en lien avec les langues anciennes et l’Antiquité.
Marine Guérard : Je suis passionnée par l’Antiquité et j’en ai fait mon métier. J’espère, au travers de mes cours au collège, mais aussi à travers les ouvrages auxquels j’ai eu la chance de participer, réussir à transmettre cette passion à d’autres que moi.
L.V.D.C. : Quelles ont été les rencontres déterminantes, de chair ou de papier, dans votre parcours ?
G.D. : Mes enseignants de collège et de lycée ont eu une place essentielle dans mon parcours étudiant et professionnel : j’ai une pensée émue pour cette enseignante qui a effectué toute sa carrière dans mon petit collège de campagne. Les enseignants de l’Université du Mirail (actuelle Jean Jaurès) à Toulouse m’ont fait découvrir bien plus que les thèmes dispensés, mais ils m’ont appris à m’engager au sein de l’université et dans les associations.
En ce qui concerne les rencontres de papier, j’ai la culture d’un enfant né au début des années 1990, donc grandi avec la parution successive des tomes de Harry Potter. Mes rencontres littéraires déterminantes ont été tardives : Rimbaud, les Tragiques grecs, Aristophane (par la traduction de Debidour, évidemment !), et, étrangement, les auteurs fragmentaires, ceux dont il faut reconstruire l’œuvre. Ma double préparation à l’agrégation m’a fait aimer et détester certains auteurs, Yourcenar d’un côté, Stendhal de l’autre. Pourtant, ces deux auteurs sont étudiés dans mes cours de Français : il faut savoir se faire plaisir et violence !
M.G. : Comme Guillaume, il est difficile de ne pas songer à mes enseignants. Je ne peux que remercier Vincent Metzger, mon professeur de latin durant mes trois années de lycée, qui a su me donner goût au monde antique et m’ouvrir la voie que j’ai empruntée par la suite. C’est d’ailleurs en classe de première, au détour d’un texte pour le baccalauréat, que j’ai découvert Virgile et son Énéide, qui reste à ce jour ma plus belle rencontre de papier.
Je suis cependant bibliovore depuis l’enfance et de nombreux auteurs et autrices m’ont accompagnée au fil des années : dans ma bibliothèque, Tolkien et J. K. Rowling côtoient Euripide, Tchekhov, Baudelaire ou encore Jean-Christophe Rufin. Il m’est difficile de faire un choix entre les genres littéraires : de belles surprises nous attendent partout en littérature !
L.V.D.C. : Quelle a été votre formation intellectuelle ?
M.G. : J’ai eu une formation très classique : baccalauréat littéraire (spécialité Latin), classe préparatoire, master recherche en études latines puis agrégation de Lettres classiques. Néanmoins, j’ai toujours veillé à croiser les regards durant mes études et je m’applique à le faire encore aujourd’hui. Je m’intéresse à l’histoire des arts et à la photographie, à la géographie ou encore aux sciences naturelles. C’est ce qui est appréciable dans le monde antique : on peut développer des connaissances dans des domaines très variés. Les philosophes grecs eux-mêmes étaient aussi souvent mathématiciens et cherchaient à approfondir leurs savoirs sans se limiter à une seule discipline.
G.D. : Étant touche-à-tout, j’ai appris beaucoup de notions seul, plongé dans de vieilles grammaires ou de vieux recueil de textes à l’odeur entêtante. Je suis le premier de ma famille à avoir validé de longues études, et surtout à travailler dans l’enseignement. Quant à ma formation universitaire, tout comme Marine, j’ai obtenu un baccalauréat littéraire (LV3 Italien, Latin et Grec ancien), une licence de Lettres classiques, un master en Sciences de l’Antiquité et j’ai suivi deux années de préparation à l’agrégation de Grammaire. Beaucoup d’éléments, culturels, littéraires et sociaux, étaient pour moi une réelle découverte à leur rencontre. Toutefois, ma curiosité a été satisfaite, tout jeune écolier et collégien, par l’émission C’est pas sorcier : c’est bien ce rituel quotidien qui a forgé mon envie de transmettre des savoirs aux nouvelles générations. J’entends encore les bruitages utilisés dans l’émission !
L.V.D.C. : Écrire un ouvrage dont une partie non négligeable est en latin, était-ce un défi pour vous ? Est-ce un exercice similaire à celui du thème latin, qui doit vous être familier ?
G.D. : La seule évocation du thème latin me fait encore frissonner ! C’est un exercice grammatical et littéraire qui doit se considérer comme tel. Je n’ai pas perçu la rédaction de notre ouvrage comme un exercice de thème latin à proprement parler. Cependant, c’était un beau défi à relever pour se plonger à nouveau dans les grammaires latines et dans les textes classiques pour offrir aux lectrices et aux lecteurs un texte le plus juste et le plus compréhensible possible. N’oublions pas que nous nous adressons surtout à des débutants en latin pour cet ouvrage : il faut que la langue soit fluide.
M.G. : Je garde un meilleur souvenir du thème latin (et même du thème grec !) mais l’exercice est en effet très différent. Nous avons choisi les thématiques des différents chapitres et nous avons davantage composé à partir des auteurs anciens que nous n’avons cherché à les rendre mot pour mot. Ils nous ont offert une trame sur laquelle nous avons essayé de broder le texte le plus clair possible, dans un souci d’accessibilité.
L.V.D.C. : Quelles ont été les différentes étapes dans l’écriture du Ex nihilo. Genesis deorum ? Avez-vous d’abord écrit la partie en français ? en latin ? ou bien les deux conjointement ? Comment écrire à quatre mains ?
G.D. et M.G. : Ex nihilo. Genesis deorum est réellement une œuvre écrite à quatre mains, ce qui a d’ailleurs été un plaisir. Nous fonctionnions selon les besoins : lorsqu’il fallait être synthétique, mieux valait écrire la partie française en premier. À l’inverse, dans les passages des générations divines, le latin pouvait s’exprimer tout seul, puis nous traduisions. Parfois, Ovide offrait assez de matière pour le citer allègrement et lui passer le bâton de parole. Nous avons écrit et retouché l’ensemble des chapitres à deux, ce qui nous a permis certes de nous corriger mutuellement mais surtout d’enrichir ou de compléter ce que l’un ou l’autre avait imaginé.
L.V.D.C. : En parlant d’écriture, pourquoi l’expression ex nihilo dans votre titre ? D’où provient-elle ?
G.D. et M.G. : L’expression ex nihilo est une version abrégée de ex nihilo nihil fit, « rien ne vient de rien », traduction d’une formule de Parménide, un philosophe présocratique, qui s’exprime en grec : οὐδὲν ἐξ οὐδενός (« rien [ne sort] de rien »). On peut aussi rapprocher cette expression de la creatio ex nihilo, cette « création à partir de rien » qui a une consonance religieuse. Nous n’avons conservé que la partie commune à ces deux expressions, ex nihilo, « à partir de rien », afin de laisser planer le doute quant à la version choisie. Nous laissons le soin aux lectrices et aux lecteurs de se faire leur propre idée.
L.V.D.C. : Les Anciens avaient-ils d’autres expressions ou proverbes pour désigner la création du monde ?
G.D. et M.G. : L’expression la plus connue reste l’incipit de l’Évangile selon Jean : « Au commencement était le Verbe », en grec « Ἐν ἀρχῇ ἦν ὁ λόγος », ou en latin « In principio erat Verbum ». Ce texte a traversé les âges et on le retrouve aujourd’hui encore au sein des lectures de messe durant la période de l’Avent. Nous pourrions connaître bien plus d’expressions si les œuvres désormais perdues d’auteurs grecs ou latins nous étaient parvenues.
L.V.D.C. : Lorsque l’on évoque la genesis deorum, la naissance des dieux, on pense ordinairement à Hésiode et sa Théogonie. Comment les Romains, et notamment Ovide que vous citez à plusieurs reprises, se sont-ils approprié les considérations du poète grec ?
G.D. et M.G. : Il n’existe pas de texte latin ou grec qui serve de texte religieux par excellence : chaque auteur reprend les théories antérieures en les adaptant à sa propre œuvre. La mythologie romaine a ses racines profondément ancrées dans celles de la Grèce et, pour ne citer que ce fait célèbre, les noms des divinités ont, pour un grand nombre, été simplement traduits du grec vers le latin. La Théogonie d’Hésiode est une œuvre fondamentale exploitée par les auteurs postérieurs. D’ailleurs, il faut voir la mythologie gréco-romaine comme un ensemble de mythes reliés les uns aux autres, parfois avec quelques incohérences ou des imprécisions (notamment dans les généalogies). La mise en parallèle de ces différentes versions permet de mettre en lumière tout l’intérêt de cette matière mythique : les versions grecque et latine ne sont pas à lire séparément l’une de l’autre, mais il faut les considérer conjointement.
L.V.D.C. : Existait-il d’autres théories sur la naissance du monde et des dieux, tant chez les Grecs que chez les Romains ?
G.D. et M.G. : Certains philosophes antiques ont questionné les origines du monde. Citons par exemple Héraclite qui voyait le feu comme un élément primordial, voire éternel, puisqu’il serait présent avant, pendant, et après notre monde, et que tout en est tiré. D’autres croyances moins connues du grand public comme l’orphisme, courant religieux de la Grèce antique, proposaient la création d’un œuf cosmique par des forces primordiales déjà existantes. On retrouve d’ailleurs l’image de l’œuf ailleurs que chez les Grecs, dans des textes sanskrits notamment. Dans l’ensemble, les sources manquent souvent ou sont fragmentaires, et il est difficile d’établir une cosmogonie précise.
L.V.D.C. : Pour finir sur une note de fantaisie : quelle est votre expression latine (ou grecque !) préférée ?
G.D. : J’en citerai deux. La première, sérieuse et gravée dans les pierres du temple d’Apollon : « γνῶθι σεαυτόν », « connais-toi toi-même ». Cette devise doit être cultivée par les jeunes qui voient bien loin dans l’avenir sans avoir même cherche à savoir qui ils étaient, ni qui ils voudraient être. La seconde est plus vivante, c’est le « cave canem » mis en scène par Pétrone, et écrit sur des mosaïques : on rencontre parfois des « cave felem » (« attention au chat »), voire d’autres réécritures qui font sourire au détour de ruelles.
M.G. : Je me rappelle de cet extrait du De Brevitate vitae, de Sénèque qui nous dit : « Non exiguum temporis habemus, sed multum perdidimus ». Cette phrase était calligraphiée dans l’une des salles de mon lycée où j’avais cours de latin et elle m’a toujours frappée. « Ce n’est pas que nous avons peu de temps, c’est que nous en perdons beaucoup. » Selon le philosophe, nous ne remplissons pas notre vie comme il le faudrait. Toute la sagesse réside dans la capacité à se recentrer sur l’essentiel, sans se laisser distraire. À nous d’employer le temps qui nous est imparti de la meilleure façon qui soit !
Ex nihilo. Genesis deorum est à retrouver sur notre site, sur le site des Belles Lettres et en librairie !
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