Chroniques anachroniques - Marche à l’ambre

Texte :

À un moment où l’information fuse de toutes parts, il nous a paru intéressant de l’ancrer dans des textes très anciens, afin que l’actualité et l’histoire se miroitent et s’éclairent dans un regard tantôt ou tout ensemble stimulant et amusé, songeur ou inquiet.

À l’heure où l’Europe réfléchit au maintien du système heure d’été / heure d’hiver, où les gouvernements se soucient davantage de la préservation des ressources et des économies d’énergie, l’étymologie de l’une d’entre elles, et non des moindres, ne manque pas de nous étonner (est-ce si surprenant, quand on s’intéresse à l’origine des choses et au passé déposé dans les mots ?).

Le monde occidental compte des penseurs pionniers de l’encyclopédisme (Aristote, Théophraste, Pline l’Ancien…) qui se sont efforcés d’inventorier les réalités matérielles et de les classifier. Ainsi Théophraste, en digne disciple de son maître Aristote (IVe s. av. J.-C.) se propose d’organiser, dans un esprit savant, les connaissances de son temps sur les mondes végétal, animal et minéral.

Son traité Les Pierres (que les Éditions Belles Lettres ont fait tout récemment paraître) rappelle utilement à notre mémoire les vertus électriques de l’ambre ou elektron/elektrum.

Elle-même <l’émeraude > possède, comme on sait, un pouvoir extraordinaire, ainsi que l’ « urine de lynx » ; cette dernière est utilisée pour graver les petits cachets, et c’est une matière très dure, comme la pierre ; elle exerce une attraction à la manière de l’ambre, non seulement, au dire de certains, sur des brins de paille ou de bois, mais même sur <des fragments> de bronze ou de fer, pour peu qu’ils soient légers, comme l’a expliqué Dioclès. Il s’agit d’une matière fortement translucide et froide ; celle des animaux sauvages est meilleure que celle des animaux domestiques, et celle des mâles meilleure que celle des femelles, eu égard à la différence de nourriture, ainsi qu’à l’effort et l’absence d’effort, et, en un mot, à la constitution physique responsable d’une plus grande sécheresse ou, inversement, d’une plus grande humidité. Les gens expérimentés la découvrent en fouillant le sol, car <l’animal> la cache en l’enfouissant et la recouvre de terre, quand il a uriné. Elle demande aussi davantage de travail. En fait il y a aussi l’ambre minéral, extrait de la terre, qui se trouve en Ligurie ; ce dernier s’accompagnerait également de la force d’attraction, d’autant plus visiblement qu’elle est même tout à fait manifeste quand elle s’exerce sur le fer. Il s’agit en ce cas d’une pierre rare et qui se trouve en peu d’endroits ; alors, que celle-ci, bien sûr, soit également créditée de la propriété qu’elle possède pareillement.

Théophraste, Les Pierres, 28-29, texte établi et traduit par S. Amigues, Paris, Les Belles Lettres, 2018

De très longue date, les Anciens avaient constaté les propriétés magnétiques singulières de l’ambre. Outre sa couleur magnifique, sa transparence, la présence d’insectes pétrifiés et sa texture délicate, l’ambre était doté de vertus curatives (les Anciens avaient aussi conscience des qualités magnétiques anti-arthrite de certains métaux qu’ils portaient en bijoux) qui le faisait rechercher jusqu’en Égypte, alors que cette gemme ne se trouve qu’en mer Baltique : Pline l’Ancien parlait d’ailleurs d’une route de l’ambre et Tacite dans sa Germanie évoquait les richesses de la mer du Nord. Cette route, dont les historiens ont reconstitué le trajet précis grâce à la toponymie, transitait par les Alpes.

Puisse cet ambre embellir notre représentation de cette énergie prosaïque du quotidien, qu’on la consomme ou qu’on l’économise ! Le choix de cette racine lexicale grecque nous referait regretter cette époque où même la science était imbue d’humanité classique. Pour s’en convaincre, il suffit de consulter le tableau des éléments chimiques. Qui sait que l’actinium (Ac), découvert par le chimiste A. Debierne, est formé du grec Aktinos « rayonnement » en raison de ses propriétés radioactives ? Que le Cadmium (Cd) est formé sur cadmie « minerai de zinc », du latin Cadmia du nom de la ville de Cadmée, près de Thèbes, en Grèce ? Que le dysprosium (Dy) vient, non sans humour, du grec dysprositos « difficile à atteindre » parce qu’il avait été découvert après de nombreuses recherches ? Que le magnésium (Mg), latinisation du grec Magnès (lithos) « (pierre) de Magnésie » (en Asie Mineure), bien connu des Anciens, mais isolé par l’Anglais Davy en 1808 etc. ?

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