Des chroniques sur les bandes dessinées en lien avec l'Antiquité sous la plume de Julie Gallego, agrégée de grammaire et maîtresse de conférences de latin à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour.
Fig. 1-2.- Couvertures des deux premiers tomes de la série L’Année des quatre empereurs
© S. Luccisano & C. Ansar - GALLIA VETVS 2019
L’Année des quatre empereurs
de Silvio Luccisano, Christophe Ansar, Frédéric Bergèse
(GALLIA VETUS, 2019 / 2023)
Les deux tomes de la série L’Année des quatre empereurs, parus en 2019 et 2023, sont à lire dans l’ordre puisqu’ils correspondent à une avancée chronologique dans l’Histoire romaine : le tome 1 (centré sur Galba et Vindex) se déroule en 68 apr. J.‑C., comme son titre l’indique clairement tout en offrant un clin d’œil à une autre période d’agitation politique 1900 ans plus tard, et le tome 2 (centré sur Othon) entre janvier et avril 69. L’intrigue du prochain tome à paraître (centré sur Vitellius et Vespasien), Les Flammes du Capitole, racontera la suite des événements de cette année 69 très particulière qui donne son nom au titre de la série.
En effet, après la chute de Néron et son suicide, commence une période d’instabilité politique inédite avec la succession de généraux désignés comme empereurs par leurs armées, deux l’étant parfois en même temps dans deux endroits différents puisque les factions s’opposaient. On assiste aussi à l’émergence d’une force de contestation en Gaule à propos de la manière même à appliquer pour diriger l’Empire :
Sous Néron apparaît une opinion politique provinciale qui s’intègre dans l’Empire, dont elle commence à assumer les responsabilités. Mais en est-il de plus importante que le choix de l’empereur lui-même ? Avant même la mort de Néron (68), la Gaule se révolte et, par son option en faveur de Vindex et de l’Empire libéral, elle exprime le droit de la province à participer à cette élection. Par la suite, les guerres civiles, au cours desquelles, entre 68 et 70, s’affrontent les généraux candidats à l’Empire (Galba, Othon, Vitellius, puis Vespasien), accentuent la coupure entre les civils et les militaires, entre l’aristocratie sénatoriale et les provinces de l’intérieur, d’une part, l’armée et la zone limitrophe des régions frontières, d’autre part. Les militaires sont partisans d’un régime totalitaire et dictatorial, les civils d’un pouvoir libéral et respectueux des franchises des cités et des prérogatives des notables. Cette opposition va dominer toute la vie politique de la Gaule et persistera jusqu’au Bas-Empire[1].
Le tome 1 s’intéresse ainsi à la toute fin du règne de Néron, suite à la révolte de Vindex, le personnage même qui est visible au premier plan de la Fig. 1. Le tome 2 s’ouvre sur l’assassinat de Galba en plein forum et l’accession au pouvoir suprême d’Othon. Et dans les deux tomes, Vespasien, aidé de son frère (préfet de Rome) et de son fils Titus, commence à avancer subrepticement ses pions pour accéder à la tête de l’empire, à l’aide du personnage principal : Quintus Aper, dessiné au deuxième plan de la couverture du premier tome (Fig. 1). Tel est du moins le nom d’emprunt sous lequel il apparaît le plus souvent mais en réalité il se nomme Marcus Manilius Secundus, comme on l’apprend assez vite de la bouche même du général Vespasien (Fig. 3).
Fig. 3.- Marcus Manilius devient Quintus Aper sur décision de Vespasien
(L’Année des quatre empereurs. Tome 1. Mai 68, p. 29)
© S. Luccisano & C. Ansar - GALLIA VETVS 2019
Les deux albums comportent une page indiquant, pour le premier tome, seulement les personnages réels, qui sont succinctement présentés avant la première page de la BD, et pour le deuxième est ajoutée l’indication que Quintus Aper et Columba sont des « héros fictifs » (p. 51) et la page de synthèse prend cette fois place après la dernière planche de la BD. Dans les deux cas, on a au tout début de l’album le texte de spécialistes d’Histoire romaine (Yann Le Bohec pour le t. 1 et Jean-Claude Golvin pour t. 2), validant le sérieux du travail fait par les auteurs sur cette série.
Les copieux dossiers de fin comportent des cartes, des textes du scénariste, de membres de groupes de reconstitution, de spécialistes de la vulgarisation de l’Antiquité dans le péplum (Michel Éloy) ou de certains domaines comme la médecine (Laurent Galopin), les gladiatrices (Méryl Ducros). Ils font un point sur le contexte historique et sur des sujets assez généraux (comme l’organisation de la société romaine au ier s. apr. J.‑C., la femme romaine ou la défense de l’enseignement du latin) ou bien plus ciblés (notamment la coiffure et le maquillage, la place des femmes dans le monde de la gladiature, « le sanctuaire confédéral de Rome et d’Auguste », « le buste de Sulla Felix et la gens Cornelia » dans le tome 1, le portrait d’Antonia Caenis, « Les femmes sur le limes », « Les gladiatrices à l’écran » dans le tome 2). Il y a toutefois quelques approximations un peu regrettables dans les termes techniques latins. On lit ainsi p. 54 dans le tome 1 que le terme libertinus désignerait l’affranchi, ce n’est pas tout à fait exact : le nom commun est libertus et libertinus est l’adjectif qui en est dérivé (qui qualifiera donc un nom). De même, à la p. 64, on lit l’expression ius imagines, ce qui n’a syntaxiquement aucun sens puisqu’il faut un génitif pour indiquer le type de droit, c’est forcément ius imaginum « droits des/aux images » (ou ius imaginis au singulier) ; ou alors on parle « des imagines » mais sans l’associer à ius. Et dans le même texte un peu plus loin, on peut s’étonner devant la forme familias utilisée pour indiquer la division de la gens en différentes branches (on attendrait plutôt familiae et c’est peut-être une confusion avec la forme de génitif archaïque dans l’expression pater familias).
À la fin de chaque album, on trouve quelques indications bibliographiques, certaines communes aux dossiers des deux tomes (par exemple L’Année des quatre empereurs de Pierre Cosme, forcément une référence pour toute la série, ou la thèse de Méryl Ducros sur la gladiature dans l’Orient grec) et d’autres plus spécifiques (comme l’article sur le portrait de Sulla de Sandrine Viollet, qui intervient aussi dans le dossier du t. 1 sur ce sujet ou l’ouvrage de référence d’Alix Barbet et Michel Fuchs Les Murs murmurent. Graffitis gallo-romains). Sont aussi précisées les sources antiques (avec leurs éditions) en lien avec ces deux albums : du côté des Grecs, Dion Cassius (Histoire romaine LXII-LXIV), Flavius Josèphe (Guerre des Juifs), Plutarque (Vie de Galba et d’Othon) ; du côté des Latins, Ovide (L’Art d’aimer et Les Remèdes à l’amour), Pline l’Ancien (Histoire naturelle), Suétone (Vie des douze Césars), Tacite (Histoires et Annales XII-XVI). On a donc une série qui entretient des liens avec la littérature antique, essentiellement avec les historiens grecs et latins racontant la période historique concernée, mais pas seulement puisque le poète Ovide et le naturaliste Pline l’Ancien ont offert des informations sur la question de l’habillement et du maquillage pour le deuxième tome (dans l’intrigue duquel les femmes occupent une place plus importante, notamment la maîtresse de Vespasien Antonia Caenis et la gladiatrice Columba). Flavius Josèphe est un cas particulier dans cette liste car seul son nom apparaît dans l’intrigue (il n’est pas un personnage dessiné), il est mentionné à la p. 29 du t. 1 (Fig. 3) et à la p. 50 du t. 2. En effet, Quintus Aper l’a côtoyé en 67 lorsque le village fortifié de Jotapata en Galilée était assiégé par les armées de Vespasien.
La fin du premier tome va raconter comment meurent Vindex et Néron. Vindex, qui voulait « renverser le tyran » (t. 1, p. 48), est trahi par un allié et ses troupes ne sont pas assez nombreuses pour l’emporter : il se suicide sur le champ de bataille. Quant au fameux tyran, il a été déclaré ennemi public le 12 juin 68 et il sait qu’une mort infamante l’attend s’il est pris, maintenant que Galba a été déclaré empereur par le Sénat et les prétoriens. Il s’enfuit dès le lendemain et après quelques jours de cavale, il finit par se suicider, le 9 juin, mais sans réussir à se tuer vraiment seul, comme la dignité romaine l’exigerait. Suétone raconte les dernières heures de Néron en compagnie de ses affranchis Phaon et Épaphrodite, depuis leur fuite du palais, en un texte bien plus détaillé qu’il ne le fait pour les autres Vies des empereurs, fournissant là une séquence de scénario haletante quasiment toute prête pour des albums ou des films. Voici les éléments du texte de Suétone, XLVIII 4-6 et XLIX 4-5 (la traduction est tirée du site de la Bibliotheca Classica Selecta) que l’on retrouve aux pages 49 et 50 du premier tome :
Arrivé à la traverse, il renvoya les chevaux et s’avança avec tant de peine à travers des taillis et des buissons dans un sentier planté de roseaux, que, pour parvenir derrière la maison de campagne, il fut obligé de mettre son vêtement sous ses pieds. Phaon lui conseilla de se retirer dans une carrière d’où l’on avait extrait du sable ; mais il répondit qu’il ne voulait pas s’enterrer tout vif. En attendant qu’on trouvât le moyen de pratiquer une entrée secrète dans cette villa, il puisa de l’eau d’une mare dans le creux de sa main et la but en disant : « Voilà donc les rafraîchissements de Néron. » Puis il se mit à arracher les ronces dont sa casaque était percée. Enfin il se traîna sur les mains par une ouverture étroite jusque dans la chambre la plus voisine où il se coucha sur un lit garni d’un mauvais matelas et d’un vieux manteau pour couverture. Quoique tourmenté par la faim et la soif, il refusa le pain grossier qu’on lui présentait, et ne but qu’un peu d'eau tiède. […]
Déjà approchaient les cavaliers qui avaient ordre de l’amener vivant. Dès qu’il les entendit, il prononça en tremblant ce vers grec : « Le galop des coursiers résonne à mes oreilles. » ; puis il s’enfonça le fer dans la gorge, aidé par son secrétaire, Épaphrodite. […]
Dans le dernier bandeau de la p. 49, le texte de Suétone au discours indirect avec successivement une complétive en ut et une proposition infinitive (Ibi hortante eodem Phaonte, ut interim in specum egestae harenae concederet, negauit se uiuum sub terram iturum, ac parumper commoratus, dum clandestinus ad uillam introitus pareretur…) donne lieu à une adaptation sous la forme de deux bulles de dialogue ; le texte de Néron est assez proche mais le propos prêté à Phaon est plutôt une sorte de synthèse entre la mention du mur arrière de la maison dans la fin de phrase précédente et l’évocation de l’entrée secrète dans la maison (on voit le personnage montrer alors un trou dans un mur) :
Phaon. - Nous y sommes, Prince. Ce mur donne sur l’arrière de ma villa. Entrons par ici.
Néron. - Mais je ne vais pas entrer vivant dans les entrailles de la terre !
Les cases 1 et 2 de la dernière planche (Fig. 4) mentionnent la double anecdote de la nourriture et de la boisson d’une qualité médiocre, à laquelle Néron n’était certes pas habitué et qui semble être l’humiliation suprême à l’heure de la mort. La citation grecque tirée de l’Iliade ἵππων μ᾽ ὠκυπόδων ἀμφὶ κτύπος οὔατα βάλλει. (X, v. 535) est donnée juste en traduction dans la case 3. Et la précision de l’aide apportée par Épaphrodite pour mener à bien son suicide trouve un écho dans la case suivante. Avec l’ablatif absolu iuuante Epaphrodito, Suétone insiste sur la lâcheté de Néron, qui, dans la bande dessinée, entre fortement en opposition avec le suicide courageux de Vindex deux planches plus haut ; chez Dion Cassius, Néron accomplit bien lui-même le geste fatal (αὐτὸς ἑαυτὸν ἀπέκτεινε, LXIII 29) mais Épaphrodite l’achève car la mort ne vient pas assez vite (καὶ αὐτὸν δυσθανατοῦντα ὁ Ἐπαφρόδιτος προσκατειργάσατο). Dans l’album, c’est Columba qui tue Néron (ce dernier suppliant à genoux son affranchi de le tuer), vengeant ainsi son père, empoisonné par l’empereur (p. 33).
Fig. 4.- La mort de Néron (L’Année des quatre empereurs. Tome 1. Mai 68, p. 50)
© S. Luccisano & C. Ansar - GALLIA VETVS 2019
Cette séquence de la mort de Néron est également traitée dans le tome 10 de Pline de Mari Yamazaki et Tori Miki (avec le texte de Suétone et de Dion Cassius comme source) ; et elle occupera forcément une place importante dans un futur tome de Murena de Jean Dufaux et Jérémy Petiqueux puisque la série raconte le règne de Néron.
Les deux tomes, mais plus particulièrement le deuxième, accordent une place importante aux femmes dans l’intrigue car le personnage principal de Quintus Aper va croiser la route d’une puissante affranchie, Antonia Caenis, et de la gladiatrice Columba. Caenis, qui a pris lors de son affranchissement le nom d’Antonia le Jeune (mère de l’empereur Claude) dont elle avait été la secrétaire, était dotée d’une mémoire remarquable et fut la maîtresse officielle de Vespasien durant toute sa vie ; Suétone en parle dans la Vie de Vespasien (X, 3 et X, 21) et dans celle de son fils Domitien (XII, 7) qui ne la respectait guère selon une anecdote rapportée par l’historien. Dion Cassius la mentionne également (LXVI, 14). Face à Vitellius qui cherche à l’utiliser pour faire pression sur Vespasien et qui évoque l’idée de lui confier par écrit le message destiné à son adversaire qu’il vient de formuler à l’oral, elle précise que c’est totalement inutile et, pour le convaincre, prouve son excellente mémoire en commençant à raconter tous les détails de sa vie : « Tout ce que tu m’as dit, Prince, je le porte en mon âme et rien ne pourra en effacer les mots » (t. 2, p. 24). Quant à Columba, c’est un personnage inventé mais celui présenté comme son père ne l’est pas car on a bien retrouvé une stèle à Autun (Augustodunum) au début du xixe s. dédiée à Columbus Serenianus, mort à 25 ans, peut-être empoisonné par Caligula, jaloux de son succès (c’est sa femme qui a fait dresser la stèle puisqu’on lit Sperata coniux à la fin). Elle est visible ici. Dans l’album, pour que l’arc narratif autour de Columba fasse davantage sens, c’est à Néron qu’est crédité cet empoisonnement (p. 33). Lorsque la stèle a été trouvée, il y avait juste à côté un grand vase en terre, contenant une urne en verre avec des cendres et des ossements, probablement ceux du défunt si l’urne est d’origine. Cette idée est exploitée dans le tome 1 de la série (p. 27 et p. 35-36, Fig. 5) : Quintus observe une jeune femme tenant une urne et surveillant des hommes creusant un trou devant une stèle, il découvrira son identité et l’histoire de son père un peu plus tard (p. 33).
Fig. 5.- La stèle à Columbus (L’Année des quatre empereurs. Tome 1. Mai 68, p. 36)
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Dans cette même page 33, on apprend donc que Columbus était gladiateur dans un ludus (une école de gladiateurs) à Rome et que c’est dans ce cadre que la jeune femme a elle-même appris l’art de combattre. Les chemins de Quintus et de Columba vont provisoirement se séparer. Mais les lecteurs la retrouvent avant le héros car c’est elle qui se cache derrière le masque de Thrace dans le combat des deux gladiatrices qui a lieu au palais impérial pour divertir Othon, quelques jours après l’assassinat de Galba (p. 6-8).
L’insertion de la séquence de gladiature (Fig. 6) est intéressante car elle s’éloigne des clichés habituels par l’intérêt porté : aux gestes techniques (notamment la touche finale, à la case 6 de la p. 7, où l’on voit Columba sauter légèrement et réussir à marquer au sang son adversaire près de l’omoplate), aux détails des armaturae ethniques (Columba, la Thrace, a une dague courbe, un petit bouclier carré, deux hautes jambières et un casque à rebord et son adversaire anonyme, la Samnite, a un long bouclier positionné constamment devant la jambe gauche placée à l’avant, la seule des deux jambes munies d’une jambière) et enfin à la présence d’un juge avec un bâton, dont le rôle est de régler les temps d’attaque du combat mais aussi les pauses, à l’aide de plusieurs expressions données en latin dans le texte et traduites en note. Hormis la phrase nominale Ad custodiam !, sont utilisés logiquement surtout des impératifs (Pugnate/Depugnate/Perseuerate) pour pousser à l’affrontement et pour exiger la séparation et l’éloignement des combattantes d’un bon mètre (Intermittite), après une touche victorieuse mais provisoire parce qu’elle n’a pas provoqué de saignement (comme à la case 6 de la page 6) et après une touche définitive marquant la fin du combat s’il y a eu saignement, comme dans la case 6 de la page suivante (et ce n’est qu’alors que l’empereur décide du sort de la perdante).
Fig. 6.- Un combat de gladiatrices devant l’empereur Othon
(L’Année des quatre empereurs. Tome 2. Les 100 jours d’Othon, p. 6-7)
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Deux détails sont également à relever : on voit à la case 3 de la p. 7 comment le bouclier peut être utilisé comme une arme d’attaque, et pas seulement de défense, puisque la Samnite s’en sert pour heurter violemment le casque de la Thrace ; à la case 9 de la p. 6 on a la vision subjective de Columba permettant aux lecteurs de prendre conscience de ce que pouvait réussir à voir un gladiateur à travers les orifices.
Il y avait déjà une mise en valeur du personnage de Columba dans son équipement de Thrace sur la superbe couverture du deuxième tome (Fig. 2), très différente de la première : elle se détache très nettement grâce au fond blanc, la combattante fait face aux lecteurs et le sol sur lequel elle a des appuis fermes pour parer à toute attaque est uniquement composé d’une superbe mosaïque de Méduse, si pleine de vie que des serpents en sortent pour s’entortiller aux jambes de la jeune femme (cela fait penser à l’animation des serpents émergeant du mur dans la mosaïque du générique de la série télévisée d’HBO Rome).
On retrouve une même attention aux détails de reconstitution historique dans les trois bandeaux de la p. 28 du t. 1 (Fig. 7) qui dévoilent le nombre de personnes nécessaires pour que le dominus soit correctement drapé de sa toge, la place qu’il faut pour étirer d’abord de tout son long cette bande de tissu de plusieurs mètres et la dextérité indispensable aux deux esclaves uestiplicae pour que les plis soient harmonieux, résistants aux mouvements et que l’ensemble soit quand même suffisamment fonctionnel pour ne pas entraver les mouvements du citoyen.
Fig. 7.- De la difficulté de revêtir correctement une toge
(L’Année des quatre empereurs. Tome 1. Mai 68, p. 28)
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Nous terminerons en évoquant la forte présence de l’écrit antique dans la bande dessinée, à travers principalement des graffitis (Fig. 8) sur certains murs des divers endroits où se déroule l’intrigue (par exemple t. 1 p. 5 case 2, p. 7 case 6, p. 11 cases 3-7, p. 26 case 9 et t. 2 p. 30 case 6, p. 31 case 4, p. 49 case 5) et sur des documents épigraphiques (Fig. 9) : nous avons ainsi déjà évoqué la stèle de Columbus, il y en a d’autres dans les deux albums, au détour des cases, mais aussi les inscriptions sur les bustes, comme celui de Lucius Sulla Felix (t. 1, p. 42-43). On peut aussi facilement repérer l’inscription sur l’arc de triomphe (contenant des éléments peints) à l’entrée de la ville d’Augusta Praetoria Salassorum (t. 2, p. 9). Cela prend également la forme plus rare d’un écriteau accroché au cou d’un mercenaire engagé pour tuer Othon mais qui s’est fait repérer et a fini crucifié avec le message préventif suivant (pour qui voudrait faire de même…) : « PRINCIPEM TRVCIDARE VOLVIT » (la note de bas de page précisant le sens pour qui ne comprendrait pas la phrase latine : « Il a voulu tuer l’empereur. », t. 2 p. 22). Le poteau vertical semble planté dans la case 7 et la poutre horizontale empiète sur la case suivante (où l’on voit la main droite du crucifié pendre), avec un double effet réussi.
Fig. 8.- Graffitis sommaires et publicité pour un lupanar
(L’Année des quatre empereurs. Tome 1. Mai 68, p. 14)
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Fig. 9.- Exposition du buste d’un glorieux ancêtre
(L’Année des quatre empereurs. Tome 1. Mai 68, p. 42 et p. 43)
© S. Luccisano & C. Ansar - GALLIA VETVS 2019
Parfois l’écrit littéraire se dissimule sous la forme de phrases latines faisant office de mots de passe pour reconnaître allié ou ennemi. Ainsi Quintus demande-t-il à un certain Rutillus (qu’il ne connaît pas mais avec qui il a rendez-vous aux thermes pour qu’il serve de messager à Vespasien) :
Quintus Aper. - Tu es Rutillus ?
L’esclave masseur. - Oui, dominus, que puis-je pour toi ?
Quintus Aper. - Connais-tu Catullus ?
L’esclave alors de déclamer les deux premiers vers du cinquième poème de Catulle et Quintus de lui répondre par le troisième vers (Fig. 10) : c’est donc bon, ils peuvent échanger en toute confiance.
Fig. 10.- Un poème de Catulle utilisé comme mot de passe
(L’Année des quatre empereurs. Tome 1. Mai 68, p. 10)
© S. Luccisano & C. Ansar - GALLIA VETVS 2019
À la fin du deuxième tome (p. 48-49), on lit sur deux cases un extrait du chant VIII de l’Iliade (avec une petite coquille dans la note qui indique la référence en bas de page : il est écrit v. 34‑75 mais il s’agit bien de deux vers successifs donc c’est v. 34-35) : « Alors retentirent à la fois plaintes et cris de triomphe des guerriers frappant ou frappés, et le sang ruisselait sur la terre. » C’est Caenis qui déclame spontanément un passage d’Homère (évoquant l’affrontement entre Troyens et Achéens) pour commenter l’arrivée en masse des navires d’Othon qui se préparent pour la bataille navale de Forum Julii, racontée par Tacite dans les Histoires (II, 14) ; quelque temps plus tard, lors de la bataille de Cremona, Othon se suicidera après sa défaite face à Vitellius. Il était prévu initialement par le scénariste de mettre la citation d’Homère en grec mais les auteurs ont finalement renoncé, redoutant que cela ne perde les lecteurs, d’autant que la citation était répartie sur deux cases.
Cette série tout public (mais pas avant le collège) s’intéresse à une période charnière entre deux dynasties, très peu traitée dans les œuvres de vulgarisation évoquant l’Histoire romaine. Elle s’appuie en outre sur certaines données issues de l’archéologie expérimentale et sur l’apport de lectures scientifiques, ainsi que sur des échanges avec quelques spécialistes. Les dossiers copieux gagneraient sans doute à être plus aérés. On attend maintenant la suite de l’histoire, avec Vitellius et Vespasien qui entreront pleinement en scène dans le prochain tome…
[1] Jean-Paul Demoule et Jean-Jacques Hatt, « Gaule », dans Encyclopædia Universalis. Disponible sur : https://www.universalis-edu.com/encyclopedie/gaule/ (consulté le 28 août 2024).