Chronique anachronique – Des Syriens Suisses !

Texte :

À un moment où l’information fuse de toutes parts, il nous a paru intéressant de l’ancrer dans des textes très anciens, afin que l’actualité et l’histoire se miroitent et s’éclairent dans un regard tantôt ou tout ensemble stimulant et amusé, songeur ou inquiet.

58 av. J.-C. Au cœur de l’Europe occidentale actuelle. Une population de près de 350 000 migrants (sic !) s’apprête à fuir leur territoire pour s’installer dans l’ouest de la Gaule. 

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Id hoc facilius iis persuasit quod undique loci natura Heluetii continentur : una ex parte flumine Rheno latissimo atque altissimo, qui agrum Heluetium a Germanis diuidit ; altera ex parte monte Iura altissimo, qui est inter Sequanos et Heluetios ; tertia lacu Lemanno et flumine Rhodano, qui prouinciam nostram ab Heluetiis diuidit. His rebus fiebat ut et minus late uagarentur et minus facile finitimis bellum inferre possent ; qua ex parte homines bellandi cupidi magno dolore adficiebantur. Pro multitudine autem hominum et pro gloria belli atque fortitudinis angustos se fines habere arbitrabantur, qui in longitudinem milia passuum CCXL, in latitudinem CLXXX patebant. His rebus adducti et auctoritate Orgetorigis permoti constituerunt ea quae ad proficiscendum pertinerent comparare, iumentorum et carrorum quam maximum numerum coemere, sementes quam maximas facere, ut in itinere copia frumenti suppeteret, cum proximis ciuitatibus pacem et amicitiam confirmare. Ad eas res conficiendas biennium sibi satis esse duxerunt : in tertium annum profectionem lege confirmant. […] Heluetii id quod constituerant facere conantur, ut e finibus suis exeant. Vbi iam se ad eam rem paratos esse arbitrati sunt, oppida sua omnia, numero ad duodecim, uicos ad quadringentos, reliqua priuata aedificia incendunt,  frumentum omne, praeterquam quod secum portaturi erant, comburunt, ut domum reditionis spe sublata paratiores ad omnia pericula subeunda essent, trium mensum molita cibaria sibi quemque domo efferre iubent. Persuadent Rauracis et Tulingis et Latobrigis finitimis uti, eodem usi consilio, oppidis suis uicisque exustis, una cum iis proficiscantur, Boiosque, qui trans Rhenum incoluerant et in agrum Noricum transierant Noreiamque oppugnabant, receptos ad se socios sibi adsciscunt.

César, Guerre des Gaules, II, 3-III, 2 ; V, 1-4

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Il (Orgétorix) les convainquit d’autant plus facilement que les Helvètes, à cause de la nature de leur pays, sont enfermés de toutes parts : d’un côté, par le cours très large et très profond du Rhin, qui sépare leurs terres de celles des Germains ; d’un autre, par les très hauts sommets du Jura qui s’élèvent entre les Séquanes et eux ; d’un troisième, par le lac Léman et le Rhône qui les séparent de notre province. Cette situation les empêchait de circuler à loisir et de porter facilement la guerre chez leurs  voisins, ce qui contrariait vivement ces hommes avides de guerroyer. À leur avis, comparé au grand nombre de leur population et à la gloire de leurs armes et de leur bravoure, le territoire dont ils disposaient était trop étroit ; il avait deux cent quarante mille pas de long sur cent quatre vingt mille pas de large. Poussés par ces raisons et entraînés par l’autorité d’Orgétorix, ils résolurent de rassembler tout ce qui était nécessaire pour le départ, d’acheter le plus grand nombre possible de bêtes de somme et de chariots, d’ensemencer le plus de terres possibles, pour avoir à leur disposition suffisamment de blé pour la route, et d’affermir leurs relations de paix et d’amitié avec les cités voisines. Pour exécuter tout cela, ils jugèrent que deux ans suffiraient ; ils fixent donc par loi le départ à la troisième année. […] Les Helvètes n’en maintiennent pas moins leur décision de quitter leur territoire. Dès qu’ils s’estiment prêts, ils mettent le feu à toutes les places-fortes (une douzaine environ), à leurs villages (environ quatre cents), ainsi qu’à toutes les maisons isolées des particuliers ; ils brûlent tout le blé, sauf celui qu’ils ont l’intention d’emporter, afin de s’enlever l’espoir du retour et d’augmenter ainsi leurs détermination à affronter tous les dangers ; ils ordonnent à chacun de prendre chez lui de la farine moulue pour trois mois. Ils invitent les Rauraques, les Tulinges et les Latobices, leurs plus proches voisins, à les imiter et à se joindre à eux, après avoir brûlé leurs places-fortes et leurs villages ; enfin, ils appellent à eux les Boïens, dont ils s’assurent l’alliance : ceux-ci, qui habitaient auparavant sur l’autre rive du Rhin, l’avaient traversé pour s’installer dans le Norique et avaient assiégé Noréia.

Traduction d'Anne-Marie Ozanam, coll. Classiques en poche, 2006.

Depuis les mouvements et les brassages de populations de la seconde guerre mondiale, notre Europe occidentale avait vite oublié ces phénomènes massifs, qui peuvent être ressentis comme une invasion : des populations entières arrivant, par voie de mer ou sur les routes, avec femmes, enfants, bagages… L’afflux de migrants (venus de Somalie, d’Érythrée, du nord de l’Afrique…) à Lampedusa et l’actualité, fraîche, des Syriens fuyant la guerre et la misère dans leur pays, ont désemparé et bousculé l’Europe.

Il y  a plus de 2000 ans,  face à des Helvètes qui trouvaient trop misérable et trop étroit leur cadre de vie, en passe d’émigrer vers l’Eldorado gaulois, les Allobroges et les Ambarres, peuple de la Dombes, firent appel à César, alors gouverneur de la Narbonnaise (province Provence) pour, manu militari, les bloquer. Celui-ci gagna la Gaule transalpine à marches forcées (150 km/ jour !), leva des troupes, bloqua les Helvètes. Le recours à la force extérieure ne fut pas la meilleure inspiration des Gaulois. Mal leur en a pris : le loup étant dans la bergerie, César en profita pour conquérir, grosso modo, toute la Gaule !

Christelle Laizé et Philippe Guisard

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