La Vie des Classiques vous propose, depuis hier, une nouvelle chronique qui vous emmène à la découverte de la Grèce en compagnie de Pausanias, dont le premier billet est consacré à un monument qu’on ne peut rater lorsqu’on visite aujourd’hui le sanctuaire de Delphes : le Trésor des Athéniens. Mais c’est surtout pour la Pythie, prophétesse de l’oracle d’Apollon, que ce « nombril du monde » était connu dans l’Antiquité et que les Grecs y venaient nombreux. Dans le livre VII de ses Histoires, Hérodote nous rapporte les deux oracles rendus aux Athéniens par la prêtresse de Delphes lors des préparatifs de Salamine, et leurs interprétations, signe de l’importance que les Grecs leur portaient.
140 Πέμψαντες γὰρ οἱ Ἀθηναῖοι ἐς Δελφοὺς θεοπρόπους χρηστηριάζεσθαι ἦσαν ἕτοιμοι· καί σφι ποιήσασι περὶ τὸ ἱρὸν τὰ νομιζόμενα, ὡς ἐς τὸ μέγαρον ἐσελθόντες ἵζοντο, χρᾷ ἡ Πυθίη, τῇ οὔνομα ἦν Ἀριστονίκη, τάδε· Ὦ μέλεοι, τί κάθησθε ; λιπὼν φεῦγ᾽ ἔσχατα γαίης 141 Ταῦτα ἀκούσαντες οἱ τῶν Ἀθηναίων θεοπρόποι συμφορῇ τῇ μεγίστῃ ἐχρέωντο. Προβάλλουσι δὲ σφέας αὐτοὺς ὑπὸ τοῦ κακοῦ τοῦ κεχρησμένου, Τίμων ὁ Ἀνδροβούλου, τῶν Δελφῶν ἀνὴρ δόκιμος ὅμοια τῷ μάλιστα, συνεβούλευέ σφι ἱκετηρίην λαβοῦσι δεύτερα αὖτις ἐλθόντας χρᾶσθαι τῷ χρηστηρίῳ ὡς ἱκέτας. Πειθομένοισι δὲ ταῦτα τοῖσι Ἀθηναίοισι καὶ λέγουσι « Ὦναξ, χρῆσον ἡμῖν ἄμεινόν τι περὶ τῆς πατρίδος, αἰδεσθεὶς τὰς ἱκετηρίας τάσδε τάς τοι ἥκομεν φέροντες, ἢ οὔ τοι ἄπιμεν ἐκ τοῦ ἀδύτου, ἀλλ᾽ αὐτοῦ τῇδε μενέομεν ἔστ᾽ ἂν καὶ τελευτήσωμεν », ταῦτα δὲ λέγουσι ἡ πρόμαντις χρᾷ δεύτερα τάδε· Οὐ δύναται Παλλὰς Δί᾽ Ὀλύμπιον ἐξιλάσασθαι, 142 Ταῦτα σφι ἠπιώτερα γὰρ τῶν προτέρων καὶ ἦν καὶ ἐδόκεε εἶναι, συγγραψάμενοι ἀπαλλάσσοντο ἐς τὰς Ἀθήνας. Ὡς δὲ ἀπελθόντες οἱ θεοπρόποι ἀπήγγελλον ἐς τὸν δῆμον, γνῶμαι καὶ ἄλλαι πολλαὶ γίνονται διζημένων τὸ μαντήιον καὶ αἵδε συνεστηκυῖαι μάλιστα. Τῶν πρεσβυτέρων ἔλεγον μετεξέτεροι δοκέειν σφίσι τὸν θεὸν τὴν ἀκρόπολιν χρῆσαι περιέσεσθαι. Ἡ γὰρ ἀκρόπολις τὸ πάλαι τῶν Ἀθηναίων ῥηχῷ ἐπέφρακτο. Οἳ μὲν δὴ κατὰ τὸν φραγμὸν συνεβάλλοντο τοῦτο τὸ ξύλινον τεῖχος εἶναι, οἳ δ᾽ αὖ ἔλεγον τὰς νέας σημαίνειν τὸν θεόν, καὶ ταύτας παραρτέεσθαι ἐκέλευον τὰ ἄλλα ἀπέντας. Τοὺς ὦν δὴ τὰς νέας λέγοντας εἶναι τὸ ξύλινον τεῖχος ἔσφαλλε τὰ δύο τὰ τελευταῖα ῥηθέντα ὑπὸ τῆς Πυθίης· Ὦ θείη Σαλαμίς, ἀπολεῖς δὲ σὺ τέκνα γυναικῶν Κατὰ ταῦτα τὰ ἔπεα συνεχέοντο αἱ γνῶμαι τῶν φαμένων τὰς νέας τὸ ξύλινον τεῖχος εἶναι· οἱ γὰρ χρησμολόγοι ταύτῃ ταῦτα ἐλάμβανον, ὡς ἀμφὶ Σαλαμῖνα δεῖ σφεας ἑσσωθῆναι ναυμαχίην παρασκευασαμένους. 143 Ἦν δὲ τῶν τις Ἀθηναίων ἀνὴρ ἐς πρώτους νεωστὶ παριών, τῷ οὔνομα μὲν ἦν Θεμιστοκλέης, παῖς δὲ Νεοκλέος ἐκαλέετο. Οὗτος ὡνὴρ οὐκ ἔφη πᾶν ὀρθῶς τοὺς χρησμολόγους συμβάλλεσθαι, λέγων τοιάδε· εἰ ἐς Ἀθηναίους εἶχε τὸ ἔπος εἰρημένον ἐόντως, οὐκ ἂν οὕτω μιν δοκέειν ἠπίως χρησθῆναι, ἀλλὰ ὧδε « Ὦ σχετλίη Σαλαμίς » ἀντὶ τοῦ « Ὦ θείη Σαλαμίς », εἴ πέρ γε ἔμελλον οἱ οἰκήτορες ἀμφ᾽ αὐτῇ τελευτήσειν· ἀλλὰ γὰρ ἐς τοὺς πολεμίους τῷ θεῷ εἰρῆσθαι τὸ χρηστήριον συλλαμβάνοντι κατὰ τὸ ὀρθόν, ἀλλ᾽ οὐκ ἐς Ἀθηναίους· παρασκευάζεσθαι ὦν αὐτοὺς ὡς ναυμαχήσοντας συνεβούλευε, ὡς τούτου ἐόντος τοῦ ξυλίνου τείχεος. Ταύτῃ Θεμιστοκλέος ἀποφαινομένου Ἀθηναῖοι ταῦτα σφίσι ἔγνωσαν αἱρετώτερα εἶναι μᾶλλον ἢ τὰ τῶν χρησμολόγων, οἳ οὐκ ἔων ναυμαχίην ἀρτέεσθαι, τὸ δὲ σύμπαν εἰπεῖν οὐδὲ χεῖρας ἀνταείρεσθαι, ἀλλὰ ἐκλιπόντας χώρην τὴν Ἀττικὴν ἄλλην τινὰ οἰκίζειν. |
140 Les Athéniens avaient envoyé à Delphes des théores qui se disposaient à consulter ; ils avaient accompli autour du sanctuaire les cérémonies rituelles, ils venaient d'entrer dans le megaron, ils s'asseyaient, quand la Pythie, qui avait nom Aristoniké, proféra ces paroles prophétiques : « Malheureux, pourquoi vous tenez-vous assis ? Quitte ta demeure et les hauts sommets de ta ville circulaire ; fuis aux extrémités de la terre. Ni la tête ne reste solide ni le corps ; ni l'extrémité des jambes ni les mains ni rien de ce qui est au milieu n'est épargné ; tout est réduit à un état pitoyable, détruit par l'incendie et l'impétueux Arès monté sur un char Syrien. Il ruinera aussi beaucoup d'autres forteresses et pas seulement la tienne ; il livrera à la violence du feu bien des temples des dieux, dont maintenant les images, debout, ruissellent de sueur et tremblent d'épouvante, cependant qu'au faîte du toit coule un sang noir, présage de calamités inévitables. Mais sortez du lieu saint et opposez aux malheurs du courage. » 141 Lorsque les théores des Athéniens eurent entendu ces paroles, ils furent affligés au plus haut point. Les voyant consternés par l'annonce du désastre qui leur était prédit, Timon fils d'Androboulos, citoyen de Delphes des plus considérés, leur conseilla de prendre des rameaux de suppliants et de retourner consulter une seconde fois l'oracle en qualité de suppliants. Les Athéniens suivirent ce conseil ; ils adressèrent au dieu cette prière : « O Seigneur, fais-nous quelque réponse plus favorable au sujet de notre patrie, par égard pour ces rameaux de suppliants avec lesquels nous venons à toi ; ou bien nous ne sortirons pas du lieu saint, mais nous resterons ici jusqu'à la mort » ; et, en réponse à cette prière, la Pythie leur rendit ce second oracle : « Pallas ne peut fléchir tout à fait Zeus Olympien, bien qu'elle use pour le supplier de beaucoup de paroles et d'une prudence avisée ; mais je te ferai encore cette réponse, à laquelle j'attache l'inflexibilité de l'acier. Quand sera conquis tout le reste de ce qu'enferment la colline de Cécrops et l'antre du divin Cithéron, Zeus aux vastes regards accorde à Tritogénie qu'un rempart de bois soit seul inexpugnable, qui sauvera et toi et tes enfants. Ne va pas attendre sans bouger la cavalerie et l'armée de terre qui arrive en foule du continent ; recule, tourne le dos ; un jour viendra bien encore où tu pourras tenir tête. O divine Salamine, tu perdras, toi, les enfants des femmes, que ce soit à quelque moment où le don de Déméter est répandu ou bien est recueilli. » 142 Cette réponse parut aux théores moins dure que la précédente, ce qu'elle était en effet ; ils la mirent en écrit et partirent pour Athènes. Lorsqu'ils furent de retour et firent leur rapport à l'assemblée du peuple, beaucoup d'opinions furent exprimées pour expliquer l'oracle ; et celles-ci surtout s'opposèrent : quelques vieillards disaient qu'à leur avis le dieu précisait que l'Acropole échapperait au désastre ; car autrefois l'acropole d'Athènes était fortifiée d'une palissade ; ils supposaient donc que c'était là « la muraille de bois » ; les autres au contraire disaient que c'étaient les vaisseaux que le dieu voulait désigner ; ils engageaient à les équiper en abandonnant tout le reste. Or, ceux qui soutenaient que les vaisseaux étaient « la muraille de bois » étaient mis dans l'embarras par les deux derniers vers qu'avait prononcés la Pythie : « O divine Salamine, tu perdras, toi, les enfants des femmes, que ce soit à quelque moment où le don de Déméter est répandu ou bien est recueilli. » L'opinion de ceux qui identifiaient vaisseaux et « mur de bois » était fortement contestée en raison de ces deux vers, parce que les chresmologues prenaient ces mots en ce sens, que, si les Grecs se disposaient à un combat naval, ils devaient être vaincus dans les eaux de Salamine. 143 Or, il y avait à Athènes un homme nouvellement parvenu au rang des premiers citoyens ; il avait nom Thémistocle, Thémistocle fils de Néoclès. Cet homme contesta que l'interprétation des chresmologues fût de tout point exacte : si vraiment, observait-il, la prophétie était à l'adresse des Athéniens, le dieu, à son avis, n'y aurait pas fait usage, comme il le faisait, d'un mot plein de douceur ; « infortunée Salamine », aurait-il dit, et non « divine Salamine », si les habitants avaient dû périr dans les eaux de cette île ; mais, pour quiconque interprétait bien l'oracle, c'étaient les ennemis que le dieu avait en vue, et non les Athéniens. Thémistocle conseillait donc de se préparer pour un combat naval, comprenant en ce sens ce qu'était la muraille de bois. Les Athéniens, quand il leur exposa cet avis, le jugèrent préférable pour eux à celui des chresmologues, qui ne voulaient pas qu'on songeât à un combat naval, ni même, pour tout dire d'un mot, qu'on fît aucune résistance, mais conseillaient qu'on abandonnât l'Attique pour s'établir dans un autre pays. |
Hérodote, Histoires, VII-Polymnie, 140-143
C.U.F., Les Belles Lettres
ed. et trad. Philippe-Ernest Legrand