Tous les jeudis, Antoine Houlou-Garcia vous fait aimer les mathématiques à travers la philosophie, l'art, la mytholgie et l'histoire antique !
Pour compléter la vidéo sur les liens entre poésie et mathématiques, voici deux citations extraites de l’ouvrage Le compas et la lyre – Regards croisés sur la poésie et les mathématiques. Dans son Discours préliminaire à l’Encyclopédie, d’Alembert expose toute la poétique de la création mathématique :
L’imagination dans un Géomètre qui crée, n’agit pas moins que dans un Poète qui invente. Il est vrai qu’ils opèrent différemment sur leur objet ; le premier le dépouille & l’analyse, le second le compose & l’embellit. Il est encore vrai que cette manière différente d’opérer n’appartient qu’à différentes sortes d’esprits ; & c’est pour cela que les talents du grand Géomètre & du grand Poète ne se trouveront peut-être jamais ensemble. Mais soit qu’ils s’excluent ou ne s’excluent pas l’un l’autre, ils ne sont nullement en droit de se mépriser réciproquement. De tous les grands hommes de l’antiquité, Archimède est peut-être celui qui mérite le plus d’être placé à côté d’Homère.
Discours préliminaire, Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, texte établi par Diderot et d’Alembert, 1751 (Tome 1, p. i-xlv) ; orthographe modernisée.
Sophie Germain exprime dans ses Considérations générales sur l’état des sciences et des lettres le lien originel de la science et de la poésie :
Jeté sur la terre au milieu de l’immensité des choses, frappé à la fois par le spectacle d’une infinité de merveilles, l’homme n’a rien trouvé au dehors de lui de plus merveilleux que lui-même. Il a étendu son existence sur tout ce qui l’environnait. Son individualité lui a d’abord été connue ; cherchant partout sa propre image il a personnifié les êtres inanimés, les êtres intellectuels, enfants de son imagination. Ceux-ci ont présidé à tous les actes et à tous les phénomènes de l’ordre naturel. Ainsi se manifestaient déjà, à cette première époque de la culture intellectuelle, le sentiment profond d’un lien commun entre tous les êtres, et celui d’un type universel empreint dans l’intelligence humaine pour lui servir de modèle.
Les sciences n’existaient pas encore ; mais le besoin d’expliquer s’était fait sentir. La première des littératures fut poétique. Ce qui tenait lieu des sciences physiques n’était pas moins poétique que la littérature elle-même ; ou plutôt ces deux branches du savoir, tellement séparées aujourd’hui qu’il faut de la sagacité pour remarquer ce qu’elles ont de commun, étaient dans ces premiers temps entièrement confondues. Qu’importait, en effet, à l’égard du caractère de la composition, que le sujet fût l’homme lui-même, ou quelqu’un des dieux, demi-dieux, ou génies qu’il avait dotés de l’intelligence et des passions humaines ? Des êtres si pareils pouvaient même agir de concert, sans nuire à l’homogénéité d’invention ; le merveilleux les unissait.
« Comment les sciences et les lettres sont dominées par un sentiment qui leur est commun », premier chapitre de Considérations générales sur l’état des sciences et des lettres, in OEuvres philosophiques de Sophie Germain, librairie de Firmin-Didot et Cie, 1896, p. 92-93.