Chroniques anachroniques – À vainqueur tout honneur

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À un moment où l’information fuse de toutes parts, il nous a paru intéressant de l’ancrer dans des textes très anciens, afin que l’actualité et l’histoire se miroitent et s’éclairent dans un regard tantôt ou tout ensemble stimulant et amusé, songeur ou inquiet.

Comment concilier récompense et sport, qui est par nature une activité qui ne vise qu’elle-même ? De nos jours, sont souvent pointés du doigt les salaires exorbitants de certains sportifs, devenus millionnaires. L’honneur est-il assez gratifiant ? L’argent est-il assez honorable ? Les J.O. conservent cette éthique d’amateurisme, même si la préparation et le staff autour des athlètes sont professionnels. Vitruve réfléchit déjà à la place du vainqueur dans sa cité en comparaison de celle des penseurs.

Nobilibus athletis, qui Olympia, Pythia, Isthmia, Nemea vicissent, Graecorum maiores ita magnos honores constituerunt, uti non modo in conventu stantes cum palma et corona ferant laudes, sed etiam quum revertantur in suas civitates cum victoria, triumphantes quadrigis in moenia et in patrias invehantur, e reque publica perpetua vita constitutis vectigalibus fruantur. Cum ergo id animadvertam, admiror quid ita non scriptoribus elis, ceterorumque sapientium cumrogative indirecte)r de ferant est "sion de naturel. Ainsi, la scène qui ramène Marie an carossidem honores etiamque maiores sint tributi, qui infinitas utilitates aeuo perpetuo omnibus gentibus praestant. Id enim magis erat institui dignum, quod athletae sua corpora exercitationibus efficiunt fortiora, scriptores non solum suos sensus, sed etiam omnium, cum libris ad discendum et animos exacuendos praeparant praecepta. Quid enim Milo Crotoniates, quod fuit invictus, prodest hominibus aut ceteri qui eo genere fuerunt victores nisi quod, dum vixerunt ipsi, inter suos cives habuerunt nobilitatem. Pythagorae uero praecepta, Democriti, Platonis, Aristotelis, ceterorumque sapientium, cotidiana, perpetuis industriis culta, non solum suis civibus, sed etiam omnibus gentibus, recentes et floridos edunt fructus : e quibus qui a teneris aetatibus doctrinarum abundantia satiantur, optimos habent sapientiae sensus, instituuntque ciuitatibus humanitatis mores, aequa iura, leges, quibus absentibus nulla potest esse ciuitas incolumis. Cum ergo tanta munera ab scriptorum prudentia privatim publiceque fuerint hominibus praeparata, non solum arbitror palmas et coronas his tribui oportere, sed etiam decerni triumphos, et inter deorum sedes eos dedicandos iudicari.

Pour les célèbres athlètes, parce qu’ils avaient triomphé aux jeux olympiques, isthmiques, néméens, les anciens Grecs instituèrent des honneurs si grands que non seulement, debout au milieu du rassemblement, ils recevaient des éloges en même temps que la palme et les couronne, mais en plus, quand ils revenaient victorieux dans leur cité, ils étaient portés en triomphe sur des quadriges, sur les murailles, dans leur patrie, et ils jouissaient d’une rente déterminée, octroyée par l’État, jusqu’à la fin de leurs jours. Donc, alors que je considère cette coutume, je m’étonne que les écrivains n’aient pas reçu les mêmes honneurs et même de plus grands, eux qui apportent d’immenses bienfaits pour l’éternité aux peuples du monde entier. En effet, cela était plus digne d’être institué, parce que les athlètes rendent leur corps plus fort par leurs exercices, quant aux écrivains, c’est non seulement leur intelligence, mais aussi celle de tous qu’ils aguerrissent, quand, dans leurs ouvrages, ils donnent des leçons pour instruire et aiguiser les esprits. En effet, en quoi Milon de Crotone, parce qu’il fut invaincu, est-il utile aux hommes, ou bien tous les autres vainqueurs de ce genre, si ce n’est à cause du fait que, de leur vivant, ils connurent la célébrité parmi leurs concitoyens ? Au contraire, les leçons de Pythagore, de Démocrite, de Platon, d’Aristote et de tous les autres sages, mises en pratique tous les jours, dans des activités ininterrompues, produisent des fruits nouveaux et éclatants, non seulement pour leurs concitoyens, mais aussi pour tous les peuples. Et grâce à eux, ceux qui depuis leur tendre enfance sont plongés dans ce riche enseignement, ont la meilleure perception de la sagesse, instituent des usages civilisés pour leur cité, des droits égaux pour tous, des lois sans lesquelles aucune cité ne peut être protégée. Par conséquent, comme la sagesse des écrivains a ménagé aux hommes de si grandes faveurs, dans les domaines privé et public, j’estime qu’il faut non seulement leur attribuer des palmes et des couronnes, mais aussi des triomphes, et les juger dignes d’être consacrés dans le séjour des dieux.

Vitruve, De Architectura, IX, Préface,
texte établi et traduit par J.-L. Ferrary et J.-Y. Guillaumin,
Paris, Les Belles Lettres, 1969

Dans l’Antiquité, un seul vainqueur était honoré (et non 3) de différentes manières : la couronne d’olivier symbole d’honneur (qui constitue l’imaginaire de la victoire) et du respect des dieux (notamment Apollon), une statue érigée dans sa ville d’origine (comme Théagène de Thasos, sacré champion de pugilat aux jeux de 480 av. notre ère), des avantages financiers et politiques (exemption d’impôts ou une rente ; accession à de hautes fonctions politiques tel le lutteur Chilon de Patras au IVe. av. notre ère devenu chef de guerre) ou le sujet d’épinicies (Pindare).

Pas de médaille, donc. Les jeux olympiques modernes de 1896, tout en citant la récompense antique par la remise d’un rameau d’olivier, inaugurent la médaille d’argent et le diplôme. En outre, le second reçoit une médaille de bronze ou de cuivre ainsi qu’une branche de laurier. 4 ans plus tard, les vainqueurs seront gratifiés d’une coupe ou d’un trophée (voir la célèbre coupe Bréal). Les jeux de 1904 ouvrent la remise de médailles d’or, d’argent et de bronze, épinglées sur le torse puis passées autour du cou, objets de recherche esthétique renouvelée à chaque olympiade.

Dans l’Antiquité, le kleos prime les récompenses matérielles, alors que le monde de l’argent a envahi le sport international. Les mots ne le disaient-ils pas déjà ? Grecs et Romains disaient « vaincre », nous disons « gagner ».

Christelle Laizé et Philippe Guisard