Chaque mois, une chronique qui traite de l’actualité de l’Antiquité imaginaire, actualité littéraire, cinématographique ou bédégraphique.
La sortie en DVD de deux films italiens qui illustrent les guerres puniques, Cabiria (Giovanni Pastrone, 1914) et Scipion l’Africain (Carmine Gallone, 1937), tous deux chez Bach Films, collection : « Les Grands Classiques du cinéma italien », m’amène à proposer quelques réflexions sur les rapports, dans le cinéma italien des années 1910-1960, du péplum et de l’idéologie. Je ne reviendrai pas sur le sens du mot « idéologie » qu’on prendra ici au sens large de « représentations liées, volontairement ou non, explicitement ou non, à une situation historique ponctuelle et qui peuvent disparaître quand ladite situation n’est plus d’actualité ».
Dès le début du siècle, sans attendre le fascisme, le cinéma italien s’est vu assigner une mission pédagogique. Comme l’écrit, en 1908, le critique Luigi Marone, dans La Ciné-Fono du 1er octobre : « Ne serait-il pas plus beau que le peuple apprenne l’histoire de son propre pays à travers les projections cinématographiques qui peuvent avoir tant d’influence sur les jeunes esprits ? ». Quelques années plus tard, en 1927, Guiseppe Forti, dans la revue Cinématographe, reprend le même thème : « Avec l’écran cinématographique plus didactique qu’aucun livre, qu’aucun maître d’école, nous enseignons notre histoire et nos faits glorieux à nos enfants, qui seront demain nos soldats ». Or l’Italie, récemment réunifiée, n’a d’autre histoire nationale que celle de Rome. D’où la tentation de la chanter au rythme de la politique extérieure. Celle-ci, dès la fin du XIXème siècle, est axée sur la conquête coloniale dans le nord-est de l’Afrique. Elle se heurte à la Turquie avec qui elle entre en guerre en 1911, après des victoires incertaines, suivies ou précédées de revers en Éthiopie, Tripolitaine, Somalie. Pour culminer, en 1936, avec la prise d’Addis Abeba, accompagnée, le 4 août 1937, par la sortie triomphale sur les écrans de la péninsule du Scipion l’Africain de Carmine Gallone. Mais, deux décennies auparavant, en 1914, la Cabiria de Giovanni Pastrone, chantait, certes sur un mode moins claironnant, la Deuxième Guerre punique. Dans les deux cas — mais surtout dans le second — les « barbares puniques » renvoyaient clairement aux « sauvages africains » qui étaient d’ailleurs, peu ou prou, leurs descendants, barbares auxquels l’Italie allait apporter la civilisation.
Dans l’histoire de Spartacus, vue par Riccardo Freda (Spartacus, 1954, disponible en DVD), les barbares ce sont les Romains. Le film a eu des ennuis avec la censure cinématographique, encore fasciste, parce qu’il montrait des aspects peu reluisants de la brutalité romaine.
Plus curieuse est l’histoire de Coriolan vue par le cinéma italien. En 1964, Giorgio Ferroni raconte, dans La Terreur des gladiateurs, (encore indisponible en DVD à ce jour) dont le titre original est : Coriolan, héros sans patrie, l’histoire de Coriolan, tirée de Plutarque et de Shakespeare mais assaisonnée à la sauce de la politique italienne des années 1960. Montrant, en dépit de la réalité historique, que l’exil de Coriolan a été provoqué par les tribuns de la plèbe, alliés secrètement aux ennemis de l’extérieur, les Volsques, le réalisateur et/ou son scénariste, Remigo Del Grosso, faisaient une allusion explicite à « l’alliance contre nature », en 1963, du premier gouvernement de centre gauche d’Aldo Moro qui consacrait l’alliance de la démocratie chrétienne avec les partis de gauche, socialiste et communiste.
C.A.