De quelle façon le monde virtuel interprète-t-il les connaissances que nous avons de l’Antiquité ? Comment, au travers des « gameplay »[1] et des scénarios de fiction vidéo-ludique, le joueur s’imprègne-t-il des sociétés antiques au cœur desquelles l’action du jeu-vidéo le situe ? Souvent entre réalité historique et imaginaire fantasmé, Nicolas Ben Mustapha, étudiant-chercheur diplômé en histoire ancienne, nous invite à nous plonger dans ces mondes reconstitués.
« Longtemps ils avaient supporté un service sans profit et sans répit, aggravé par la nature même du pays et du climat comme par la sévérité de la discipline… » (Tac., Hist., I, 51, 3)
Cette troisième chronique traite des aspects physiques de la Germanie insoumise. Ici nous nous penchons sur le climat en Germanie antique et les représentations qui en découlent dans les mondes virtuels, ce toujours en nous appuyant sur des œuvres historiques. La culture geek n’a de cesse de nous illustrer une Germanie au climat implacable, si celui-ci n’influence pas les conditions de « jouabilité » et de gestion, in game, il n’en reste pas moins représentatif d’une inspiration historique et littéraire. Le climat de Germanie semble effectivement être représenté de façon essentiellement négative dans l’historiographie gréco-latine. Les Anciens n’ont de cesse d’énumérer dans leurs œuvres le climat rigoureux des contrées septentrionales. Si Sénèque (philosophe romain du Ier siècle de notre ère) évoque pour sa part, dans son traité De Ira :
« la rigueur continuelle du climat de Germanie… » (Sen., Ir., I, 11, 3-4)
Tacite note que la Germanie : « se distingue par la rudesse de son climat » (Tac., Ann., II, 24).
Un climat froid et glacial est constamment associé au nord germanique dans la saga Total War qui illustre abondamment cette idée d’une contrée hostile et difficile, souvent enneigée, pluvieuse ou embrumée. Pline l’Ancien ajoute dans son Histoire Naturelle : « Les vents les plus froids sont ceux que nous avons dits souffler du Nord et le corus. Ils font tomber les autres vents et chassent les nuages (…) Le septentrion amène la grêle, ainsi que le corus. » (HN., 48, 126) Les développeurs eux-mêmes ont su associer à l’idée de nord géographique la rigueur, l’âpreté, la rudesse et l’inhospitalité des contrées et des paysages. Ce climat traduit l’adversité terrible d’un environnement austère. Autre mention de Strabon (géographe grec de l’époque augustéenne) qui vient nourrir cette image d’une Germanie au climat implacable : « Le ciel est pluvieux plutôt que neigeux et par temps clair le brouillard persiste si longtemps qu’on ne voit le soleil que trois ou quatre heures par jour aux alentours de midi » (G., IV, 5, 2) |
https://www.sega.fr/ Ici, c’est effectivement le Nord. Les Romains méconnaissent le climat nordique. Celui-ci fut un frein à leur avancée en Germanie. |
Ici c’est la description d’environnements naturels humides et froids qui contraste fortement avec les milieux secs et chauds du pourtour méditerranéen, notamment de la péninsule italienne ou du monde grec. Cette opposition devait se faire ressentir dans les jeux-vidéos afin d’améliorer l’expérience de jeu du joueur et par souci de diversité des décors et des ambiances. Aux yeux des Romains : la Germanie est un territoire isolé et hostile, situé aux marges du monde et c’est cette vision qui doit prédominer chez le joueur lorsqu’il entreprend de pénétrer en territoire barbare.
Nicolas Ben Mustapha.
Vidéothèque
Stratégie en temps réel
Age of Empires: The Rise of Rome: Microsoft, 1998, jeu en multi-joueurs.
Rome: Total War: Activision, 2004, jeu en multi-joueurs.
Rome: Total War - Barbarian Invasion: Activision, 2004, jeu en multi-joueurs.
Total War: Rome II: Sega, 2011, jeu en multi-joueurs.