Amis des Classiques, les mythes sont des miroirs : il suffit de les regarder pour voir le reflet véridique, de notre âme et de l’âme du monde. Par Laure de Chantal.
Ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre, telle est la déesse qui a laissé son nom au mois de mai, depuis la Rome antique. Maïa, Sémélé, Junon, Vénus, les divinités féminines ont la part belle dans le calendrier des Romains et bien souvent à côté d’elles, les dieux semblent tout petits. Quant aux hommes, ils sont reconnaissants. C’est ainsi que le poète Ovide interroge dans les Fastes de divines femmes savantes, les Muses, assoiffé de savoir l’origine du mois de mai pour la mettre en vers dans ses Fastes.
Polymnie, experte en l’art d’agencer les mots puisqu’elle est la muse de la rhétorique, prend la parole la première, proposant un récit inattendu et captivant. Il commence au début du monde fraîchement sorti du chaos initial : Terre, Ciel, Étoiles, Océan, c’est la guerre de tous contre tous pour le pouvoir avec pour résultat un bien triste égalité, celle qui n’est pas fondée sur la justice et la parité mais sur l’incohérence et le hasard, jusqu’à que naisse Majestas, Majesté, qui donne au monde et à ses habitants le sens de la grandeur. Pour le dire plus simplement, Majestas c’est la classe incarnée : dès qu’elle entre dans une pièce, les regards se tournent vers elle et le silence se fait, elle force la déférence et l’admiration de tous les dieux, le tout auréolé d’un nuage de crainte. Non seulement elle impose le respect mais elle le communique aux autres. Jupiter l’a bien compris qui la garde toujours auprès de lui et, grâce à elle, parvient à conserver le pouvoir : autant dire que sans la déesse le maître de l’Olympe ne le resterait pas longtemps. Elle est sa plus fidèle gardienne (fidissima custos note Ovide) et par la suite celle de tous les souverains de Rome. Le récit s’achève sur le triomphe de Maïa-Majestas, lorsqu’Uranie, la muse de l’astronomie, se lance dans une autre explication : Maïa-Mai viendrait de major, « ancien » et le mois serait dédié aux seniores, de même que le mois suivant, juin, serait celui des jeunes (juvenes). Enfin, Calliope, la muse de l’épopée, rappelle une dernière version, celle qui est peut-être la plus connue, en tout cas commune à la mythologie grecque. Maïa est non seulement la plus grande, la plus belle mais aussi l’aînée des Pléiades, les filles d’Atlas, le Titan qui porte le monde. De son union avec Jupiter est né Hermès (Mercure pour les Romains), dieu du voyage, qui vint jusqu’à Rome.
Pourquoi trois mythes ? Quelle est la bonne version ? Qui dit vrai ? Voilà une question qui s’entend souvent et que se sont posés les érudits les plus vénérables, à commencer par le poète qui se demande que faire (quid faciam ?). Il ne choisit pas. Une des belles leçons du récit d’Ovide est donc de nous tenir éloignés du dogmatisme, cette triste habitude délétère qui consiste à considérer qu’il n’y a qu’une seule manière de voir, une seule vérité (et de préférence la sienne). Si la mythologie nous fascine tant et toujours aujourd’hui, c’est qu’avec ses allures de contes et légendes pour enfants nous délivre une sagesse profonde : il y a de la place de multiples vérités, une même réalité peut en contenir plusieurs.
Grande, ancienne, majestueuse, célébrons Maïa la majestueuse, mère du joli mois de mai et de la tolérance.