Chaque jour, un nouveau mythe à dévorer dans votre calendrier de l'avent mythologique ! Par Laure de Chantal
En ce vendredi 13, pour croire au merveilleux sans superstition (et sans trop fâcher les dieux), écoutons la parole de Lucrèce.
Et il n’est pas étonnant que dans cette période les éclairs naissent en très grand nombre que la tempête se déchaîne et trouble le ciel, puisqu’une double lutte met aux prises les deux adversaires, le feu d’une part, et de l’autre les vents mêlés avec l’eau. Voilà la véritable explication qui pénètre la nature même des feux de la foudre, et montre par quelle force elle accomplit chacun de ses effets ; elle ne va pas perdre son temps à lire et relire les formules tyrrhéniennes pour y chercher des indications sur les secrets desseins des dieux, ou bien à observer de quel point du ciel ce feu s’est envolé, de quel côté il s’est dirigé, comme il s’est glissé dans des lieux clos, comment il s’en est échappé après y avoir régné en maître, et quel malheur peut nous apporter le coup de foudre tombé du ciel.
Si vraiment c’est Jupiter et les autres dieux qui ébranlent de ces bruits épouvantables la voûte lumineuse du ciel, si vraiment ils lancent l’éclair partout où ils le veulent, pourquoi ne s’en prennent-ils pas à ceux qui ne craignent pas de commettre des crimes abominables ? Pourquoi ne voit-on pas sous leurs coups les scélérats exhaler la flamme de l’éclair de leur poitrine transpercée, exemple redoutable pour les autres mortels ? Pourquoi au contraire celui à qui sa conscience ne reproche nulle honte est-il roulé dans les flammes, et malgré son innocence, pris et entraîné soudain dans le tourbillon venu du ciel, et dévoré par le feu ? Pourquoi encore les dieux visent-ils les lieux déserts où ils perdent leur peine ? Veulent-ils alors exercer leurs bras et fortifier leurs muscles ? Pourquoi souffrent-ils que le trait paternel vienne s’émousser contre la terre ? Pourquoi Jupiter lui-même le permet-il, au lieu de réserver sa foudre pour ses ennemis ? Enfin pourquoi n’est-ce jamais dans un ciel entièrement pur qu’il la lance sur la terre et répand les grondements de son tonnerre ? Attend-il que les nuages passent sous ses pieds pour y descendre en personne, et régler de plus près la direction de ses traits ? Pourquoi encore les lance-t-il dans la mer ?
Que reproche-t-il à ses ondes, à sa masse liquide, à ses plaines flottantes ? D’autre part, s’il veut que nous nous garions de la foudre, pourquoi se refuse-t-il à nous la laisser voir partir ? Si c’est à l’improviste qu’il veut nous accabler de ses feux, pourquoi tonne-t-il du côté où il les lance, afin que nous puissions les éviter ; pourquoi ces ténèbres, ces grondements, ces bruits sourds qu’il soulève au préalable ?
Et comment pourrait-on croire qu’il la lance de plusieurs côtés à la fois ? Car oserait-on soutenir que jamais il n’est arrivé que plusieurs coups de foudre aient
éclaté en même temps ? Mais c’est maintes fois que le fait s’est produit et se produit encore, suivant une loi inévitable ; et de même qu’il pleut, que l’averse tombe dans plusieurs endroits à la fois, de même les éclairs se produisent nombreux en un même moment. Enfin pourquoi renverse-t-il les temples sacrés des
dieux et ses superbes demeures d’un trait acharné à leur perte ? Pourquoi brise-t-il les magnifiques statues des dieux, et par d’horribles blessures détruit-il la beauté de ses propres images ? Pourquoi sont-ce les hauts lieux qu’il vise le plus souvent ; pourquoi est-ce au sommet des monts que nous apercevons les plus nombreuses traces de ses feux ?
De la nature, VI, 378-424.