De quelle façon le monde virtuel interprète-t-il les connaissances que nous avons de l’Antiquité ? Comment, au travers des « gameplay »[1] et des scénarios de fiction vidéo-ludique, le joueur s’imprègne-t-il des sociétés antiques au cœur desquelles l’action du jeu-vidéo le situe ? Souvent entre réalité historique et imaginaire fantasmé, Nicolas Ben Mustapha, étudiant-chercheur diplômé en histoire ancienne, nous invite à nous plonger dans ces mondes reconstitués.
De la péninsule ibérique à la Mer Noire, des Gaules à l’Afrique du Nord, de l’Egypte au Caucase, les frontières de l’Empire sont sans cesse repoussées, c’est désormais vers le Nord germanique que s’oriente votre regard.
Il est difficile de concevoir un jeu-vidéo de stratégie en temps réel dont l’action se centre sur la Rome impériale sans se pencher sur le cas de ses ennemis héréditaires. Ici, les Germains ont remplacé les Gaulois à la suite de l’échec de ces derniers face à César au Ier siècle av. notre ère. Quelle vision de ceux-ci les concepteurs de jeu-vidéo ont-ils retransmis dans leurs œuvres visuelles ? Nous nous attarderons ici sur le pays germanique tel que représenté sur nos écrans. L’isolement géographique du territoire germanique (et barbare) est l’objet de cette chronique. Nous pouvons renforcer cette idée à la vue de témoignages historiques. En effet, sa situation géographique isolée est l’une des premières caractéristiques de l’environnement germanique. Ces vues jouèrent un rôle primordial dans la création par Rome, d’un espace frontalier militarisé que les mondes virtuels retranscrivent fidèlement via le mode de la campagne militaire où le joueur est invité à gérer, stabiliser et renforcer les frontières de son territoire. Tacite (historien romain du Ier siècle de notre ère) évoque cette idée d’isolement total des peuples germains : « Quant aux Germains eux-mêmes, je les croirais indigènes, et qu’en aucune sorte ni l’établissement d’autres peuples, ni les relations d’hospitalité n’ont produit chez eux de mélange (…) Et qui donc (…) ferait voile vers la Germanie (…) à moins qu’elle ne soit la patrie ? » (Tac., Germ., II, 1-2,2) |
https://www.sega.fr/ La carte du jeu dévoile ici l’intégralité de la zone jouable – l’empire romain à son apogée - ; figure au nord dans le cercle rouge le territoire germanique. |
Un isolement géographique qui est fidèlement rendu à l’écran sur les cartes interactives et stratégiques où effectivement la Germanie apparaît comme étant le territoire le plus septentrional. Le script du jeu ne permet pas aux gamers de s’aventurer plus au nord, ce qui est justifié par la méconnaissance attestée des Romains de la Scandinavie et par leur ignorance totale du pôle arctique.
https://www.sega.fr/ Ici le joueur est en pleine phase de gestion du territoire germanique. Il lui faut établir des garnisons et stabiliser la frontière afin de sauvegarder celle-ci. |
On retrouve aussi un effort de la part des concepteurs de jeux-vidéos de traduire sur nos écrans l’appréhension qui était celle des Romains, des frontières du territoire germanique. La Germanie chez les Anciens était considérée au prisme de ses frontières naturelles (ce qui rajoutait à l’idée d’isolement total) : « La Germanie dans son ensemble est séparée des Gaulois, des Rhètes et des Pannoniens par deux fleuves, Rhin et Danube, des Sarmates et des Daces par une crainte mutuelle ou des montagnes ; le reste par l’Océan. » (Tac., Germ., I, 1-3) En effet dans les mondes virtuels, le territoire germanique semble être perçu par le biais d’un rapport d’exclusion avec les peuples voisins et le monde romain. C’est ici la base d’un antagonisme de fond entre le monde germanique et le monde romain. L’océan, les montagnes et les fleuves font office d’obstacles et de frontières, ce que la saga Total War illustre. Aux yeux des penseurs latins et des concepteurs de jeu-vidéo, le pays des Germains est une terre exotique, un autre monde, perdu aux frontières de la civilisation. |
Nicolas Ben Mustapha
Vidéothèque
Stratégie en temps réel
Age of Empires: The Rise of Rome: Microsoft, 1998, jeu en multi-joueurs.
Rome: Total War: Activision, 2004, jeu en multi-joueurs.
Rome: Total War - Barbarian Invasion: Activision, 2004, jeu en multi-joueurs.
Total War: Rome II: Sega, 2011, jeu en multi-joueurs.