De quelle façon le monde virtuel interprète-t-il les connaissances que nous avons de l’Antiquité ? Comment, au travers des « gameplay »[1] et des scénarios de fiction vidéo-ludique, le joueur s’imprègne-t-il des sociétés antiques au cœur desquelles l’action du jeu-vidéo le situe ? Souvent entre réalité historique et imaginaire fantasmé, Nicolas Ben Mustapha, étudiant-chercheur diplômé en histoire ancienne, nous invite à nous plonger dans ces mondes reconstitués.
« On sait de reste que les peuples des Germains n’habitent point dans des villes, qu’ils ne supportent même pas des demeures contigües… » (Tac., Germ., XVI, 1-2)
https://www.sega.fr/ Les troupes romaines investissent un hameau germanique, l’habitat est dispersé, clairsemé et le bois est largement prédominant |
L’un des éléments caractéristiques de la condition barbare du Germain – telle qu’elle est dépeinte au travers des jeux-vidéos et plus largement dans la pop culture repose sur l’extrême misère sociale et matérielle caractérisant la vie quotidienne du Germain transrhénan. En ce sens, l’historiographie de l’époque julio-claudienne atteste cette vision de l’habitat des Germains. La rhétorique tacitéenne illustre ici la conjonction entre un environnement démesurément hostile et inhospitalier et une humanité qui y est intrinsèquement liée et que les développeurs de jeux-vidéo ont su retransmettre en partie sur nos écrans, bien que ces idées soient aujourd’hui à nuancer, il s’agit de l’insalubrité, de la pauvreté et de l’éparpillement de l’habitat germanique : «…ils vivent isolés, séparés, selon qu’une source, un champ, un bois leur a plu ». (Tac., Germ., XVI, 1-2) |
Ce thème de l’occupation humaine disséminée participe à renforcer l’image d’un écart civilisationnel flagrant entre le Germain, sauvage, barbare et misérable jusque dans son habitat propre, et le Romain, grand bâtisseur et urbaniste confirmée dont toute l’œuvre édilitaire atteste de l’éclat de sa propre civilisation. C’est le choc qui frappe le joueur lorsqu’il entreprend la campagne de Germanie. L’expérience de jeu se doit d’être saisissante, le gamer est projeté au sein d’un habitat humain éclaté où s’élèvent tristement par endroit fermes et maisons de bois ou de torchis au sein de quelques hameaux. A l’éclat de la civilisation romaine, Tacite oppose la simplicité et la rusticité des Germains dont la maisonnée est le parfait exemple : « Ils établissent leurs village non pas avec des bâtiments qui, comme chez nous, s’appuient et tiennent les uns aux autres : chacun entoure sa maison d’un espace libre, soit défense contre les hasards du feu, soit ignorance de l’art de bâtir. Ils n’emploient même ni moellons ni tuiles, à toutes fins ils se servent de troncs bruts, sans se soucier de la beauté ou de l’agrément…» (Tac., Germ., XVI, 2-4) |
https://www.sega.fr/ On retrouve ici les hameaux de Germanie, on peut cependant noter que l’habitat fait plus ici allusion à des clairières qu’aux profondes forets dépeintes chez les historiens latins. Il s’agit sans doute d’une préférence des développeurs par souci de clarté et de jouabilité. |
Là où le Romain travaille la pierre et le marbre au moyen des arts et techniques, embellis les cités, élève des monuments, des édifices publics et améliore son sort au moyen de la culture, le Germain lui, se cantonne à cet état sauvage, il n’a aucune emprise sur l’environnement, sur le monde extérieur car il n’est pas marqué par cette humanitas typiquement romaine, facteur de civilisation.
Nicolas Ben Mustapha.
Vidéothèque
Stratégie en temps réel
Age of Empires: The Rise of Rome: Microsoft, 1998, jeu en multi-joueurs.
Rome: Total War: Activision, 2004, jeu en multi-joueurs.
Rome: Total War - Barbarian Invasion: Activision, 2004, jeu en multi-joueurs.
Total War: Rome II: Sega, 2011, jeu en multi-joueurs.