Aitia - Merveille du monde – La pourpre

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Ami des Classiques, tout est plein de dieux ! Qu’il s’agisse de phénomènes naturels, de rites religieux ou de toponymes, les mythes nous permettent de comprendre et d’expliquer le monde. Venez le découvrir avec les poètes de l’Antiquité ! Tous les quinze jours, Nicola Zito vous présente une “cause” différente.

Dans son Histoire naturelle, Pline l’Ancien dresse une liste des différentes significations – sociales, religieuses, militaires – que la pourpre revêtait à Rome : « les faisceaux et les haches lui dégagent la voie ; elle donne au jeune âge sa majesté, elle distingue la curie des chevaliers ; on y a recours pour plaire aux dieux, et elle illumine tous les vêtements ; elle se mêle à l’or dans le costume triomphal » (9.127). Mais de quelle manière les hommes ont-ils appris le secret de cette couleur rouge éclatant, attribut du pouvoir impérial dans l’Antiquité, qui orne de nos jours encore les vêtements royaux et cardinalices ?

Eh bien, souverains et cardinaux sont redevables de leurs jolies robes… à un chien ! Un pêcheur, déçu de la proie qu’il venait de prendre, jeta avec mépris ce qu’il ne considérait que comme une coquille trop rugueuse, dont il n’aurait pu tirer aucun nutriment. Un chien la découvrit et, l’ayant brisée de ses crocs, il s’en retrouva les mâchoires et les babines complètement tachées de rouge. Son propriétaire, un berger, pensa naturellement à une blessure, qu’il alla laver dans la mer, mais, à sa grande surprise, au contact de l’eau, ce qu’il croyait être du sang se mit à briller avec plus d’éclat encore, ainsi que ses mains. Intrigué, il prit une touffe de laine, l’introduisit dans la cavité du coquillage que son chien venait de mordre, et l’en retira toute rouge : il avait découvert la pourpre.

Dans une autre version du mythe, située le long du littoral de Tyr, le berger n’est pas aussi perspicace et continue à considérer comme du sang la substance qui rougit la touffe de laine. Mais le philosophe Héraclès, qui se promène dans les parages, assiste à la scène, comprend la véritable nature du mollusque et décide d’en faire cadeau au roi Phoenix. Le souverain, stupéfait, fait incontinent tremper son manteau dans la pourpre et réserve à sa dynastie le privilège de porter ce produit de la mer et de la terre à la fois. Il s’empresse cependant de justifier sa coquetterie par des exigences d’ordre pratique : cette couleur éclatante et jusqu’alors inconnue permettra à l’armée et au peuple d’aisément reconnaître le souverain…

Dans une autre version encore, Héraclès n’est plus un philosophe, mais le héros des Douze Travaux que tout le monde connaît, et le chien lui appartient. La découverte de la pourpre est ici liée à la sphère des sentiments. La jolie nymphe Tyros, dont notre demi-dieu s’est épris, aperçoit les mâchoires “ensanglantées” du chien et, agréablement surprise, elle donne à Héraclès un ultimatum : elle n’acceptera sa cour que s’il lui offre une robe de même couleur. Et le héros d’accomplir humblement sa tâche, en découvrant d’abord le fameux coquillage puis en s’en servant pour teindre le peplos de sa bien-aimée. Implacable amour, à quoi ne forces-tu pas le cœur des mortels !

Cet aition nous rappelle naturellement que les Anciens obtenaient la pourpre à partir de coquillages, le Murex buccinum et le Murex purpura ou pelagia, dont il fallait à peu près 12.000 exemplaires pour n’extraire que 1,5 grammes de teinture, ce qui expliquait à la fois son prix exorbitant et sa nature de status symbol par excellence. Si la présence de Phoenix justifie bien évidemment le monopole royal du produit, ce sont surtout les liens de la pourpre avec les Phéniciens, et plus particulièrement avec les habitants de Tyr, qu’illustrent les deux dernières versions du récit, puisque le nom du monarque est formé sur le même radical que celui de la couleur (phoïnix), et qu’au IIIe siècle après J.-C. le chien découvrant le murex était un emblème monétaire de Tyr, cité spécialisée dans la production et le commerce de la pourpre. Quant à Héraclès, il s’agit ici en fait de Melqart, son homologue phénicien et comme lui héros culturel dotant l’humanité de bienfaits, parmi lesquels les Anciens comptaient le trésor de la teinture.

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