De quelle façon le monde virtuel interprète-t-il les connaissances que nous avons de l’Antiquité ? Comment, au travers des « gameplay »[1] et des scénarios de fiction vidéo-ludique, le joueur s’imprègne-t-il des sociétés antiques au cœur desquelles l’action du jeu-vidéo le situe ? Souvent entre réalité historique et imaginaire fantasmé, Nicolas Ben Mustapha, étudiant-chercheur diplômé en histoire ancienne, nous invite à nous plonger dans ces mondes reconstitués.
Loin des campagnes bucoliques et idylliques du sud méditerranéen, dans les confins du Nord, en terra incognita, c’est là que vous menez vos légions. Vers une terre de légende, dans les obscures et impénétrables forêts du barbaricum germanique. Pour la gloire de Rome !
https://www.sega.fr/ La carte stratégique représente un pays couvert de forets, l’avancée des légions ne sera pas facile… |
L’un des premiers constats que l’on peut faire du pays germanique à travers les mondes virtuels, c’est l’omniprésence de ses forêts. Les concepteurs semblent très attachés à la modélisation d’un environnement sauvage, couvert de bois et sous-bois et principalement de feuillus. En effet, dans l’historiographie gréco-romaine, la caractéristique première de la Germanie repose sur l’omniprésence de son couvert forestier comme en témoigne César :
« Cette forêt hercynienne a une largeur équivalente à huit journées de marche d’un voyageur légèrement équipé… » (Ces., BG., VI, 25, 1-5)
Autre témoins de ce phénomène véritablement germanique, Tacite qui nous livre des propos similaires :
« Le pays en dépit d’une certaine diversité, est cependant, en général, hérissé de forêts » (Tac., Germ., V, 1-5)
https://www.sega.fr/ Les sous-bois de Germanie n’étaient pas l’endroit idéal où déployer les carrés de l’infanterie romaine. |
C’est ici l’évocation de la démesure et du caractère gigantesque de ces étendues sauvages et forestières et plus précisément de la forêt hercynienne, une vaste forêt primaire d’Europe centrale dont les limites restent floues, probablement s’étendait-elle de la vallée du Rhin jusqu’à la Transylvanie.
Un extrait du livre XVI de l’œuvre de Pline l’Ancien (naturaliste romain du Ier siècle de notre ère) nous éclaire sur les sentiments ambigus que nourrit la flore germanique dans l’esprit des Romains, entre l’admiration de l’exotisme et la crainte de l’étranger :
« Autre sujet d’émerveillement, les forêts. Elles couvrent tout le reste de la Germanie et ajoutent leur ombre au froid ; Dans les mêmes régions septentrionales, l’énormité des chênes de la forêt hercynienne respecté par le temps et contemporain de l’origine du monde, dépasse toute merveille, par leur condition presque immortelle. » (Pline., HN., XVI, 1, 5-6)
C’était probablement un traumatisme pour le Romain de quitter les espaces urbains de la civilisation romaine pour s’enfoncer dans ces confins sauvages. En effet, les Romains méconnaissaient de tels espaces sauvages. L’intégralité du pays germanique se caractérise par cette flore dont le rôle est primordial dans la transmission à Rome des représentations de l’environnement de Germanie. C’est cette image-ci que les équipes techniques de Microsoft ou de Sega ont voulu retransmettre à travers leurs jeux-vidéos.
Nicolas Ben Mustapha.
Vidéothèque
Stratégie en temps réel
Age of Empires: The Rise of Rome: Microsoft, 1998, jeu en multi-joueurs.
Rome: Total War: Activision, 2004, jeu en multi-joueurs.
Rome: Total War - Barbarian Invasion: Activision, 2004, jeu en multi-joueurs.
Total War: Rome II: Sega, 2011, jeu en multi-joueurs.