Chroniques anachroniques - CETA rappeler

Texte :

            L’année 2017 a été l’enjeu politique de négociations, de traités internationaux de libre échange entre différents pays : le CETA, l’ALÉNA ou le TPP…Tous acronymes barbares qui promettent le meilleur tout en faisant craindre le pire. L’enjeu regarde autant le développement et la prospérité réciproques des signataires que leur rayonnement. Au IIe s. après J.-C., le Grec romanisé Aelius Aristide dans son En l’honneur de Rome nous rappelle que la mondialisation n’est pas chose nouvelle.

περὶ δὲ αὐτὴν αἱ ἤπειροι μεγάλαι μεγαλωστὶ κέκλινται, πρὸς ὑμᾶς ἀεί τι ἐνθένδε πληροῦσαι. ἄγεται δὲ ἐκ πάσης γῆς καὶ θαλάττης ὅσα ὧραι φύουσι καὶ χῶραι ἕκασται φέρουσι καὶ ποταμοὶ καὶ λίμναι καὶ τέχναι Ἑλλήνων καὶ βαρβάρων. ὥστε εἴ τις ταῦτα πάντα ἐπιδεῖν βούλοιτο, δεῖ αὐτὸν ἢ πᾶσαν ἐπελθόντα τὴν οἰκουμένην οὕτω θεάσασθαι, ἢ ἐν τῇδε τῇ πόλει γενόμενον. ὅσα γὰρ παρ᾽ ἑκάστοις φύεται καὶ κατασκευάζεται, οὐκ ἔστιν ὡς οὐκ ἐνταῦθα ἀεὶ καὶ περιττεύει. τοσαῦται δ᾽ ἀφικνοῦνται δεῦρο κομίζουσαι παρὰ πάντων ὁλκάδες ἀνὰ πᾶσαν μὲν ὥραν, πᾶσαν δὲ φθινοπώρου περιτροπὴν, ὥστ᾽ ἐοικέναι τὴν πόλιν κοινῷ τινι τῆς γῆς ἐργαστηρίῳ. φόρτους μὲν ἀπ᾽ Ἰνδῶν, εἰ βούλει δὲ, καὶ τῶν εὐδαιμόνων Ἀράβων, τοσούτους ὁρᾶν ἔξεστιν ὥστε εἰκάζειν γυμνὰ τὸ λοιπὸν τοῖς ἐκεῖ λελεῖφθαι τὰ δένδρα καὶ δεῦρο δεῖν ἐκείνους ἐλθεῖν, ἐάν του δέωνται, τῶν σφετέρων μεταιτήσοντας: ἐσθῆτας δὲ αὖ Βαβυλωνίους καὶ τοὺς ἐκ τῆς ἐπέκεινα βαρβάρου κόσμους πολὺ πλείους τε καὶ ῥᾷον εἰσαφικνουμένους ἢ εἰ ἐκ Νάξου ἢ Κύθνου Ἀθήναζε ἔδει κατᾶραι τῶν ἐκεῖ τι φέροντας. γεωργίαι δὲ ὑμῶν Αἴγυπτος, Σικελία, Λιβύης  ὅσον ἥμερον. κατάπλοι δὲ καὶ ἀπόπλοι οὔποτε λείπουσιν. ὥστε εἶναι θαυμάσαι μὴ ὅτι περὶ τοῦ λιμένος, ἀλλὰ καὶ περὶ τῆς θαλάττης, ὅτι περ ἐξαρκεῖ ὁλκάσιν. ἀτεχνῶς δὲ ὅπερ Ἡσίοδος ἔφη περὶ τῶν τοῦ Ὠκεανοῦ περάτων, εἶναι τόπον οὗ συντετρῆσθαι πάντα εἰς μίαν ἀρχήν τε καὶ τελευτὴν, εἰς αὐτὴν συντέτρηται: καὶ πάντα ἐνταῦθα συμπίπτει, ἐμπορίαι, ναυτιλίαι, γεωργίαι, μετάλλων κάθαρσις, τέχναι ὁπόσαι εἰσί τε καὶ γεγένηνται, πάντα ὅσα γεννᾶται καὶ φύεται. ὅ τι δ᾽ ἂν μὴ ἐνταῦθα ἴδῃ τις, οὐκ ἔστι τῶν γενομένων, ἢ γιγνομένων: ὥστε μὴ εἶναι ῥᾴδιον διακρῖναι πότερον ἡ πόλις ὑπερέχει πλεῖον εἰς τὰς πόλεις τὰς οὔσας, ἢ ἡ ἀρχὴ τὰς ἀρχὰς τὰς πώποτε γενομένας.

 

Autour d’elle « allongés de tout leur long », s’étendent les continents, qui vous fournissent continuellement en productions locales. De chaque terre et de chaque mer, on apporte tout ce que font pousser les saisons et tout ce que produisent les différents terroirs, les fleuves, les lacs, ainsi que les arts des Grecs et des barbares : si bien que celui qui voudrait avoir une vue de tout cela doit ou bien voyager partout dans le monde habité pour procéder à l’observation, ou bien rester dans cette cité. Car ce qui pousse ou qui est fabriqué chez les différents peuples se trouve toujours nécessairement ici, et en abondance. Tel est le nombre des cargos qui arrivent, apportant toutes les marchandises de toutes provenances à chaque belle saison et à chaque retour de l’automne, que la cité ressemble à un centre d’activité commun à toute la terre. On peut voir des cargaisons venant d’Inde, et même, si l’on veut, d’Arabie Heureuse, en si grand nombre, qu’il y a de quoi conjecturer que les arbres de là-bas restent nus désormais et que les habitants sont obligés de venir ici, lorsqu’ils ont besoin de quelque chose, pour réclamer une part de leurs propres productions. On peut voir également des étoffes babyloniennes et les parures venant du pays barbare qui se trouve au-delà ; elles arrivent en beaucoup plus grande quantité et bien plus facilement que s’il s’agissait d’importer à Athènes des produits de Naxos ou de Cythnos. Vos champs, ce sont l’Égypte, la Sicile et la partie cultivée de la Libye. Les arrivées et les départs de navires n’ont jamais de cesse, au point qu’il y a lieu de s’étonner non seulement que le port, mais que la mer suffise à contenir les cargos. Hésiode a dit, à propos des limites de l’Océan, qu’il y a un endroit où tout est relié à un même début et à une même fin : cette formule se relie parfaitement à la cité, et tout converge ici, activités de commerce, de navigation, d’agriculture, d’extraction minière, tous les arts qui existent ou ont existé, tout ce qui est engendré et tout ce qui naît du sol. Ce qu’on ne voit pas ici ne fait pas partie des choses qui existèrent ou qui existent. C’est pourquoi, il n’est pas facile de décider qui l’emporte davantage, la cité sur les cités existantes ou l’Empire sur les empires qui ont jamais existé.

Aelius Aristide, Éloges grecs de Rome, 11-13, traduits et commentés par Laurent Pernot, La Roue à livres, Les Belles Lettres

            Après Pline l’Ancien qui, dans son projet encyclopédique, a haussé Rome au rang de huitième merveille du monde, cette Seconde Sophistique incarnée par Aelius Aristide, moins centrée sur Athènes, reconnaît le joug romain et le mérite de la Ville à faire de la Terre entière « une patrie commune », réussissant là où les monarchies hellénistiques avaient échoué.

            Avec des moyens de communication et de transport qui n’étaient pas les nôtres, les mondes communiquaient de sorte que les archéologues retrouvent des artefacts d’Extrême-Orient en Italie ou des productions romaines jusqu’en Indochine ainsi que  des monnaies.

            Sous les Antonins, Rome est devenue un immense marché et le centre d’un monde unifié par des liens commerciaux. Existerait-il une forme d’œcuménisme commerciale ? Version mineure d’une unité politique ? En tout cas, que de chemin parcouru depuis le vieux Caton et sa mentalité vieux Romain de bon père de famille, qui consistait à « aimer vendre et ne pas aimer acheter » (Caton, De Agricultura, II, 7) ? Mentalité longtemps prégnante à Rome où toute sortie d’or et d’argent était considérée comme dommageable, quand bien même était-elle compensée par des rentrées pécuniaires. Une logique autarcique a laissé place au sens bien compris et partagé du commerce. L’ouverture économique serait-elle le signe des grands empires ?

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