Chroniques anachroniques - En mai, fais ce qu’il te plaît

Texte :

Si une vieille antienne stakhanoviste déplore chaque année le pullulement des jours fériés de mai, qui ne s’est pas précipité à l’achat de son agenda en début d’année pour vérifier l’occurrence des fêtes au cours de ce mois faste ou néfaste selon la perspective ? En effet, les week-ends s’y allongent statistiquement grâce à l’échéance de fêtes sociales ou civiles fixes (le 1er mai pour la fête du travail, le 8 mai pour l’armistice de la seconde guerre mondiale), voire de fêtes religieuses mobiles (jeudi de l’Ascension, vendredi de Pentecôte). Cette année, nous sommes particulièrement gâtés. Étant donné que, et fête et férié sont d’étymologie latine, il est à propos de se référer une fois encore au monde romain et à son calendrier.

Numa ut in menses annum, ita in dies mensem quemque distribuit, diesque omnes aut festos aut profestos aut intercisos uocauit. Festi dis dicati sunt: profesti hominibus ob administrandam rem priuatam publicamque concessi: intercisi deorum hominumque communes sunt. Festis insunt sacrificia epulae ludi feriae: profestis fasti comitiales conperendini stati praeliares: intercisi in se non in alia diuiduntur: illorum enim dierum quibusdam horis fas est, quibusdam fas non est ius dicere.

 

« Numa, comme il avait divisé l’année en mois, divisa chaque mois en jours, qu’il distingua en les appelant jours de fêtes, jours ouvrables ou jours mi-partis. Les jours de fête sont consacrés aux dieux, les jours ouvrables laissés aux hommes pour le règlement de leurs affaires, privées ou publiques, les jours mi-partis communs aux dieux et aux hommes. Aux jours de fêtes appartiennent les sacrifices, les festins sacrés, les jeux, les fériés : parmi les jours ouvrables se rangent les jours fastes, les jours comitiaux, les jours propres à la remise d’un jugement, les jours mi-partis, c’est sur lui-même, non par rapport au reste que chacun opère sa division : car, ces jours-là, la religion autorise à certaines heures l’exercice de la justice, et l’interdit à d’autres. »

           Macrobe, Saturnales, 1, 16, 2-3

Texte traduit par Charles Guittard, La roue à livres, Les Belles Lettres, 1997

Le calendrier religieux officiel, qui varie selon les cités, est géré, en général, par les magistrats suprêmes et à Rome, notamment, par le collège des pontifes. Il reflète la décision des autorités et ne mentionne que les grands jours de fêtes réguliers. Réservés aux humains ou institués pour les dieux, les jours y sont fastes ou néfastes. Il existait même, vu la rationalité sourcilleuse des Romains, une catégorie supplémentaire : les jours « mi-partis » abrégés sur les calendriers en EN (endotercisi : « coupés à l'intérieur ») qui sont néfastes matin et soir et fastes l’après-midi.  En effet, durant les jours néfastes, les dieux accomplissaient leur fonction et les hommes étaient censés les honorer dans l’intérêt général. À ce titre, toute activité humaine ou politique y était suspendue. Quelques 235 jours étaient ouverts à l’activité des hommes et 109 jours créés en l’honneur des dieux, dont une soixantaine avait le caractère de fête publique (feria publica, marquée NP sur les calendriers). Ce n’est que depuis le Ier siècle de notre ère que certains jours devinrent « fériés » alors qu’ils n’étaient pas littéralement des fêtes publiques. En tout cas, avec les dimanches, nous avons une soixantaine de jours fériés. Ces fêtes du calendrier se répartissaient en fêtes agraires (dont le nom est au neutre pluriel), en fêtes civiques et militaires, ou en fêtes liées au temps. Paradoxalement, il y en a assez peu en mai. Mais le nombre général de fêtes a enflé au cours de l’Empire au point d’occuper pratiquement la moitié de l’année. Soyons nostalgiques. Quant à notre dimanche hebdomadaire, c’est l’édit de Milan (313 ap. J.-C.) qui amena sa reconnaissance publique et Constantin qui en fit un jour légal de chômage. Cette tradition s’ancra si fort dans l’Empire que la IIIe République n’a touché à rien, malgré la séparation de l’église et de l’état en 1905, et a même instauré par la loi le repos dominical pour les salariés et maintenu comme fête légale les grandes célébrations chrétiennes. Les intégristes de la laïcité pourront revoir leur histoire.

Dans la même chronique

Dernières chroniques