Cette année à Warwick, la cérémonie des diplômes a lieu anormalement tard : fin juillet, plus de trois semaines après les résultats des examens. Lorsque la chef de département passe ses troupes en revue pour préparer la cérémonie, les rangs sont maigres : conférences en Australie ou vacances en Grèce, plus d’un collègue sera absent. Certes, participer à la cérémonie n’a rien d’obligatoire : mais ce serait décevoir les étudiants et leurs familles que de ne pas avoir de représentant de Classics sur la scène (oui, la scène).
Les fidèles soldats restants (une poignée de profs) mettront donc les bouchées doubles pour jouer le jeu de la procession et accueillir les jeunes diplômés avec leurs parents : c’est que tout se passe en deux temps, un apéritif dans le département suivi d’une cérémonie proprement dite organisée par l’université. Nous mettons sur pied un tandem franco-suisse pour servir le vin et autres rafraîchissements lors de l’apéritif, les toges sont commandées, un stock de chips et cacahuètes se constitue… Le grand jour arrivé, les Midlands rissolent sous la canicule, et, dans un bâtiment conçu pour d’autres températures, nul n’a l’air vraiment très à l’aise: les parents sur leur 31, en talons hauts, chapeaux et cravates, leurs enfants suffoquant sous le polyester noir de la toge des “bachelors of Arts”, et nous, les profs, tout sourires et félicitations malgré l’atmosphère moite et la perspective de finir des bouteilles de vin blanc tièdes une fois le dernier invité parti… Or, nous sommes si professionnels dans le remplissage de verres à pied et la conversation badine que certains parents semblent vraiment nous prendre pour des serveurs et serveuses embauchés pour l’occasion, et non de respectables savants. Tant pis pour nous, et pour la science !
Plus tard, la cérémonie elle-même rassemble plusieurs départements: c’est donc une véritable épreuve pour nous tous, deux bonnes heures de discours, remises de prix et dediplômes, applaudissements continus. Que de pompe ! Au préalable, dans une sorte d’antichambre, nous sommes affublés de toges et chapeaux de velours de location : certains ont apporté leur toge rouge et bleue d’Oxford, mais la plupart d’entre nous viennent d’universités étrangères, comme la Sorbonne, qui n’ont pas cette tradition. J’ai de la chance pourtant, on m’a mis des accessoires violets pour évoquer malgré tout les couleurs de mon alma mater. Enfin habillés et raides sous l’épaisse couche de tissus, nous défilons en rangs solennels derrière le chef de la procession pour aller prendre nos places sur la scène derrière le président de l’université (tout chamarré d’or), au son d’une véritable fanfare. Parents et “bacheliers” nous regardent et mitraillent le tout avec leurs iPhones, nous espérons qu’ils apprécient, car c’est une torture. Naturellement, l’amphithéâtre élu pour la cérémonie n’est pas climatisé non plus. Sous les sièges où sont inscrits nos noms, heureusement, de petites bouteilles d’eau, sans doute un signe tangible de la gratitude de l’administration pour notre présence. Nos étudiants défilent dans leur toge et reçoivent, rayonnants, leurs diplômes dans un concert d’applaudissements et de sifflets appréciatifs. Sous la toge, tenue de fête obligatoire: un collègue s’amuse de certaines paires de chaussures. Plus tard, au détour d’un bosquet fleuri sur le campus, une famille nous supplie de prendre pour eux des photos souvenirs : pour certains, c’est véritablement un grand jour, un jour de fête qu’ils n’oublieront jamais. Les profs, eux, piaffent, sentant l’écurie: encore une cérémonie de passée !
Post-scriptum : un jour de 1996 à la Sorbonne ; un couloir sombre et presque vide, des feuilles A4 portant la liste des reçus à la licence et leurs notes, feuilles placardées à grands renforts de punaises, et personne, vraiment personne pour nous féliciter. Peut-être, après tout, que la cérémonie est une bonne idée.
Caroline Petit est docteur en études grecques de l’université Paris IV-Sorbonne (2004) et enseigne depuis 2012 à l’université de Warwick (Classics and Ancient History), après avoir enseigné à Paris IV (Institut de Grec), Exeter, Manchester et Winchester. Elle travaille sur les textes médicaux antiques, leur transmission et leur réception avec le soutien du Wellcome Trust (Galien, Pseudo-Galien). Elle a publié aux Belles Lettres la première édition critique, avec introduction, traduction et notes de l’Introductio sive medicus attribué à Galien.