Les dieux sont parmi nous - Balance ton satyre : n° 1 - La princesse à la langue coupée

Texte :

La chronique Les dieux sont parmi nouspointe la « survie » des dieux, des héros et des mythes de l’Antiquité, dans les domaines les plus variés de la vie quotidienne, de la culture populaire, de la publicité, du cinéma, de l’art moderne, de la bande dessinée, de l’urbanisme, de la technologie ou de la science (astronomie, médecine)...

On trouve chez le prétendu Apollodore, Bibl., III, 14, 8, une histoire très contemporaine : « Le roi d’Athènes Pandion eut deux filles, Procnè et Philomèle [...]. Quand éclata une guerre contre Labdacos pour des questions de frontières, il appela de Thrace à son secours Térée, fils d’Arès, et avec son aide gagna facilement la  guerre ; il lui donna sa fille Procnè comme épouse. Térée eut d’elle un fils, Itys, mais pris de désir pour Philomèle il la viola, lui raconta que Procnè était morte, et la cacha à la campagne. Puis il l’épousa, coucha avec elle, et lui coupa la langue. Elle tissa un message sur une tunique et par ce moyen avertit Procnè des malheurs qu’elle avait subis. Procné retrouva sa sœur et tua son fils Itys, le fit cuire et le donna en repas à Térée, qui ne s’en rendit pas compte. Avec sa sœur elles s’enfuirent à toute vitesse. Quand Térée comprit, il saisit une hache et les poursuivit. À Daulis [...] elles supplièrent les dieux de les transformer en oiseaux : ainsi Procnè devint rossignol, Philomèle hirondelle ; Térée fut pour sa part transformé en huppe[1]... »

Mais on peut préférer la version suivante, récemment découverte. Elle a été écrite par un chroniqueur de l’époque, et peut sembler plus crédible :

« De terribles événements viennent de se dérouler au Palais. On se souvient du mariage de la princesse Procnè, célèbre pour sa voix de soprano colorature, avec un étranger à la réputation douteuse, le militaire thrace du nom de Térée. Un enfant est né de cette union mal assortie. Mais le barbare lorgnait sa jolie belle-sœur, elle aussi musicienne, la princesse Philomèle. Il a fini par l’enlever et la violer, et pour qu’elle ne le dénonce pas, il l’a séquestrée dans un de ses forts, et il lui a coupé la langue. La princesse n’avait plus la parole, mais elle a su dessiner en broderie l’histoire des violences qu’elle avait subies. Les deux sœurs, folles de rage et de chagrin, ont donné à Térée  le repas sauvage qu’il méritait : son bébé cuit en ragout. Il les poursuivait pour se venger à coups de hache quand, dit-on, les princesses ont disparu. On a vu s’envoler un rossignol et une hirondelle.

Les personnes que j’ai rencontrées sont terriblement choquées. Un vieux marchand de légumes m’a dit : « C’est normal, tous les étrangers sont des violeurs. » Une jeune femme déchirait avec les ongles ses seins nus. « Toutes les femmes ont la langue coupée ! Il faut tuer tous les hommes, criait-elle, comme l’ont fait mes amies Lemniennes ! »

Quant à nous, pauvre aède chroniqueur, il ne nous reste qu’à saluer l’hirondelle aux petits cris aigus, et à écouter, dans la nuit tombante, le chant triste et délicieux de la princesse rossignol. »

 

[1] On peut lire aussi Ovide, Métamorphoses, VI, 426 et s., et, avec d’autres noms, Antoninus Libéralis, Métamorphoses, XI.

Dans la même chronique

Dernières chroniques